07/03/2018

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N° 140 : Une Pologne rouge - A partir de la lecture de l'organe du Comité Révolutionnaire provisoire de Pologne d'Août 1920

Il y a une centaine d’année, en février 1919, commençait la guerre polono-soviétique qui allait constituer un des moments fondateurs à la fois de l’État polonais de l’entre-deux-guerres, de l’État soviétique multinational et de la Russie soviétique renouant avec une partie de son héritage russe. Affrontements donc de l’internationalisme et du nationalisme, et affrontement du patriotisme russe avec le nationalisme polonais, tous deux galvanisés par la conquête de Kiev par l’armée polonaise en juin 1920 puis la contre-attaque soviétique vers Varsovie. Affrontements à remettre dans leur contexte international d’une guerre d’intervention directe ou par Etats nationaux interposés de la part des puissances capitalistes occidentales opposées à la jeune démocratie des soviets.

Cette guerre fut donc aussi pour les Polonais une guerre civile entre partisans d’une Pologne rouge recrutant tant en Pologne même que parmi la masse des déportés polonais de 1915 en Russie et partisans d’une Pologne se voulant totalement indépendante mais traditionnelle pour les uns ou socialisante pour d’autres mais en rupture avec le monde russe pour s’allier avec des puissances démocratiques bourgeoises de l’Ouest victorieuses en 1918 et qui allaient la laisser tomber en septembre 1939. Une guerre oubliée en Occident et qui mérite d’être rappelée en ces années de centenaire des dix jours qui ébranlèrent le monde.

La Rédaction

Une Pologne rouge

À partir de la lecture de l’organe du Comité révolutionnaire provisoire de Pologne d’août 1920

Bruno Drweski  – 4 Mars 2018

 

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Alors qu’un mur d’hostilité a régné de 1918 à 1921 entre l’État polonais renaissant et les Russes blancs pro-tsaristes ainsi qu’avec la Lituanie ethnique indépendante et les nationalistes ukrainiens de Galicie orientale, l’essentiel des combats de cette période se déroula cependant entre l’Armée rouge et l’Armée polonaise appelée par les bolcheviks « Armée polonaise blanche » car on trouvait des partisans polonais de la révolution d’Octobre luttant également aux côtés des bolcheviks. Nous allons décrire dans cet article la participation de Polonais à l’institution mise en place par les bolcheviks en Pologne en 1920 au travers de l’analyse des articles du quotidien « le Courrier rouge » (Goniec Czerwony) numérisé par la Bibliothèque numérique de Podlachie (Podlaska biblioteka Cyfrowa) de Bialystok 1 et qui parut comme organe du Comité révolutionnaire provisoire de Pologne (TKRP) du 7 août 1920 au 19 août 1920, soit 12 numéros édités pendant la courte période où l’on tenta d’instaurer en Pologne le pouvoir des conseils dans la foulée de l’entrée dans le pays de l’Armée rouge. Le TKRP a siégé à Bialystok au moment de l’offensive de l’armée rouge sur Varsovie qui se termina par un échec militaire.

Je n’aborderai pas ici la question des Polonais intégrés dans l’Armée rouge à titre individuel ou dans le cadre du « Régiment rouge révolutionnaire varsovien » intégré à la 1ère brigade de la Division occidentale des tirailleurs de l’Armée rouge et commandé par Stefan Zbikowski. Ni les activités clandestines du Parti communiste ouvrier de Pologne dans les territoires restés aux mains de la Seconde République polonaise née en novembre 1918, pas plus que celles des communistes polonais restés à ce moment-là en Russie, dans d’autres républiques soviétiques à l’époque ou à l’étranger. Je me concentrerai sur les articles du Goniec Czerwony qui était donc l’organe d’une institution ayant une mission provisoire : mettre en place une administration polonaise communiste dans les territoires reconnus comme polonais par la Russie soviétique, dans l’attente de l’élection de conseils ouvriers, paysans et soldats polonais aptes à proclamer une République polonaise des conseils. Chose qui évidemment ne vit jamais le jour tant la période soviétique fut de courte durée en Pologne, ce qui n’enlève rien à l’intérêt que l’on doit porter sur les articles du Goniec Czerwony qui nous permettent de percevoir l’état d’esprit, les espoirs mais aussi parfois les contradictions qui semblent s’être développées au sein de la petite élite de ce qu’aurait été une Pologne rouge si la bataille sur la Vistule s’était déroulée autrement. Et qui différait fortement des autres Polognes rouges qui allaient voir le jour plus tard, celle des deux régions autonomes polonaises dans la Biélorussie et l’Ukraine soviétiques des années 1920, puis la Pologne populaire qui allait naître en 19442. On peut d’ailleurs considérer que les échecs des bolcheviks et du TKRP en Pologne au cours de l’été 1920 expliquent en partie pourquoi les autres tentatives communistes polonaises seront différentes de la première, ce qui rend la lecture du Goniec Czerwony utile.

J’ai sélectionné ici plusieurs questions qui apparaissent au fil des pages et qui aident à comprendre qui a agi, pourquoi et comment on voulait voir une Pologne associée à la Russie soviétique et surtout partie prenante d’une Europe rouge que les communistes polonais croyaient alors à portée de mains. On peut déceler chez ces communistes polonais d’alors à la fois quelques tendances patriotiques plus autonomes par rapport au modèle russe, et aussi des convergences avec une révolution allemande fortement attendue. Par exemple, lorsqu’il mentionne l’ancienne capitale des tsars, le Goniec Czerwony n’utilise étonnamment pas le terme officiel de l’époque depuis 1914 de Piotrogrod (Petrograd en russe) mais toujours et encore celui, allemand, de Petersburg. Ce qui est étonnant et pourrait témoigner de ce qu’on pourrait appeler un marxisme « occidentaliste » persistant au sein des Polonais qui se sentaient certes solidaires de la révolution bolchevique mais qui pouvaient se considérer néanmoins comme plus « occidentaux » que les Russes, bolcheviks ou pas, pour ne pas dire plus « civilisés ». Chose que Lénine avait lui-même remarqué à plusieurs reprises et envers quoi il manifestait plutôt une certaine sympathie tant il critiquait le caractère parfois « retardataire » de la société et des mentalités en Russie. La suite des événements allaient toutefois prouver que les communistes polonais furent rarement à la hauteur de leurs ambitions.

Avant d’analyser les différents sujets abordés dans le journal, mentionnons que, hormis son nom, son en-tête est marqué par la devise habituelle « Prolétaires de tous les pays, Unissez vous ! » mais aussi par un appel répété allant du numéro 1 au numéro 8 : « Vive la République socialiste des conseils de Pologne ! Vive l’héroïque Armée rouge ! », remplacé à partir du numéro 9 jusqu’au dernier numéro 12 par un appel visiblement plus pressant : « Aux Armes, ouvriers polonais ! Rejoignez les détachements de l’Armée rouge ! »

La question de la légitimité du Comité Révolutionnaire provisoire de Pologne (TKRP)

Nous ne poserons pas ici la question de la légalité du TKRP dans la mesure où, se proclamant lui-même comme une institution révolutionnaire, il rejetait ipso facto tout légalisme et ne justifiait son existence uniquement que sur la base d’une légitimité révolutionnaire s’appuyant par principe sur la représentation décrétée et l’adhésion éventuelle des travailleurs salariés, ouvriers et ouvriers agricoles associés aux paysans et aux petits artisans, commerçants, professions libérales et fonctionnaires dans la mesure où ces derniers n’employaient pas eux-mêmes de salariés. Les autres catégories sociales étaient par principe à cette époque de la révolution bolchevique exclues de la vie politique soviétique. On remarquera néanmoins qu’une attitude ambiguë transparait au regard des articles concernant les dignitaires religieux dont on accepte en principe l’existence, dans la mesure où les croyants acceptent de financer « leurs devoirs religieux », terme qui sonne bizarrement de la part de marxistes.

1 – Les causes de la guerre selon le Goniec Czerwony

Le TKRP sous la présidence de Julian Marchlewski et ayant pour membres Feliks Dzierzynski, Jakub Harecki (vice-président), Edward Prochniak (secrétaire), Feliks Kon (éducation), Jozef Unszlicht (question du Parti et de la sécurité), Bernard Zaks (industrie), Stanislaw Bobinski (agriculture), Tadeusz Radwanski (agitation et propagande), se proclama représentation du peuple polonais travailleur des villes et des campagnes en rébellion contre le gouvernement polonais de Varsovie dirigé par Jozef Pilsudski et dénoncé comme un « traitre au socialisme » dans les pages du quotidien, passé du service aux Allemands aux ordres de la Grande-Bretagne et de la France. L’État polonais y est présenté comme le « gendarme du capitalisme » dirigeant une « armée d’agression polonaise » opposée à une Armée rouge « libérant la Pologne du joug franco-anglais ». Tous les dirigeants polonais de l’époque sans exception, Pilsudski, Witos, Grabski, Paderewski, Daszynski, etc y sont désignés sous le terme de bande d’escrocs, « Zgraja szajchrajow ». Dans l’article « Qui est responsable » (« Kto Winien ? »), paru dans le n°2 et portant sur les responsabilités dans cette guerre, on accuse Varsovie d’avoir attaqué la Lituanie et la Biélorussie qui ne sont pas des terres polonaises dans le but d’y maintenir la domination de la noblesse polonaise, pays que les Soviétiques n’ont pu défendre en 1919 à cause des attaques les visant sur d’autres fronts. A cette époque, la Russie soviétique avait offert, selon l’auteur de l’article, la paix à la Pologne à de bonnes conditions mais Varsovie avait refusé et même fait le silence sur ces propositions auprès de l’opinion polonaise. Ce n’est que quand la Russie a conclu la paix avec l’Estonie que cela aurait forcé Varsovie à accepter des négociations, en mars 1920, interrompues ensuite par l’agression polonaise visant Kiev dont les conséquences ont, en réaction, amené à la guerre actuelle sur le territoire polonais. Le journal mentionnait d’ailleurs que la Lettonie alliée de la Pologne dans la première phase de la guerre venait de conclure la paix avec la Russie soviétique, ce qui prouvait selon les auteurs la bonne volonté de Moscou. L’Entente de son côté, se déclare neutre mais les auteurs du journal considèrent que le gouvernement anglais joue avec le feu et a même fait à la Pologne depuis l’offensive soviétique vers Varsovie des propositions moins bonnes que ce qu’offrent les Bolcheviks, puisque même la ville et le territoire de Chelm auraient été proposés à la Russie par Londres3.

