13/03/2016

SEIGNEUR, PROTÉGEZ-NOUS DE NOS AMIS

 

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Seigneur, protégez-nous de nos amis.

Nos ennemis, on s’en charge.

(La sagesse des nations)

 

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Pour ceux qui ne sont pas au courant des faits :

Kamel Daoud est un citoyen algérien – écrivain et journaliste - qui a écrit des choses jugées provocatrices sur le salafisme. Il est menacé de mort. Normal. Quiconque met en cause l’action temporelle – voire le dogme – d’une religion réclamant le pouvoir à l’intérieur d’un état se met en danger. S’il s’en prend à la frange la plus extrémiste et incontrôlable des gardiens du dogme, il n’a plus qu’à compter ses abattis.

Un imam du lieu, estimant que « si la charia avait force de loi en Algérie », Daoud serait passible de mort « pour apostasie et hérésie », a lancé sur lui une fatwa. L’écrivain a déposé plainte.

Précédant de bien loin l’Islam, l’histoire de l’Occident chrétien est riche en événements de ce genre. Dolet s’en est retrouvé brûlé vif, Thomas More décapité, Des Périers suicidé. Grâce au ciel, Voltaire et Diderot sont morts dans leur lit.

Nouveauté dans le cas présent : quelques gesticulateurs germanopratins apportent leur soutien au libre-penseur, comme la corde fait au pendu, « en revendiquant crânement leur islamophobie ». Qui croient-ils surprendre ?

Souhaitons à Kamel Daoud de mourir dans son lit aussi vieux que Voltaire et aux musulmans de régler leurs problèmes spirituels en adultes. Cela nous changera agréablement.

 

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Bruno Guigue ne s’exprime pas souvent. Jamais pour ne rien dire. Ses interventions se passent de commentaires. Aujourd’hui, il a ce post pour lui tout seul.

 

Les faux amis de Kamel Daoud

Bruno Guigue – Arrêt sur Info 11 mars 2016

 

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Ce n’est pas nouveau : en ces temps troublés, l’islamophobie a le vent en poupe. Dans une tribune publiée par le « Huffington Post » le 27 février 2016, l’universitaire Renée Fregosi affirme ainsi que « pour aborder la critique de l’islamisme, il faut accepter crânement d’être islamophobe comme l’a fait courageusement Elisabeth Badinter ». Entendons bien le propos, au demeurant parfaitement explicite : il faudrait se revendiquer « islamophobe » pour avoir le droit de critiquer « l’islamisme ». A supposer que le sens du terme « islamophobe » soit celui du dictionnaire, il faudrait donc admettre, comme une évidence, que « l’hostilité à l’égard de la religion musulmane », exemplaire sur le plan moral, serait aussi le meilleur antidote à l’islamisme. Déclarer sa répulsion pour une religion millénaire et ses millions de fidèles serait non seulement une attitude élevée à la dignité d’un parangon de vertu, voire l’archétype du courage philosophique, mais elle serait en outre la meilleure réponse à l’intolérance et au sectarisme.

Ce faisant, on semble avoir oublié que la « phobia », en grec, désigne la haine. Si la judéophobie, par exemple, est inacceptable, c’est parce qu’elle jette le discrédit sur une catégorie d’êtres humains voués à la détestation universelle en raison d’une origine jugée impure. C’est parce qu’elle englobe dans une réprobation indistincte des individus assignés à une malfaisance intrinsèque. Avec l’islamophobie, à leur tour, les musulmans se voient coller sur la peau, comme une étiquette infamante, l’appartenance à une communauté religieuse dont l’influence délétère irait de soi. Violent par nature, liberticide par essence, l’islam serait passible comme tel d’une condamnation en bloc. Or, dans les deux cas, cette attitude a un nom : la haine interconfessionnelle. Elle a une longue histoire, intimement liée à l’aventure tumultueuse des relations entre l’Orient et l’Occident, des origines du christianisme aux ultimes secousses de l’ère post-coloniale.

Pour les islamophobes, le jugement est donc sans appel : l’islam constituerait la matrice originelle des intolérances et des cruautés dont notre époque offre le triste spectacle. L’un des derniers épisodes de ce procès fait à l’islam en tant que tel, c’est incontestablement ce qu’il faut bien appeler « l’affaire Kamel Daoud ». Ainsi, pour nombre des ses défenseurs occidentaux, les critiques multiples dont il a été l’objet ne relèveraient pas du débat d’idées, mais de l’anathème religieux. A ceux qui font remarquer que la « misère sexuelle » diagnostiquée par l’auteur n’est pas universellement partagée dans le monde musulman, et qu’il procède de ce fait à une essentialisation péjorative de « l’islam », on prête d’emblée une mentalité d’inquisiteurs, qui seraient coupables d’avoir lancé une « fatwa laïque ». Et tout se passe comme si on ne pouvait critiquer les idées de cet auteur sans encourir l’accusation d’être un « islamo-gauchiste », une sorte de « commissaire politique » reconverti dans la persécution des intellectuels laïques.