2 - Révolution en Pologne et révolution internationale

Les articles du journal abordent de façon récurrente la question de « la Pologne révolutionnaire et de la révolution européenne », de très nombreux pays où se déroulent des manifestations, des grèves ou des rébellions sont cités, France, Allemagne, Japon, Estonie, Italie, Angleterre, Bulgarie, Chili. La Turquie kémaliste également est citée comme alliée de la Russie soviétique. La paix signée entre la Russie et l’Autriche est censée démontrer que le gouvernement de Varsovie est de plus en plus isolé en même temps que des désertions, des grèves et des manifestations antigouvernementales se déroulent à Lodz et à Varsovie. Hormis Pilsudski, les mots les plus durs dans les pages du journal visent le paysan Witos « fricoteur du parlement viennois », (« Macher Wiedenskiego parlamentu »), et le socialiste Daszynski accusé d’avoir été le promoteur de l’expédition de Kiev, ce qui démontre que les communistes polonais visaient surtout à conquérir l’opinion de gauche en délégitimant leurs concurrents directs, plutôt que les partis polonais de droite qui sont rarement mentionnés.

Au fil des pages, on énumère les tentatives de création de nouvelles institutions dont les fonctions sont parfois définies peu clairement, comités révolutionnaires, cercles du Parti communiste, comités d’usines, « komitety parobczanskie » (comités de serviteurs de domaine). Aucun conseil ouvrier n’eut le temps d’être élu dans les territoires aux mains de l’armée rouge pendant le bref épisode de parution du journal. Peu d’informations en revanche sur le système installé en Russie si l’on compare avec la place occupée par les activités révolutionnaires décrites ailleurs dans le monde, ce qui pourrait laisser penser que les communistes polonais n’éprouvaient peut-être pas forcément beaucoup d’admiration pour les activités de leurs camarades en Russie, chose a priori peu étonnante quand on a en tête les nombreuses critiques émises par Lénine lui-même sur le retard de la société russe et de beaucoup de militants communistes russes4. Les communistes polonais comme leurs camarades russes d’ailleurs semblent surtout miser sur les communistes et syndicalistes allemands qui empêchent l’approvisionnement de l’armée de Varsovie et qui auraient même bloqué en Silésie des troupes de tchéco-slovaques devant se rendre en Pologne après leur retour de la guerre civile russe où elles avaient été commandées par l’amiral Koltchak annonce le journal.

3 – Organisation des structures révolutionnaires

L’organisation du KPRP concentre, comme on pouvait s’y attendre, l’attention des dirigeants du TKRP, la réunion des membres du Parti de Bialystok qui allait être présidée par Feliks Kon est annoncée avec présence obligatoire de tous ses membres. Plus tard, il est annoncé dans le journal que les communistes devront obligatoirement participer à toutes les manifestations, réunions et rencontres, et se faire enregistrer à cet effet.

Simultanément à l’organisation du Parti, des comités révolutionnaires sont mis en place dans les différentes localités prises par l’armée rouge, c’est ainsi qu’on note la participation comme un des membres du Comité révolutionnaire de Wysokie Mazowieckie de Marceli Nowotko qu’on retrouvera plus tard à la tête des communistes polonais pendant la Seconde Guerre mondiale, après la fondation du Parti ouvrier polonais (PPR) en 1942 sur les ruines du Parti communiste de Pologne (KPP) dissous par le Komintern en 1938. Notons toutefois que ce comité compte parmi ses membres des personnes dont les noms ne semblent pas d’origine locale mais plutôt russes comme Pietrow ou Filipow. Le comité révolutionnaire de la ville de Lomza annonce de son côté une série de mesures : remise en marche des usines, création de comités d’usine, mobilisation pour le combat et le travail, pour faire face au manque de réserves de nourritures détruites selon le journal par l’armée polonaise en fuite. Pour contrer les effets de la destruction des ponts par cette armée et le manque d’approvisionnement, l’armée rouge va moudre du blé. Le journal annonce qu’il faut construire le pouvoir ouvrier et paysan sans attendre l’arrivée de camarades expérimentés et qu’il faut aussi communiquer la liste de tous les membres des syndicats. Il donne également des instructions comment créer des conseils et comment ceux-ci devront fonctionner. Dans le 11e numéro, il est annoncé que, sans attendre les décisions sur les frontières, l’Obwod (arrondissement) de Bialystok prend en main la gestion des districts de Suwalki, Bialystok, Bielsk, Sokolka et Wysokie mazowieckie avec comme président Waclaw Bogucki. Les limites de l’arrondissement, des districts (« powiat ») et des communes resteront les mêmes qu’auparavant mais le nom polonais traditionnel de Voïévodie jugé trop nobiliaire est remplacé par le terme d’Obwod (arrondissement). Pour les zones proches du front, le journal annonce la création de comités militaires révolutionnaires de l’armée rouge qui vont gérer les territoires jusqu’à la formation de comités révolutionnaires qui devront procéder aux élections des conseils de délégués ouvriers et ruraux (« wloscianskie »). Feliks Dzierzynski, le chef de la Tchéka en Russie mais plus tard aussi commissaire du peuple au transports, fut alors nommé membre du Conseil militaire révolutionnaire du front occidental.

Toutes les associations existantes reçoivent la consigne de s’enregistrer auprès des comités révolutionnaires locaux et les syndicats doivent procéder à l’enregistrement de tous leurs membres tandis que les enseignants de musique et les instruments de musique doivent aussi être enregistrés. Pour ce qui est des futures élections, le journal conseille bien sûr de voter pour des communistes mais de ne pas faire son choix en fonction de la nationalité des candidats. Le journal annonce enfin que le 31 juillet, le Comité régional de Bialystok du PPS (Parti socialiste polonais) a voté sa dissolution et que tous ses membres ont adhéré au Parti communiste ouvrier de Pologne (KPRP), son président Biernacki, son secrétaire Noskiewicz et les 19 membres du comité dont les noms sont tous cités. Cette information reste à vérifier mais elle vise en tous cas à démontrer que les concurrents à gauche du KPRP tendent à se déliter à partir de la base. D’ailleurs, le journal annonce aussi que des membres du PPS de Varsovie se rebellent contre la direction de leur Parti, à commencer par le secrétaire de son organisation municipale, tandis que des soldats polonais désertent. Parmi les slogans « Courre à cent mille lieux du pouvoirs ouvriers des patriotes du soit-disant Parti socialiste polonais! » (« Pedz o sto mil od wladzy robotniczej patrjotow z tak zwanej Polskiej partii socjalistycznej ! »), car à ce moment là, face à l’offensive soviétique sur Varsovie, le pouvoir polonais avait formé un gouvernement d’union nationale plus à gauche, sous l’égide du dirigeant paysan Wincenty Witos et avec une forte participation des socialistes. Il s’agissait pour les conservateurs polonais de concessions faites dans le but d’éloigner des communistes la masse des paysans et des ouvriers qui pouvaient être tentés par une révolution radicale dirigée par les partisans du pouvoir des soviets. Dans les conseils ouvriers qui avaient été créés auparavant spontanément sur le territoire polonais en 1918, les communistes avaient occupé une position importante quoique généralement minoritaire face aux militants du PPS, et la « République de Tarnobrzeg » qui avait été proclamée en 1918 par des paysans de cette région de Galicie fut férocement réprimée en 1919. Tout cela avait démontré la force initiale du sentiment révolutionnaire en Pologne, ce que les grandes manifestations de masse pour la paix du printemps 1920 avaient encore confirmé, avant toutefois l’euphorie nationaliste créée dans la foulée de l’entrée de l’armée polonaise à Kiev en juin 1920 et qui avait semblé laver 120 ans d’humiliation nationale. Au moment de l’entrée de l’armée rouge en Pologne en août 1920 donc, les sentiments qui régnaient en Pologne étaient particulièrement contradictoires, ce que les bolcheviks allaient mal analyser, selon les dires même de Lénine plus tard.

4 – Mobilisations des masses

Dans les premiers jours suivant l’arrivée de l’armée rouge à Bialystok, on perçoit une grande improvisation, le journal reconnaissant que le nouveau gouvernement n’est pas encore au complet, il lance donc la campagne « Prenez le pouvoir dans vos mains, formez des tribunaux » (« bierzcie wladze w swe rece, czyncie sady »), en encourageant des ouvriers à participer au pouvoir, « sans distinction de nationalité, d’origine et de sexe » et en mobilisant sous le slogan « mort aux bourreaux des ouvriers, des paysans et des soldats polonais ! ». Le journal diffuse des chants de victoire et anti-Pilsudski, il annonce la durée de travail de 8 à 10 heures, l’organisation de meetings dans les usines et les villages, appelle à créer une armée rouge polonaise et à enregistrer les volontaires uniquement à partir des ouvriers et des paysans n’utilisant pas de main-d’oeuvre salariée. Il appelle aussi à la reconstruction des usines et surtout à celle des voies de chemin de fer. Plusieurs manifestations de masses sont organisées avec chants, étendards syndicaux, drapeaux communistes. A Bialystok, le journal décrit une manifestation de plusieurs milliers de participants devant le « Palais du travail anciennement Branicki » où Marchlewski a pris la parole et d’autres dirigeants dont les noms sonnent souvent juifs, ce qui tendrait à démontrer que la base sociale locale du TKRP au départ s’appuyait plus sur cette minorité que sur les Polonais et les Biélorussiens locaux, et ce qui allait dans le sens de la propagande xénophobe souvent entonnée alors à Varsovie. L’Internationale y fut chantée en plusieurs langues, les cheminots étant absents de cette manifestation car ils étaient censés la célébrer en travaillant d’arrache pied à reconstruire le réseau ferré. Lors de cette manifestation, Feliks Kon, le rédacteur en chef du Goniec Czerwony, déclara avec une note de tristesse « La joie est ternie par la conscience que nous n’avons pas nous-mêmes rompu les chaines de l’oppression ...Alors que nous étions autrefois à l’avant-garde de la révolution, nous avons dû attendre l’aide des frères russes pour planter en Pologne l’étendard de la révolution »5, la cause de cette situation qui entrait effectivement en contradiction avec le rôle d’avant-garde joué par la Pologne lors de la Révolution de 1905, ne pouvait toutefois selon lui être due à la faute du prolétariat polonais mais provenait des emprisonnements, des tortures et des déportations de par le monde des travailleurs polonais expérimentés par la faute du tsar puis du kaiser. Effectivement, les déportations massives d’ouvriers polonais vers la Russie centrale opérées par les armées du tsar en 1915 avaient certes contribué à renforcer le potentiel rouge en Russie même mais avait contribué à affaiblir son impact sur les bords de la Vistule ...Mais peut-être, lança Kon, que Varsovie allait encore pouvoir se libérer par elle-même avant l’arrivée de l’armée rouge. Phrases qui témoignent des rêves qui semblaient toucher les communistes polonais mais aussi d’une certaine forme de sentiment national, même si la manifestation se termina par des vivats concentrés en l’honneur de Lénine et Trotsky ainsi qu’à des héros rouges du travail.

D’autres rencontres furent organisées dans la ville, le Goniec Czerwony annonçant 500 participants à la réunion syndicale des ouvriers de l’industrie de la peau de Bialystok et une réunion de tous les syndicats de Bialystok rassembla semble-t-il environ 600 personnes, en se terminant par une résolution adoptée par acclamation en faveur du TKRP. Le journal annonça aussi la réunion des garçons de café et des cuisiniers de la ville ainsi qu’une réunion avec présence obligatoire de la « section polonaise » des enseignants. « Manifestation gigantesque » annonçait-il aussi à Bielsk en faveur du TKRP qui adopta la résolution « Nous, citoyens, soldats de l’armée rouge et prisonniers de l’armée de Pilsudski, nous envoyons des milliers d’injures à la bourgeoisie mondiale qui essaie de toutes ses forces d’appuyer les bandes contre-révolutionnaires visant à étouffer le prolétariat russe et polonais »6 et il lançait l’appel « Défendez votre patrie révolutionnaire contre la bande d’exploiteur capitalistes internationaux ! »7. La multiplication des termes « kraj », le pays, ou « ojczyzna », la patrie, dans les pages du journal témoigne du fait que les communistes polonais avaient conscience de l’ambiguïté de leur position eu égard aux sentiments nationaux polonais. Des membres du KPRP allèrent à la rencontre des prisonniers polonais qui adoptèrent, annonce le journal, une résolution des « prisonniers-légionnaires » dénonçant le gouvernement de Varsovie. Le journal annonçait par ailleurs qu’une fois la Pologne libérée d’un pouvoir agresseur qui avait rendu la guerre inévitable, l’armée rouge russe quitterait le pays pour remettre le pouvoir aux masses polonaises.

Le journal ne tait pas les grandes difficultés auxquelles se heurtait la population nouvellement conquise mais soulignait que c’était de la faute de l’armée polonaise qui avait tout détruit en Pologne comme en Biélorussie avant d’évacuer le territoire, d’où les difficultés d’approvisionnement et de communication pour les civils et pour l’armée rouge, d’où le slogan : « Il faut sauver le pays, il faut s’engager dans le combat contre la famine et la destruction ! »8. A chaque numéro, on constate que le soucis économique principal se résumait à trois questions centrales : reconstruire les voies ferrées, participer aux moissons, moudre le blé, tandis que la guerre faisait rage et que le journal annonçait la défaite imminente du gouvernement de Varsovie en s’appuyant entre autre sur un article du correspondant à Varsovie du journal allemand Kölnische Zeitung dont on peut supposer que la lecture était assez rapidement faite pour être communiquée à Bialystok via la Russie. Efficacité donc des services de propagande bolcheviks.

On doit remarquer que la propagande du TKRP tentait de répondre aux questions difficiles comme celle de la légitimité nationale qui devait incontestablement poser des problèmes aux autorités mises en place dans la foulée de l’arrivée d’une armée étrangère. C’est ainsi que le gouvernement de Varsovie était accusé non seulement d’être aux ordres de puissances étrangères mais constituait quasiment un gouvernement de trahison nationale. Dans l’article « Le crime national des patriotes polonais » (« Zbrodnia narodowa patrjotow polskich »), il est écrit que « ...Ce patriotisme a amené à renoncer aux intérêts polonais dans l’ancienne Pologne prussienne »9. En particulier, il donne comme exemple le plébiscite qui vient d’être perdu par la Pologne en Mazurie où la population a voté contre la Pologne à cause, selon le Goniec Czerwony :

- du fait qu’elle est protestante et que la nouvelle Pologne a été réservée aux catholiques,

- qu’elle a mené une politique agressive contre la Russie qui a fait que les Mazuriens ne veulent pas appartenir à une telle Pologne.

Le journal fait des analyses comparables pour la Haute-Silésie et la Silésie de Cieszyn, alors en mains allemandes et tchèques. Il accusa même Pilsudski d’avoir voulu donner la Poznanie aux Allemands qui l’ont toutefois refusée non pas par manque de désir impérialiste mais parce que le prolétariat allemand ne l’aurait pas permis. Grabski de son côté aurait proposé des territoires polonais aux Tchèques en échange de leur aide mais le gouvernement tchécoslovaque a finalement préféré la paix avec la Russie, le gouvernement polonais en étant dès lors réduit à chercher comme allié des pays comme la Hongrie et la Roumanie (qui ne voulait toutefois pas selon le journal s’engager dans la guerre malgré la pression française et qui se limitait à permettre à des formations de volontaires de se constituer pour aller en Pologne). Le journal rappelle aussi que le général Haller revenu du front français où il avait combattu aux côtés de l’armée française après avoir quitté la Russie où il était entré en opposition avec les bolcheviks en 1918 avait autrefois trahi Pilsudski à l’époque de leurs alliances avec les empires centraux, laissant ainsi entendre que l’armée polonaise constituait un amalgame fragile et un panier de crabes d’ambitieux.

Contre Pilsudski, Goniec Czerwony annonce des arrestations de masse à Varsovie et la répressions des syndicats en n’hésitant pas à lancer comme slogan la création d’un tribunal pour les responsables de la défaite annoncée de leurs adversaires. Il annonce également que des policiers polonais de Bialystok évacués par l’armée polonaise sous prétexte d’aller toucher leurs salaires qu’ils n’ont finalement pas reçu auraient fui les zones aux mains des troupes polonaises pour rejoindre Bialystok. De même, il annonce la préparation de la construction d’un monument à Lapy pour célébrer Bronislaw Wesolowski et les autres membres de la délégation de la croix rouge russe envoyés en Pologne, et assassinés selon le journal par les autorités de Varsovie. Il appelle dans ce contexte les soldats de l’armée polonaise à créer des conseils de soldats.

5 – Vols et réquisitions

Un sujet délicat pour le TKRP, les violences commises par des militaires de l’armée rouge qui semblent impossibles à nier. Le Goniec Czerwony souligne à plusieurs reprises que cette armée doit se nourrir, qu’elle a aussi du réquisitionner des chevaux car il n’y avait plus de chemins de fer détruits par les armées de Pilsudski et que quand l’approvisionnement arrivera les réquisitions cesseront. Dans un article, il pose ainsi la question : « Est-ce que le soldat révolutionnaire saignant de ses blessures, infecté de saleté n’a pas le droit de prendre du pain quand il a faim, de prendre des bottes quand il est sans chaussures, a-t-on le droit de le laisser sous la menace de faire perdre la question de la liberté parce que des seigneurs polonais ont voulu couper les communications, l’approvisionnement, l’intendance. Il ne peut y avoir de liberté sans sacrifice ! » Le journal annonce que plusieurs villages donnent de la nourriture à l’armée, le village de Bagnowka par exemple a donné 100 pouds de blé et 200 pouds de pommes de terre, mais il admet aussi que des choses inadmissibles ont eu lieu à Lomza de la part d’un détachement de l’armée rouge qui volait et se comportait de façon barbare, et qu’il a fallu envoyer un autre détachement pour restaurer l’ordre. Il demande que de tels actes soient signalés aux comités révolutionnaires.

Les villes sont sollicitées pour envoyer des travailleurs pour faire les moissons, les cheminots sont appelés à combattre « armja jasniepanska », « l’armée des ci-devants », les établissements de commerce de Bialystok sont d’abord fermés pour inventaire pour se voir ensuite sommés de rouvrir.

6 – Les répressions

Le journal annonce que selon la propagande de Pilsudski, il y aurait eu des vagues d’arrestations massives à Bialystok, des exécutions, des pillages mais il donne comme exemple le cas d’un dirigeant local, Siemiaszko, dont on a annoncé l’exécution à Varsovie alors qu’on sait bien à Bialystok que pas un cheveu n’est tombé de sa tête. Le journal annonce en revanche la peine de mort pour les vols et les viols, l’inviolabilité de la propriété paysanne, l’obligation pour toute manifestation d’obtenir l’autorisation du comité révolutionnaire local, de remettre aux archives les affiches et tracts émis après l’arrivée de l’armée rouge, l’obligation pour les propriétaires de moulins d’être présents sur les lieux, l’interdiction d’utiliser des camions sans l’autorisation du département des transports, l’autorisation nécessaire pour mener des activités commerciales, toutes mesures qui peuvent se comprendre dans une situation de pénurie et de guerre. Le journal n’annonce en revanche aucune mesure concrète visant les opposants à son régime même s’il décrit en détail les lois adoptées les visant. C’est ainsi qu’il annonce que les tribunaux militaires révolutionnaires peuvent juger partout là où a été décrété l’état de guerre ou de siège :

 

- les affaires contre-révolutionnaires

- les grosses affaires de spéculation

- les questions de corruption et de crimes

- les activités visant à discréditer malicieusement le pouvoir des conseils

- la protection des déserteurs de l’armée rouge

- le banditisme

 

Les jugements de ces tribunaux sont sans appel et cassation, et doivent être exécutés dans les 24 heures suivant le jugement, décret qui leur laisse, il faut bien le dire, une marge de manœuvre quasiment sans limite.