Qu’il pose des questions redoutables sur le rapport des hommes et des femmes dans certains milieux de tradition musulmane est pourtant une évidence. A cet égard, ses tribunes ont le mérite de mettre les pieds dans le plat, de pousser les musulmans et les non-musulmans à l’interrogation critique du diagnostic posé. Elles interrogent des habitudes sociales et des valeurs instituées dont on ne voit pas pourquoi elles échapperaient, a priori, à la critique de la raison. Mais cette vertu critique et heuristique des écrits de Daoud est malheureusement passée au second plan : ses partisans et ses adversaires ont tout fait, dans une sorte de connivence implicite, pour que le débat sur l’essentiel n’ait pas lieu. Le moins qu’on puisse dire, à propos de cette polémique, c’est que l’islam y est devenu l’enjeu d’une confrontation où une mauvaise foi symétrique s’est évertuée à dissoudre les repères de la discussion rationnelle.

Car les adversaires de Kamel Daoud, comme ses partisans, n’ont pas manqué à leur tour d’ambiguïté. Il en va ainsi lorsque des universitaires français lui reprochent d’écrire dans la langue de Molière, comme si l’écrivain algérien devait, au risque de les décevoir, se conformer à l’idée qu’ils se font de son appartenance culturelle. Et il est frappant, d’ailleurs, que les remontrances intellectuelles adressées à l’intéressé, quittant rarement le registre de l’invocation abstraite, fassent si peu de place à la sociologie. D’où ce paradoxe d’une critique totalement « a-sociologique » adressée à une pensée dont le penchant à la généralisation hâtive méritait, pour le moins, une déconstruction en règle.

Sur un autre registre, situé à mille lieux du précédent, les islamistes déclarés ne furent pas non plus en reste. Fidèles à eux-mêmes, ils ont accusé Kamel Daoud de blasphème et justifié a priori, par leur outrance verbale, une violence haineuse dont tant d’intellectuels payèrent le prix dans les pays du Maghreb. Dans cette affaire, la pensée islamiste révéla une fois de plus son versant négatif, polluant le débat de références prétendument incontestables et d’affirmations dogmatiques assénées en guise d’arguments, comme si leur seule énonciation devait provoquer, dans une sorte de stupeur, l’assentiment général.

On peut donc comprendre que Kamel Daoud ait reçu, à l’inverse, de si nombreux témoignages de solidarité. Qu’un intellectuel soit condamné à mort par un prédicateur salafiste suffit à le rendre sympathique, car le libre exercice de la pensée vaudra toujours mille fois plus que la soumission à une prétendue sacralité interprétée à sa façon par une autorité autoproclamée. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a plusieurs façons de défendre Kamel Daoud, y compris sans adhérer à certaines de ses thèses. Et le paradoxe, c’est que certains de ses amis déclarés, malheureusement pour lui, pourraient à l’usage se révéler de véritables « faux amis » : lorsque Elisabeth Badinter et ses émules répondent à l’accusation d’islamophobie en l’endossant « crânement », sans sourciller, elles contribuent à noyer le propos de l’écrivain dans une rhétorique perverse qui n’est pas la sienne.

Dire que l’on doive passer par la case « islamophobie » pour légitimer une attitude critique à l’égard de la religion musulmane, en effet, n’a aucun sens. Non pas parce qu’il serait illicite de proférer cette critique, mais précisément pour la raison inverse : parce qu’affirmer son islamophobie vide aussitôt de sa substance toute attitude rationnelle et critique à l’égard de l’islam. Que dirait-on, par exemple, de l’attitude critique à l’égard du judaïsme de la part d’un intellectuel qui, proclamant sa judéophobie, ferait de la haine des juifs le préalable à toute critique de cette religion ? Ce que l’on pourrait formuler ainsi : lorsque l’objet du débat fait l’objet d’une haine explicite, il est clair que le débat risque de devenir sans objet.