La politique dans le domaine agraire a occupé une place importante et récurrente dans le journal. Dans le numéro 1 du Goniec Czerwony, on appelait à la création de comités d’employés de domaines (« komitety parobczanskie »), en soulignant que l’armée rouge avait l’ordre de ne pas toucher au blé. Dans cet article, on demandait l’arrestation sans commettre violence envers eux des grands propriétaires terriens pour les remettre au comité révolutionnaire local. Le journal soulignait qu’il ne fallait pas détruire les manoirs ou châteaux qui allaient être utiles comme écoles, hôpitaux, salles de réunion ou pour loger ceux qui avaient des logements trop petits. Il ne fallait pas non plus détruire les « folwark », les domaines seigneuriaux, ni les morceler en distribuant la terre aux paysans car ils allaient devenir propriété de toute la nation : « il ne faut pas s’attaquer aux grands domaines mais garder l’exploitation en totalité car il n’y a pas assez de terre en Pologne pour tous »10. On semblait donc s’orienter vers la création de fermes collectives sans procéder à une réforme foncière en faveur de la petite paysannerie. Mais dans le numéro 2, donc dès le lendemain, un article déclarait que la propriété paysanne était intouchable et annonçait que les petits paysans allaient recevoir une partie des terres prises aux grands propriétaires, et que les comités d’employés de grands domaines11 allaient procéder à un inventaire et fournir une aide aux paysans lors des moissons. On annonçait aussi la nationalisation des forêts, l’annulation des impôts et des dettes ainsi que des intérêts bancaires. Et la création de comités révolutionnaires dans les campagnes devant préparer les élections pour les conseils de délégués des communes et districts donnant le droit de vote aux ouvriers agricoles et aux seuls paysans exploitant eux-mêmes leurs exploitations sans employés. Cet accent mis sur la préservation des grands domaines fonciers dans le numéro un du Goniec Czerwony semble entrer en contradiction avec l’accent mis sur la petite paysannerie propriétaire dans le numéro deux où l’on envisageait au moins partiellement une distribution de terres en sa faveur, ce qui pourrait témoigner de divergences existant chez les communistes polonais quant à la politique agraire à suivre. Dans le numéro cinq, on allait d’ailleurs souligner que la nourriture paysanne ne pouvait être réquisitionnée ou confisquée, et Marchlewski proclamait que seuls les surplus devaient être enregistrés.

Dans le numéro 7, un long article commençait par citer l’exemple russe mais en soulignant immédiatement les différences existant avec la Pologne où les ouvriers agricoles travaillaient directement pour le propriétaire et non pas, comme en Russie, où ils lui remettaient une grosse partie de ce qu’ils avaient produit eux-mêmes sur la terre qui était sa propriété. Il fallait donc selon cet article maintenir les domaines fonciers (« folwark »), sans toucher pour autant à la propriété paysanne, et remettre aux paysans ayant peu de terres, là où c’était possible, une partie de la terre des domaines en planifiant « intelligemment » ces changements. Distribuer aussi les prairies et pâturages des domaines et les réserves de foin et d’engrais. Les comités d’employés de domaines devaient aider les paysans en leur prêtant leurs machines ou leurs chevaux.

Il est intéressant aussi de noter que, après avoir utilisé le terme de comités d’employés de domaines, dans le dernier numéro du journal qui put paraître avant le retour de l’armée polonaise, Stanislaw Bobinski lança un nouveau slogan « Vive la République polonaise des conseils des ouvriers des villes et des campagnes ! »12, ce qui semble dénoter une volonté de « prolétariser » la paysannerie sans terre.

8 – politiques religieuses

La question religieuse ressort plusieurs fois elle-aussi dans les pages du Goniec Czerwony. Dans le n° 2, on soulignait que le TKRP n’allait pas se mêler des affaires religieuses et qu’il fallait respecter les églises et les prêtres à condition qu’eux acceptent de leur côté le principe « Éloignez-vous des affaires laïques ! »13. On annonça rapidement en revanche la nationalisation de toutes les écoles de toutes confessions ainsi que des bibliothèques, librairies, théâtres, cinémas, imprimeries, maisons d’édition et entrepôts d’instruments de musique. Le nouveau pouvoir décréta la liberté de conscience, le droit de croire ou de ne pas croire, la séparation des Églises et de l’État et l’interdiction aux religieux de se mêler des affaires de l’État. La liberté d’aller participer aux activités religieuses fut en principe reconnue mais les religieux n’avaient pas le droit de se mêler de l’enseignement, et l’enseignement de la religion en parallèle était laissé à la décision des parents. Seuls les croyants devaient financer les fonctions religieuses. Dans le n°6, un long article revenait sur la question de la religion en mentionnant que les Églises et les religions avaient toujours été utilisées comme instrument de domination des classes privilégiées qui promettaient « une justice dans l’au-delà » et utilisaient un climat de « peur superstitieuse ». L’intolérance était considérée comme répandue dans toutes les Églises et religions citées explicitement à cette occasion, dans cet ordre et sous cette forme, pas intégralement alphabétique : « catholicisme, orthodoxie, luthéranisme, calvinisme, presbytérianisme, mahométanisme, judaïsme ». On notera que dans ces articles l’équilibre était cependant maintenu entre les critiques visant les prêtres et les rabbins. On rappelait que la liberté de conscience n’existait que depuis la Révolution française, et uniquement en fait en France, en Suisse et aux États-Unis d’Amérique du Nord. En Pologne, les grands propriétaires et la bourgeoisie s’appuient sur l’Église tandis que le puissant pouvoir des kahal (conseils religieux juifs) tendait à « maintenir ses fidèles dans l’antagonisme envers la population chrétienne ».

Dans un autre article, le journal soulignait que la propagande ennemie prétendait que les communistes détruisaient les églises et opprimaient la croyance, ce qui n’est pas à leur programme mais il n’y aura plus à l’avenir en revanche de croyance privilégiée. Il annonçait aussi que les prélats religieux seront punis s’ils cherchent à imposer la participation à des activités religieuses, en particulier par le biais de dénonciations publiques ou d’excommunications, chose qui semblait viser dans ces articles particulièrement les rabbins.

9 – Questions de nationalités

Si la question religieuse a été amplement abordée par le journal, on ne trouve pratiquement rien sur la question des nationalités ce qui doit étonner dans cette région pluriethnique. Hormis une mention sur l’égalité des nationalités et sur le fait de devoir voter sans tenir compte de la nationalité du candidat, rien sur le sujet. Notons toutefois que le journal annonçait dans son premier numéro une réunion du Bund communiste et de Poaleï-sion, et pas d’action équivalente pour le PPS socialiste polonais ou le SL agrarien polonais visiblement considérés comme des ennemis plus irréductibles. On ne trouve absolument rien dans le journal sur les Biélorussiens, si ce n’est une mention dans un article consacré au général Bulak-Balachowicz qui combattait aux côtés de l’armée polonaise et que l’on dénonçait comme un trublion violent se prétendant biélorussien mais rassemblant un ramassis de pilleurs de toutes nationalités. On notera aussi l’annonce d’un concert-meeting consacré à la culture prolétarienne organisé par des militants portant tous les trois des noms polonais alors que l’ensemble de l’orchestre portait des noms juifs.

On doit aussi remarquer que tout au long des pages du journal, le nom d’Unszlicht, visiblement juif, n’apparait qu’une seule fois lors de la formation du TKRP, mais celui de Kon, tout aussi juif, apparait plusieurs fois. Les noms de dirigeants ou activistes politiques cités dans le journal, à l’exception de ceux-là, sont en fait presque tous polonais, parfois ils peuvent sembler russes mais jamais juifs, alors qu’on sait que de nombreux juifs d’origine avaient adhéré au KPRP, ce qui laisse penser que le TKRP préférait passer cet aspect sous silence pour apparaître plus polonais qu’il ne l’était. En fait, la question des rapports entre nationalités n’est jamais abordée dans les pages du Goniec Czerwony, seule la question juive dans le cadre de la dénonciation de la religion, mais pas sous l’angle de la nationalité. On peut s’étonner aussi que, alors qu’une grande partie des partis de la droite nationaliste polonaise entonnaient à Varsovie des slogans sur le « judéo-bolchevisme » qui légitimaient les comportements antisémites, rien la question n’est pas abordée dans le Goniec Czerwony pas plus que celle des droits de la minorité biélorussienne traditionnellement défavorisée. Ce qui laisse penser que les communistes polonais de toutes origines préféraient ignorer ces sentiments qui les gênaient dans leur propagande et qui restaient répandus dans la société. Des Polonais de toutes tendances estimant que les Juifs étaient trop fortement représentés au sein des pouvoirs bolchéviks et des communistes juifs estimant que les rabbins portaient une part de responsabilité dans le développement d’un « tribalisme juif » provoquant à l’égard des autres populations.

10 – Les voisins orientaux de la Pologne

Le Goniec Czerwony salua au même moment la formation du Comité révolutionnaire provisoire de Galicie orientale, il mentionna bien sûr la signature de la paix entre la Russie soviétique et la Lettonie. Lorsque la Russie soviétique attribua la région de Wilno/Vilnius à la « Lituanie bourgeoise », le journal souligna que la question de la révolution en Lituanie devra être tranchée par les Lituaniens eux-mêmes, mais on trouve aussi un article relatant les tortures des militants ouvriers dans les prisons de Kaunas.

11 – la vie quotidienne

La vie quotidienne occupe une place régulière dans le journal même si les articles relatant ces questions sont souvent plus courts que les autres. Entre certains appels répétés à la « la reconstruction du pays », on trouve une série d’informations brèves sur la création de cuisines pour les pauvres, l’aide médicale gratuite, la distribution des cartes de rationnement, l’ouverture obligatoire des commerces, la nomination d’un plénipotentiaire pour le reconstruction des chemins de fer, les ventes de pains, l’obligation faite aux propriétaires des coffres bancaires de se rendre à la banque pour qu’on ouvre les coffres en leur présence, l’enregistrement obligatoire des membres des comités d’usine, une demande d’embauche de correcteurs et de traducteurs pour le journal, les activités de choristes, la création de syndicats, le lancement de cours sur les maladies contagieuses dans les villages, le lancement de cours pour les analphabètes, les mesures pour préparer l’hiver en rassemblant le bois et le charbon, l’enregistrement des agronomes et des gardes forestiers, l’enregistrement des coopératives existantes, la distribution de billets gratuits pour le cinéma, le redémarrage de l’industrie textile, la nécessité pour les commerçants de procéder à des inventaires exacts, l’enregistrement des anciens fonctionnaires de l’administration au chômage, la lutte contre l’alcoolisme dans l’armée rouge et dans la population qui imposait de mettre la vodka sous contrôle strict, et si cela s’avérait impossible, de la jeter dans le fumier.

Le journal annonçait aussi que l’armée polonaise en s’enfuyant avait laissé les prostituées soignées dans un établissement sanitaire de la région se disperser et qu’elles devaient être rattrapées pour être soignées car elles transmettaient des maladies. Le journal note les difficultés d’approvisionnement, le manque de papier, le ramassage de peaux, la nécessité d’aider les campagnes et de moissonner les champs laissés à l’abandon avec l’aide de travailleurs et des chômeurs des villes. Bref, ces informations tendent à donner une image des problèmes quotidiens auxquels se heurtaient les habitants en voulant montrer la bonne volonté des autorités. On doit reconnaître que vu la très courte période pendant laquelle celles-ci ont exercé le pouvoir, elles ont fait montre d’une grande énergie et aussi d’une grande fermeté, avec la certitude qu’elles étaient là pour y rester et sans vraiment connaître toujours les réalités ambiantes. Les erreurs et violences auxquelles cette courte période a donné lieu sont mentionnées lorsqu’il s’agit de cas de violences spontanées, mais on notera que tout en niant les accusations de répressions venant de Varsovie et en annonçant la formation de tribunaux jouissant de pouvoirs extraordinaires et expéditifs, rien n’est dit sur la façon dont les répressions concrètes des partisans du gouvernement polonais de Varsovie étaient menées. Il semble y avoir eu aussi des divergences sur la politique agraire à mener. On doit également noter que le fonctionnement de la Russie soviétique n’est quasiment pas décrit et tout l’espoir des communistes polonais semble résider dans la victoire de la révolution à l’échelle européenne. Notons également que, si les pays étrangers sont mentionnés en passant, l’horizon du journal s’étend au monde entier et pas seulement à l’Europe, même si l’on note par ailleurs un fort eurocentrisme des auteurs qui semblent croire qu’ils ont quitté la Russie définitivement. Ce qui peut expliquer les déboires ultérieurs de beaucoup de ces communistes polonais revenus en Russie après l’échec de l’armée rouge devant Varsovie. Les relations entre communistes russes et polonais allaient en effet, malgré les proclamation de fraternité exemplaire, s’exacerber entre la période de la guerre polono-soviétique et la dissolution du Parti communiste polonais par le Komintern en 1938.

La lecture des quelques numéros du journal des communistes polonais arrivés de Russie et tentant de bâtir avec l’aide de communistes locaux une nouvelle réalité démontre l’improvisation dont ils durent faire preuve, une énergie tenace, des hésitations sur la manière de mener la politique agraire ou religieuse, la conscience de devoir se trouver une légitimité patriotique polonaise en abordant la question des territoires frontaliers polono-allemands, la crainte d’aborder la question des tensions interethniques et l’espoir que les graves problèmes économiques seraient résolus grâce à une révolution universelle permettant de moderniser le pays et de rattraper son retard économique. On n’a pas l’impression à la lecture de ce journal que les communistes polonais étaient particulièrement enthousiastes envers la façon dont la Russie soviétique était gouvernée puisque, hormis des déclarations d’appui très générales, il n’y est presque pas fait état sur ce qui se passe dans ce pays et on a en finale plus d’informations sur l’Allemagne ou d’autres pays que sur la vie en Russie. Cela laisse penser que les communistes polonais étaient solidaires de la Russie soviétique dans son combat contre le capitalisme mais qu’ils n’étaient pas vraiment persuadés de la capacité des Russes de bâtir un système socialiste développé et correspondant aux espoirs des Polonais. Il faut rappeler que le Parti communiste polonais allait encenser « les trois L », Lénine, Liebknecht, Luksemburg, en lieu et place du léninisme adopté par le PC soviétique à partir de la mort du fondateur de l’État soviétique. Ce qui explique les critiques pour « luxembourgisme », et parfois quasiment de trotskysme malgré l’exclusion des partisans de l’ancien chef de l’Armée rouge, dont il allait être l’objet à Moscou dans les années 1930.

Il est difficile aussi de savoir à la lecture du Goniec Polski quel fut l’écho réel de leur propagande auprès des populations, les espoirs mis par Feliks Kon dans la possibilité d’une révolte des Varsoviens contre le gouvernement polonais avant l’arrivée de l’armée rouge démontrent toutefois une méconnaissance réelle de l’état d’esprit des Polonais à ce moment là.

Pour terminer, rappelons que le rédacteur en chef du journal, Feliks Kon, après avoir du quitter la Pologne face à la contre-offensive de l’armée polonaise, occupa plusieurs fonctions politiques en République socialiste soviétique d’Ukraine, qu’il allait ensuite travailler à la radiophonie soviétique et occuper la fonction de rédacteur en chef de « Trybuna Radziecka » (La Tribune soviétique), journal destiné à la population polonophone habitant l’URSS. Début 1941, il entrait dans l’équipe de « Nowe Widnokregi » (Horizons nouveaux), sous l’égide de Wanda Wasilewska14, journal intellectuel polonais créé dans la ville encore très majoritairement polonaise à l’époque de Lwow. Au moment de l’attaque allemande contre l’Union soviétique en juin 1941, il fut nommé directeur de la section polonaise de radio Moscou mais il mourut dès juillet 1941 lors de son évacuation vers la ville de Kouïbichev où étaient réfugiés alors, à l’abri de l’atteinte des troupes allemandes, tous les services de l’État qui n’étaient pas indispensables à Moscou. Des autres membres de la rédaction, Julian Marchlewski est décédé en 1925, Feliks Dzierzynski est décédé en 1926 tandis que Edward Prochniak allait être condamné à mort et exécuté en juillet 1937 pendant la « iejovchtchina », les grandes purges de la période Iéjov15 qui se termina en décembre 1938 avec son licenciement du NKVD. Prochniak allait être réhabilité en 1955, de même que Jozef Unszlicht qui allait être condamné à mort et exécuté en juillet 1938 puis réhabilité en 1956.

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Notes

(1) http://pbc.biaman.pl/dlibra/publication?id=22245 >, consulté le 21-XI-2017.

(2) Il faut rappeler que le Parti communiste ouvrier de Pologne (KPRP plus tard KPP) fut fondé en janvier 1918 à partir de la fusion de deux partis existant depuis les années 1890, la Social-Démocratie du Royaume de Pologne et de Lituanie fondée par Roza Luksemburg et Feliks Dzierzynski et le PPS-lewica, ou Parti socialiste polonais – de gauche issue de la fraction de gauche internationaliste du Parti socialiste polonais formée au cours de la Révolution de 1905. A l’époque, la moitié des mouvements de grève qui ont agité l’empire des tsars s’étaient produits en Pologne. Le KPRP n’était donc pas issu comme la plupart des partis communistes d’une scission de gauche de partis sociaux-démocrates provoquée par la Révolution bolchevique. Les communistes polonais réussirent à faire élire beaucoup d’entre eux dans les Conseils ouvriers qui virent le jour en Pologne à partir de novembre 1918, en particulier dans les villes « rouges » depuis 1905 de Lodz, du bassin minier de Dabrowa Gornicza, des faubourgs et banlieues de Varsovie, de Lublin et de Bialystok. Une Garde rouge vit même le jour à Dabrowa Gornicza en même temps que des paysans ayant à leur tête un militant agrarien et un prêtre catholique proclamaient dans le centre de la Galicie une « République de Tarnobrzeg » porteuse de réformes sociales radicales. Ces tentatives visant à créer des embryons de pouvoirs révolutionnaires furent réprimées par les forces plus conservatrices, y compris celles du Parti socialiste polonais PPS qui avait pourtant proclamé avec des agrariens de gauche le 7 novembre 1918 à Lublin un « Gouvernement populaire de la République de Pologne » qui accepta toutefois de se saborder le 11 novembre 1918 au profit de Jozef Pilsudski et d’un gouvernement d’ « Union nationale » plus conservateur. L’ex-socialiste Pilsudski revenait alors de son internement en Allemagne d’où il avait été libéré grâce à la Révolution allemande. La guerre polono-soviétique allait servir aussi à réprimer les tendances révolutionnaires dans tout le pays et qui s’étaient même manifestées le 11 novembre 1918 dans le centre de Varsovie lorsque l’insurrection visant l’armée d’occupation allemande et qui bénéficiait de la sympathie des conseils de soldats allemands présents dans la capitale polonaise plantèrent le drapeau rouge au sommet du château royal de Varsovie comme symbole d’une Pologne renaissante qui devait rompre avec celle qui avait disparu au XVIIIe siècle à cause de la trahison de ses élites aristocratiques. Lune grande partie des ouvriers polonais héritiers de la Révolution de 1905 avait de son côté été déportée en Russie centrale avec les machines de leurs usines au moment de la défaite russe de 1915. Ils ont joué un rôle essentiel dans les révolutions russes de février puis d’octobre 1917 et se virent pour la plupart plus tard interdits de retour dans leur patrie malgré le traité de Riga signé entre la Pologne, la Russie et l’Ukraine soviétiques en mars 1921 et qui garantissait en principe le droit aux rapatriements des citoyens des ces trois entités déplacés chez le voisin au cours du conflit mondial.

(3) Ce territoire avait déjà été formellement détaché de la Pologne par le tsar en 1912.

(4) Voir par exemple l’article : http://www.lapenseelibre.org/article-marx-lenine-les-bolcheviks-et-l-islam-n-60-104736418.html

(5) « ...radosc maci jedna swiadomosc, iz nie sami zerwalismy petla niewoli ...niegdys przednia straz rewolucji, musielismy czekac pomocy braci rosyjskich by sztandar rewolucji nad Polske natknac », GC n°3.

(6) « My obywatele, Zolnierze armji czerwonej i jency z armji Pilsudskiego, zsylamy tysiace przeklestw na burzuazje swiatowa ktora wszelkimi silami stara sie popierac bandy kontrrewolucyjne by zdusic proletarjat rosyjski i polski » , GC n°11.

(7) « Broncie Waszej Ojczyzny Rewolucyjnej przeciwko miedzynarodowej szajce wyzyskiwaczy kapitalistycznych ! », GC n°9.

(8)  « trzeba ratowac kraj, trzeba stanac do walki z glodem i zniszczeniem ! », GC, n°11.

(9) « ...ten patrjotyzm doprowadzil do zaprzepaszczenia spraw polskich w dawnym zaborze pruskim », GC n°12.