Parce qu’Elisabeth Badinter et ses émules sont ouvertement islamophobes, ils contribuent ainsi à l’étouffement du débat sur l’islam que Kamel Daoud entendait susciter de manière provocatrice. Et il y a quelque chose de stupéfiant dans cette revendication de l’islamophobie comme si elle valait certificat d’héroïsme. Mais il y a pire. En reconduisant frauduleusement la critique légitime de l’islam dans l’ornière de l’islamophobie vulgaire, les faux amis de l’écrivain algérien se livrent à une autre supercherie. Car c’est au nom de la lutte contre « l’islamisme radical » que ces charlatans, à les croire, entendent promouvoir l’islamophobie. Ultime et consternant tour de passe-passe : l’équation posée entre l’islam et l’islamisme permettrait ainsi de boucler la boucle. Si les islamistes radicaux vouent Kamel Daoud aux flammes de l’enfer, n’est-ce point la preuve que le ver est dans le fruit, que l’islam lui-même est coupable de cet anathème, que toute dissociation entre l’islam comme religion et l’islamisme comme idéologie est illusoire ?

Or cette thèse a causé suffisamment de tort aux musulmans pour que les islamophobes ne puissent résister à la tentation de la réitérer, inlassablement, comme pour lui donner la force d’une évidence mortifère. Et l’on devra répéter, une fois encore, ce qu’ils font semblant d’ignorer, à savoir que l’immense majorité des victimes de l’islamisme radical est musulmane, que le djihadisme contemporain n’aurait jamais exercé ses méfaits s’il n’avait bénéficié de la complicité occidentale, et que les soldats qui le combattent au prix de lourds sacrifices, de la Syrie à la Tunisie, sont essentiellement musulmans. Revendiquer la haine islamophobe pour mieux lutter contre la haine djihadiste, une telle absurdité n’est possible qu’en occultant le fait générateur de cette gémellité : haine pour haine, l’une n’est que la figure inversée de l’autre, et ces deux haines sont jumelles. Gageons que les islamistes radicaux qui veulent tuer Daoud ne le tueront pas, car la vie de l’esprit est plus forte que ce désir de meurtre. Mais on lui souhaite aussi de savoir bien se garder de ses faux amis.

Source : http://arretsurinfo.ch/les-faux-amis-de-kamel-daoud/

 

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Kamel Daoud est un écrivain et journaliste algérien d’expression française, né à Mesra, wilaya de Mostaganem, en 1970. À la suite de sa plainte, la justice algérienne a rendu son verdict le 8 mars 2016 : l’imam Abdelfattah Hamadache Zeraoui est condamné à six mois de prison dont trois ferme et à 450 € d’amende.


4. bruno_guigue4.jpgBruno Guigue est un haut fonctionnaire, essayiste et politologue français né à Toulouse en 1962.

Ancien élève de l’École Normale Supérieure et de l’ENA. Professeur de philosophie dans l’enseignement secondaire et chargé de cours en relations internationales dans l’enseignement supérieur. Il est l’auteur de cinq ouvrages et d’une soixantaine d’articles.

Il écrit régulièrement dans la prestigieuse revue catholique ÉTVDES, fondée par les Pères jésuites en 1859, sur les sites Internet « Oumma.com » et « Arrêt sur Info », dans les revues Présence africaine, Raison présente, Res publica, et dans Revue internationale et stratégique (iris-france.org)

Le 20 mars 2008, Bruno Guigue, sous-préfet de Saintes (Charente Maritime), est arbitrairement démis de ses fonctions par décision de Michèle Alliot-Marie, Ministre de l’Intérieur, à la suite d’un article publié à titre privé et sans rapport avec ses fonctions officielles, sur Oumma.com.

Il introduit un recours pour excès de pouvoir auprès du Conseil d’État, mais, malgré le soutien actif de plusieurs associations, dont l’Union Juive pour La Paix, sa requête a été rejetée.

La sénatrice Esther Benbassa a vu dans le licenciement de Bruno Guigue « le signe de l’impossibilité de conduire un authentique débat dans notre pays et de l’influence des groupes de pression communautaires auprès des instances gouvernementales ».

 

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Post Scriptum :

Rappelons que l’« affaire Bruno Guigue » est en train de se répéter en Seine-Saint-Denis, au niveau cette fois de l’enseignement secondaire, au détriment de Salah Lamrani, jeune professeur de français en début de carrière, suspendu pour quatre mois (et qui sera sans doute licencié ensuite) par décision non moins arbitraire d’une directrice et d’un sous-directeur d’école. Procédure de contestation en cours.


 

 

 

 

Mis en ligne le 13 mars 2016.

 

 

 

 

 

18:08 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Web | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

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