(10) « nie nalezy szarpac folwarkow tylko gospodarstw zachowac w calosci bo w Polsce ziemi nie starczy dla wszystkich », GC, n°1.

(11) « komitety folwarczno-parobczanskie »

(12) « Niech zyje Polska Republika Rad robotnikow miast i wsi !» , GC, n°12

(13) « wara od spraw swieckich ! », GC n°2.

(14) Enseignante et fille d’un des proches de Jozef Pilsudski qui fut son parrain, elle évolua vers des positions d’abord socialistes de gauche avant de passer au communisme et de se réfugier en Union soviétique en 1939. Elle n’allait pas rentrer en Pologne en 1945 car, épouse d’un écrivain ukrainien, elle s’installa à Kiev auprès de son mari qui y occupait des positions dirigeantes.

(15) Nikolaï Iéjov dirigea le NKVD de septembre 1936 à novembre 1938, après avoir succédé à Guenrikh Yagoda qui le dirigea de juillet 1934 à septembre 1936. Iagoda et Iéjov organisèrent les grandes purges avant d’être eux-mêmes tous deux accusés, jugés et exécutés pour avoir mené des activités fractionnelles et criminelles, entre autre d’avoir empoisonné Wiaczeslaw Mienzynski, leur prédécesseur mort en 1934, un noble « rouge » polonais placé à la tête du NKVD à la mort de Feliks Dzierzynski, lui-aussi polonais et noble d’origine.

 

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N°139 : Tordre le cou à la réforme de l'islam à l’européenne

Alors que la crise sociale et économique continue à se développer et que les autorités n'arrivent pas à imaginer des perspectives d'avenir pour les masses, le mécontentement se répand en même temps que les phénomènes de désagrégation sociale se multiplient. Le repli sur des solidarités traditionnelles devient souvent la seule solution de survie pour des populations laissées à l'abandon. Dans une situation internationale marquée par des guerres sans fin entretenues par un complexe militaro-industriel mondialisé qui y trouve son intérêt. L'industrie de la guerre, l'énergie et l'économie de la drogue semblent les seuls secteurs  économiques encore dynamiques de nos jours. Guerres qu'il faut justifier au nom de la lutte contre un terrorisme entretenu ici et combattu là par les puissances dominantes.

Pour garder les populations sous contrôle, les diviser et camoufler la question sociale, les questions identitaires sont mises de l'avant et la religion est réinterprétée pour empêcher l'émergence de théologies de la libération qui contribueraient à remettre la question sociale sur le tapis. Problématique qui concerne en Europe en particulier l'islam car les couches populaires sont pour une part importante liées à cette religion. Sous prétexte de réformer une religion qu'on a laissé être prise en main par des monarchies rétrogrades et alliées, il s'agit de garantir la poursuite de sa domestication. La réflexion sur l'islam a été engagée par les citadelles du conservatisme et du néo-conservatisme et il serait temps que les forces attachées au progrès social et à l'internationalisme formulent leurs propres réflexions sur la question.

La Rédaction

 

Tordre le cou à la réforme de l'islam à l’européenne

Badiaa Benjelloun  – Mars 2018

 

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De toutes parts se pressent les prédicateurs.

De toutes parts surgissent des réformateurs.

Sommés qu’ils sont de répondre à des injonctions médiatiques pour un phénomène néo-fondamentaliste sinon créé du moins mis en exergue par ces mêmes médias alors qu’il est minoritaire. Ils ne sont savants en aucune science et parfaitement ignorants dans celle qui, dans les sciences humaines, devrait être reine, l’histoire. Même si celle-ci subit les inévitables violences de ses falsificateurs et révisionnistes dont l’essentiel du travail consiste en l’occultation de certaines données et la déforment.

Les musulmans ont de tout temps vécu leur foi et ont pratiqué leur culte dans les conditions historiques qu’ils ont trouvées et qu’ils ont parfois transformées. La dimension à la fois initiatique et purificatrice du pèlerinage à la Mecque n’est plus du tout vécue aujourd’hui de la même manière par les fidèles qui se rendaient sur les lieux saints en plusieurs mois de voyage parfois périlleux. Le facteur limitant de cette obligation n’est plus tant la disponibilité ou le budget à y consacrer que le contingentement imposé par leurs actuels gardiens qui régulent le flux de millions de pèlerins et en tirent un grand bénéfice pécuniaire. L’essaimage d’adeptes de l’Islam dans des contrées proches des pôles terrestres obligent à adapter les horaires des prières et les périodes du jeûne quand les journées ne durent qu’une heure ou au contraire s’allongent sur près de 24 heures.

Dès la mort du Prophète (sws), des voix dissidentes par rapport à l’orthodoxie dite par le pouvoir centralisé du califat ont frayé un chemin vers des interprétations alternatives en matière politique et normatives. Les écoles de théologie ont rarement été indépendantes et ont toujours entériné la vision et les intérêts califaux. De 809 à 847, l’empire a adopté le mo’tazalisme sous le règne de trois califes abbassides, doctrine rationaliste, pour des raisons sans doute dictées en partie par la nécessité de se rallier des chiites modérés, alors que l’agitation sociale battait son plein et menaçait la stabilité du régime. Al Motawakil est ensuite revenu à la version sunnite traditionnelle sous la pression des clercs soutenus par la majorité des administrés. Cet épisode illustre ce que l’on peut appeler une loi sociale, observée ailleurs. Le pouvoir politique et militaire est allié aux théologiens pour énoncer une forme de canon religieux qui ne peut être totalement arbitraire car il tient compte des croyances qui imprègnent la population. C’est donc bien la règle sauf dans des situations de révolution idéologique, mais alors la situation sociale est prête à accueillir une transformation radicale du système en vigueur.

Toute réforme et toute retouche importantes apportées à une pratique ne réussit qu’à cette exigence, disposer d’un soubassement populaire pour aboutir à une transformation du statut ou du sort de la base qui les appuie.

La Réforme en Occident a été précédée par l’évolution de l’Eglise catholique en un corps qui a structuré toute la vie publique et privée, captant des ressources économiques considérables par le biais de taxes et d’impôts. Le mode de vie de ses membres, quel que fût leur rang dans la hiérarchie, apparaissait contradictoire avec les principes du christianisme qui recommandaient fraternité et justice. Les bouleversements qui ont accompagné les débuts du capitalisme, en particulier la suppression des biens communaux et la monétisation des travaux dus par la classe servile aux seigneurs et au clergé, ont été le ferment à l’origine du calvinisme et du protestantisme. Les prémisses des révoltes paysannes ont eu lieu dès le 14ème siècle1. Mais les premiers mouvements contestataires organisés sont nés en Grande-Bretagne quand se sont constitués toute une série de mouvements millénaristes et spiritualistes qui recommandaient le retour à la lecture de la Bible sans médiation d’un ministre nommé par une autorité extérieure. Les assemblées de culte des Quakers, sans prêtres et souvent silencieuses, ont pu fédérer près de 10% de la population à la fin du 17 ème siècle2. Typiquement, la révolte menée par le théologien Müntzer a embrasé une bonne partie de l’Empire romain germanique et a coalisé paysans et artisans des villes de plus en plus appauvris et fortement frappés par la domination des nobles et du clergé3. Elle a duré deux ans, de 1524 à 1526, précédée de nombre de soulèvements ponctuels qui ont éclos dès 1483 en Alsace. Ils ne réclamaient pas moins que l’abolition du servage et de la dîme ainsi que la sécularisation des biens de l’Eglise, se référant au droit divin promu par les Evangiles qui recommandait un ordre naturel, celui de l’égalitarisme. Luther qui inspira les insurgés condamna le mouvement qui fut écrasé dans le sang.

L’Islam, tout au long de sa présence sur les 14 siècles qui se sont écoulés, a connu des réformes et des penseurs réformateurs* . Aucun penseur à lui seul ne peut induire par ses péroraisons, démonstrations, arguments et rhétoriques plus ou moins savantes et fondées une Réforme.

De multiples prêcheurs qui se succèdent sur les scènes médiatiques, et ils sont  foule à vouloir s’y présenter avec plus ou moins de succès et de charisme, prétendent détenir la solution qui ferait évoluer la masse vers l'interprétation qu'ils donnent aux Ecritures. Cette ambition est d’autant plus dérisoire que la religion de l’Islam n’a jamais été structurée autour d’un Clergé qui dicterait une doxa à appliquer en tous lieux. Le rapport à Dieu est direct. Prétention est d’autant plus impraticable et injustifiable également que les pratiques furent d’emblée multiples. Dès les premiers temps, naquirent les Khaouarij (kharijites) et les Chiites. Une certaine version du kharijisme fut adoptée en Afrique du Nord, véhiculée par des dissidents qui fuyaient la répression des Omeyyades. Il convenait à l’organisation tribale qui avait cours car il prônait  une forme d’égalitarisme et de refus de l’autorité califale. Cette réticence à tout absolutisme exercé par un souverain lointain a imposé une forme politique d’équilibre politique entre un Sultan qui ne dispose que d’un pouvoir administratif et des tribus qui manifestaient leur désapprobation en faisant émerger de nouvelles dynasties ou en organisant des séditions de façon presque rituelle (bled Siba et bled Makhzen). Il faut noter qu’une Réforme en Islam a eu lieu au cours du 18ème siècle, l’une des dernières moutures sectaires médiévales. Elle a été le fruit de la rencontre entre la maigre pensée d’un homme assez peu instruit en sciences religieuses, Mohamed Ibn Abdel Wahab (1702-1792) qui fut considéré comme un hérétique et traité de tel, y compris par son propre frère Sulayman ibn Abdel Wahhab, avec un chef de tribu résidant dans une région peu favorisée par la nature en Arabie, le Nadjd. Le corps de sa doctrine est que le Tahwid, ‘le principe de l’unicité divine’, se décline en un triptyque. Le credo de l’unitarisme wahhabite consiste en la reconnaissance de l’unicité seigneuriale d’un Dieu unique. Aucune autre entité n’est associée à Son œuvre. L’unicité d’adoration est l’action d’obéissance et de soumission à Dieu. Il ne suffit pas de croire, il faut en plus obéir. L’unicité des noms et des attributs est peu développée par le fondateur de la secte, assez mal équipé pour s’engager dans des débats théologiques médiévaux longuement discutés. L’essence divine est d’une altérité absolue avec le monde, thèse admise par les mo’tazalites ou bien  Dieu a aussi des attributs. Sur le plan de la pratique, il l’assimile à l’associationnisme (« shirk »), le recours à l’intercession d’hommes saints et à un paganisme anté-islamique, la visite de tombeaux qui ne doivent plus être signalés ni par des coupoles ni par un édifice quelconque. La vaste descendance du Sheikh Mohamed ibn Abd el Wahhab qui va composer l’essentiel des Oulémas (savants religieux) cautionnant la monarchie et agréés par elle s’est occupée de perfectionner le dogme en l’enrichisssant de la définition des alliés et des désavoués (« al wala oua al baraa »).

Mohamed Ibn Séoud, fondateur de la dynastie et du premier royaume saoudien (1745-1818), ambitionnait grâce au pacte passé avec le réformateur de conquérir un territoire en réactivant la tradition bédouine des razzias. Il ne contrôlait en effet qu’un mince chapelet de petits bourgs. La zone je hauts plateaux est coincée entre les Beni Khaled qui régnaient sur l’Ahsa, riche région agricole qui tenait sous son contrôle le commerce avec l’Orient, et le Hidjaz aux mains des Chérifs de la Mecque, commerçants aisés qui tiraient des revenus du pèlerinage prescrit. Attaques éclairs et pillages menés par des bandes motivées plus par le butin que par une foi ardente furent au menu des conquêtes saoudiennes. Le troisième royaume, de 1932 à nos jours, s’est appuyé sur une organisation militaire conçue comme une superposition de trois forces, les Bédouins, les citadins et les Ikhwan. Ces derniers, les ‘Frères’, sorte de moines soldats vivaient de manière ascétique dans des sites qui leur étaient dédiés, organisés comme des phalanstères. Mais quand les Séoud ont utilisé la diplomatie pour se faire reconnaître à l’international, ils ont réprimé cette force austère et contestatrice. La résurgence inattendue des Ikhwan s’est concrétisée en 1979 lors de l’occupation de la grande mosquée de La Mecque par près de 400 compagnons de Juhayman Uttaybi, petit-fils d’un Ikhwan, membre de la Jami’a Salafyaa Mouhtassiba, groupe fonéd par des néosalafistes en 1970 à Médine. Juhayman croit que l’islam se régénérera à l’arrivée d’un nouveau Mahdi. L’assaut fut donné au bout de 13 jours par des commandos français. Une ‘fatwa’ approuvée par 36 oulémas (savants religieux) a naturalisé la présence de soldats mécréants au sein d’un lieu sacré, La Mecque où les armes et les combats sont traditionnellement prohibés. Cet acte impie a ouvert la voie au sacrilège suivant, également validé par une fatwa du grand Mufti, la collaboration avec la Coalition américaine contre les musulmans irakiens en 1990 puis lors des guerres du Golfe successives.

Ultérieurement, l’idéologie des Séoud qui a transformé le wahhabisme en religion d’État puis en nouvelle orthodoxie se révélera appuyée sur un trépied : la relative stagnation idéologique de l’islam favorisant sa colonisabilité, la fascination devant le clinquant du modèle capitaliste occidental, la tentative de refuge impossible dans une nouvelle tribalité mondialisée. Les Séoud alors devenus agents de l'impérialisme profitant des miettes qu’il leur concède tirées des revenus des hydrocarbures. C'est dans ce contexte que la masse des musulmans déracinés dans les périphéries des villes champignons du monde musulman puis du monde développé ont été atteints par ce sous-produit, artefact attestant d’une forme nouvelle de l’impérialisme anglo-saxon passé aux mains des USA.


Qu’en est-il d’une réforme de l’Islam dans les pays européens ?

La dernière estimation faite en 2007 donne le chiffre de 53 millions de musulmans en Europe, y compris la Russie avec 25 millions et la Turquie européenne avec 5,7 millions sur un total 730 millions d'habitants, soit 7% environ. Une étude de 2010 consacrée par le Pew Research Center4 évalue pour la France à 4,704 millions le nombre de musulmans, soit 7,5% de la population et une projection pour 2030 à 6,86 millions, soit 10,3% de la population totale. Ce travail tient compte des fertilités relatives des groupes humains, des phénomènes migratoires, de l’allongement de la durée de vie ainsi que de la répartition des groupes en classes d’âges. Ainsi 10% de musulmans avec une bonne part ayant moins de 15 ans a un autre poids qu’avec une pyramide moins évasée vers le bas. Nous sommes objectivement loin de "l’invasion des barbares" imaginée par des romanciers dispensateurs de sensations fortes à un auditoire blasé et repu de confort et de consommation en tous genre.

Il n’empêche. L’Islam est plus visible et on ne parle plus que de lui entre deux mondiaux de foot, des jeux olympiques frustrants, deux attentats terroristes réussis et dix déjoués, deux opérations de police par l’entité sioniste à l’égard d’un peuple palestinien prisonnier ou expulsé de sa terre et toutes ces guerres déclarées d’emblée interminables dans l’Orient arabe. Il y a à cela au moins quatre causes convergentes et certaines d’entre elles ne sont pas indépendantes l’une de l’autre et entrent en synergie.

Aux sources du scandale islamique

Tout d’abord, il y a une platitude mille fois ressassée par les ‘racialistes’ qui se disent racisés qu’il faut remiser dans les catégories des tautologies qui ne sont ni explicatrices ni émancipatrices. Non, cette islamophobie, désignons ainsi par commodité le rejet par les autochtones des musulmans quand leur religion est manifeste dans le champ public, n’a pas son origine dans la continuité directe du mépris ou de la haine de l’Arabe colonisé et ex-colonisé.

Ilôts de foi dans un océan athée et surtout anticlérical

Cet Islam, ces musulmans affichant leur foi sous forme de fichu sur la tête ou de barbe mal taillée, survient dans un paysage acquis sinon à l’athéisme du moins déchristianisé en profondeur depuis des siècles. Les guerres de religion en Europe ont été en réalité des affrontements entre une paysannerie en voie de transformation en citadins dépendant d’une offre de travail salariée, une classe bourgeoise ascendante, une caste nobiliaire de plus en plus parasitaire et un clergé propriétaire terrien et percepteur d’impôts. Elles ont fortement marqué le paysage et les traditions. En France particulièrement, le peuple, un peu moins affamé et un peu plus instruit, s’est détaché de la religion de son Roi, condition impérative pour assumer la révolution en faveur de la bourgeoisie. 1905 a été un point presque final pour arracher la fonction de l’enseignement, l’instruction autrefois dite publique, au clergé honni. Honni car le curé de campagne, même après le démantèlement des biens de l’Eglise, savait tout sur vous, la confession est un mode de surveillance plus efficace que Facebook. Il savait tout, usait et abusait de chacun et chacune, de l’enfant de chœur jusqu’à la fille-mère qui commettra l’infanticide dans un coin isolé. Le quadrillage, hérité de Rome, depuis le diocèse jusqu’à la petite paroisse était impitoyable. 1789, le récit qui en a été fait par Michelet, fondateur de la mythologie ‘républicaine’, c’est le triomphe de la chose publique, avec le cortège de jeunes filles allant déposer leur gerbes de fleurs et de blé au pied de la nouvelle divinité laïque, une fois décapité le seizième Louis sacré à Reims.

Des anticolonialistes sincères, d’abord médusés par tant de têtes avec couvre-chef ou cache-cheveux, se sont mobilisés contre cette ‘ostentation’ de la soumission à un Dieu qui les a désertés. Les guerres entre les puissances impériales essentiellement européennes ont fini par incorporer les femmes dans les armées du salariat et cet enrôlement massif fut nommé ‘libération de la femme’. Femmes et hommes, à salaire inégal, se font exploiter pareillement dans le système capitaliste, effaçant progressivement les rôles sociaux des deux sexes. Cette conquête, sortir les femmes du foyer, aggravera leurs conditions réelles car elle surajoute à l’enfantement et l’élevage des enfants l’obligation d’apporter un complément de salaire. Avoir sous les yeux un signe qui marque aussi nettement la différence sexuelle est une réelle offense pour toutes celles embrigadées dans les cohortes assujetties à une mode, prescrite par des hommes, qui les transforme en objets consommables et leur intime soit l’androgynie soit l’excessive suggestion érotique. Société de consommation et de convoitise oblige. Le fichu sur la tête n’est pas formellement prescrit dans le dogme islamique qui n‘énonce que la recommandation en faveur de la pudeur pour l’homme et la femme, mais il est inscrit très largement dans une tradition pratiquée sur tout le pourtour méditerranéen. Seul Saint Paul dans une de ses épîtres aux « Corinthiens » va émettre la formulation que la dissimulation des cheveux est synonyme de la sujétion du féminin au masculin. Dans la religion juive, port de la kippa et port d’un voile, comme en islam, le sens en est la soumission à Dieu. De plus en plus, le salafiste masculin arbore de son côté un calot ou un large keffieh en signe de piété, de soumission à Dieu, voire de pudeur.

Oui, la religion musulmane est sans doute scandaleuse car elle affirme une distinction sociale nette entre les deux sexes. A l'origine, l’homme doit subvenir aux besoins de son épouse et de sa famille. Il ne lui est pas supérieur, il doit assurer gîte, couvert et autres biens matériels en toute équité, l'épouse étant par ailleurs la maîtresse incontestée de la maisonnée. C’est pourquoi l'homme hérite deux fois plus que la femme. Au 7ème siècle déjà, et contrairement à ce qui se passait dans le monde chrétien, la femme héritait, et tous les frères à égalité. Dès l’instant que le rôle de pourvoyeur aux besoins matériels n’est plus dévolu à l’homme, cette répartition devient caduque. Ce que nombre de traditionalistes musulmans ne (veulent) peuvent pas comprendre.

Au Maroc, plus de 55% des chefs de famille sont des femmes. L’homme est soit absent, soit ne travaille pas. C’est ainsi que le retour à l’islam des origines fantasmé par les néo-fondamentalistes est voué à l’échec s’il se contente de recommander une réforme de l’individu sans s’attaquer aux conditions de vie matérielle dégradées qui en sont le limon.

Le fichu et la barbe choquent une société devenue areligieuse par anticléricalisme et qui n’est pas près de comprendre que la dernière religion monothéiste, du moins dans sa version sunnite majoritaire en Europe, fonctionne sans clergé. L’imam n’est pas un prêtre. Il est choisi parmi les personnes qui fréquentent la même mosquée pour diriger la prière. Il n’a pas d’autre fonction, il n’est ni prêcheur, ni confesseur et n’est pas rémunéré pour cette distinction. A côté de cela, il a toujours existé un corps de savants théologiens qui conservent le dogme et l’arrangent selon les circonstances politiques. Ils énoncent des ‘avis’ juridiques, qui ne sont pas forcément observés par les croyants ni entérinés par le pouvoir politique. Car, en dernière analyse, chaque musulman a appris dès ses premières leçons de religion qu'il n'a aucun intermédiaire entre lui et son Dieu et que les avis juridiques ne sont jamais obligatoires au niveau individuel, et que, s'ils le sont au niveau social, il faut qu'il y ait unanimité de tous sur la question (ijma’a). Car l'islam tend vers une société du consensus qui devrait normalement fonctionner selon les règles de la shoura, de la consultation. Chose qui peut expliquer pourquoi les sociétés musulmanes tanguent en permanence entre rébellions récurrentes et pouvoirs despotiques. Ces derniers cherchant coûte que coûte à maîtriser le discours religieux.

 

Crise(s) du capitalisme et révolution islamique

Deux événements distants de quelques années, la crise pétrolière de 1973 et la révolution islamique en Iran en 1979, vont concourir à transformer la pratique de l’islam partout dans le monde et donc aussi en Europe.

Un des fils qui va conduire à tisser une fausse bataille autour de l’Islam est à retrouver là, dans ce mouvement en ‘double hélice’ né de la hausse du prix du pétrole, lui-même décidé quand en 1971 fut mis fin par Nixon la convertibilité du dollar en or, l’un des déterminants qui avait imposé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le dollar comme monnaie d’échange et de réserve universelle. Ce moment de crise du capitalisme, constitué ontologiquement de crises de surproduction sur fonds de guerres destructrices de biens et d’hommes, va imposer au monde le poids de la dette du Trésor américain. Toute activité humaine d’une manière ou d’une autre va contribuer à soutenir une économie du Centre et sa monnaie qui finira par devenir la source principale d’elle-même par le biais de l’ingénierie financière. Le triomphe de cette économie d'usure mondialisée entre en contradiction frontale avec le principe islamique irréductible qui fait de l'usure le second péché en ordre d'importance après le polythéisme. Les théologiens au service des pouvoirs néocoloniaux allaient tenter de le faire oublier.

L’hélice avec ses deux brins complémentaires s’est construite autour des activités régionales et au delà de la République islamique d’Iran et de l’Arabie aux mains de la famille des Séoud.

Le premier brin de l’hélice résulte de l’installation d’un régime ‘islamiste’ en Iran. Le clergé chiite iranien, fortement structuré et doué d’une autonomie financière, dispose d’un véritable maillage de la société. Le régime de la terreur de la monarchie imposée par le Foreign Office n’a pu tarir, malgré sa répression féroce, l’irrigation de tout un peuple par ce réseau. Le clergé chiite, contestataire d’un régime autoritaire, répressif et d’un laïcisme frisant l’athéisme, allait être sinon encouragé du moins n’a pas été contrarié dans sa volonté de renverser le shah et sa dictature par l’Occident. L’ayatollah Khomeiny après avoir quitté l’Irak a trouvé refuge en France tout en poursuivant (ouvertement) ses buts politiques.

Le shah d’Iran a été le troisième homme à côté de Boumedienne et de Fayçal d’Arabie à avoir décidé de la hausse du prix du baril en 1973. Cette énergie fossile, de quasi-gratuite l’est devenue un peu moins. Les Britanniques avaient mis en orbite le colonel Pahlavi dans les années vingt pour créer un glacis dans les franges méridionales de la Russie devenue URSS mais aussi pour avoir un accès illimité au pétrole qui est devenu le carburant de la flotte impériale. Une fois cette petite affirmation nationale promulguée par un obligé de l’Occident, son remplacement a été encouragé.

A la surprise, un peu ahurie et abrutie des services de renseignements occidentaux, il a dès sa prise du pouvoir en 1979 affirmé d’une part sa nature ‘tiers-mondiste’ et résolument anti-américaine ainsi que son ambition d’établir des réformes sociales, but du renversement et du peuple qui s’est insurgé. Le parti communiste iranien, Tudeh, ainsi que d'autres groupes marxistes ont fortement mobilisé leurs troupes importantes et contribué à la réussite de l’insurrection. Mais le facteur primordial de masse est resté l'islam, pour des raisons de maillage social, de traditions rebelles locales et d'affirmation identitaire. La révolution islamique, une fois accomplie, s’est révélée être une révolution nationaliste opposée à la prédation occidentale et destinée à réduire les injustices sociales devenues vraiment insupportables sinon à programme socialiste. L’Iran, d’allié vassal de l’Occident, allait devenir le pays ennemi par excellence. Il défiait l’ordre mondial de la Pax americana. L’idéologie prônée par Khomeiny, pas toujours approuvée par les représentants du haut clergé, est universaliste. La révolution devait gagner du terrain et contaminer les pays musulmans.

Dès lors, la décision fut prise d’endiguer la flamme insurrectionnelle qui risquait de gagner par contigüité autour d’elle. L’instrument en fut Saddam Hussein qui a assuré sa mission avec l’une des guerres les plus longues du 20ème siècle, près de dix ans, et les plus meurtrières entre pays frontaliers. Les armes furent fournies par l’Occident, gaz neurotoxiques délivrés avec cynisme, y compris par la France et l’Allemagne de sinistre mémoire, l’argent par les pétromonarchies.

Tous les mouvements de gauche en Occident avaient au même moment amorcé un reflux dans lequel les manœuvres de la CIA, faites d’offensive culturelle et de machinations policières sordides et meurtrières, ont très largement contribué. Dans le tiers-monde, ils allaient être écrasés dans le sang des contre-révolutions organisées par la CIA en Amérique latine et dans les prisons les disparitions d’opposants comme dans les régimes du type de celui de Hassan II. La révolution islamique a alors, par ses succès, fasciné une partie de la jeunesse arabe et/ou musulmane. D’aucuns ont appelé cette période les années de plomb, ce furent des années de terreur qui ont marqué une césure dans l’histoire de ces pays. Les forces de gauche s’étaient naturellement développées dans les pays récemment indépendants dans le sillage des mouvements de libération nationale, vite confisquée par une bourgeoisie compradore. Leur élimination a créé une discontinuité générationnelle et un évidemment de la mémoire des luttes. Les cerveaux allaient être facilement disponibles et offerts à toute propagande efficace et bien financée.

Cette même’ crise’ pétrolière, une augmentation des prix légitimée suite à l’effondrement du cours du dollar, a bouleversé les habitudes de consommation et de production en Europe occidentale et a enrichi considérablement les pétromonarchies, et le première d’entre elles, celles des Ibn Séoud. Le wahhabisme fut déversé par tombereaux entiers de dollars partout dans le monde. Des fondations, des mosquées, des institutions religieuses furent financées en Afrique sub-sahélienne, en Asie, en Amérique et en Europe. Voici construit le second brin qui allait répondre à la révolution islamiste, offerte comme modèle quand les nationalismes teintés de socialisme s’effondraient comme en Algérie. Le pétrodollar allait orienter, par sa prolifération dont les Bédouins du Najd n’ont su que faire, la politique et l’économie mondiale. Les Séoud allaient soutenir les Usa en investissant dans une frénésie d’achat d’armements aberrante au vu de son non emploi localement. Le pacte du Quincy trouvait ainsi l’une des expressions de son prolongement. La protection de la dynastie du Nadjd se fera avec les moyens extraits du sous-sol arabe. Renforçant l’hégémonie militaire étasunienne, et s’en remettant à elle seule, ils en sont de plus en plus dépendants.

Ils vont déposer les excédants dans les banques britanniques et étasuniennes, amplifiant la vocation de l’argent à produire de l’argent par la dette. Usure parmi l'usure de l'Etat familial se proclamant le gardien des lieux saints de la religion qui proclame la guerre totale à l'usure ! Les pays du Sud ont été invités par le FMI et la Banque Mondiale à plonger dans les affreux délices de l’endettement permanant, au prétexte d’un développement impossible car de toutes les façons mis hors de portée par l’écrasante concurrence de vieux pays industrialisés plus compétitifs. Le libre-échange institué de plus en plus par des traités contraignant ne peut profiter qu’aux pays les  plus ‘développés’.

La longue guerre civile libanaise entreprise en 1975, initiée par une droite alliée au sionisme et marquée par ses revendications d’appartenance au fascisme mussolinien, allait contribuer par ses effets immédiats et lointains dans le monde arabe à disséminer la présence des ressortissants des pétromonarchies bien au-delà de Beyrouth qui était leur casino et leur boîte de nuit de prédilection et de proximité. Leur richesse insultante va s’afficher désormais de manière ostentatoire de Casablanca au Caire et faire s’assimiler pour une partie du peuple de plus en plus illettré le rigorisme des fausses origines de l’Islam et l’opulence, censés être la marque de la faveur divine. L’assassinat de Anouar Sadate par un Frère musulman en 1981 en réponse à sa trahison de l’unité arabe en faveur de la Palestine est là pour rappeler que des organisations politiques musulmanes, inspirées de nationalisme et de ‘renouveau de l’Islam’ confronté à la domination occidentale, oeuvrent depuis des décennies. Elles sont plus ou moins ‘salafistes’, retour à la pratique des pieux prédécesseurs. Elles ont impulsé de façon décisive nombre de mouvements d’indépendance et ont été contraintes soit à la clandestinité soit à la collaboration, perdant de leur tranchant révolutionnaire ou au moins réformateur, avec les régimes issus de la fin du colonialisme direct.

L'Afghanistan comme incubateur des politiques de dévoiement de l'islam

Une autre guerre, celle dans laquelle a été engagée l’URSS en Afghanistan à partir de 1979, contemporaine de toute cette recomposition géopolitique, a été plus que décisive dans la création d’un nouvel Islam, celui du dit Djihad. Lequel va prévaloir et être promu comme le nouvel Islam authentique. Les Bédouins du Nadjd y ont pris une part maîtresse. De tous les pays musulmans, Afrique du Nord et Palestine y compris, ont afflué des combattants pour servir ce qu'ils croyaient être la cause de l’Islam contre le communisme "athée". Alors qu'ils se mettaient ainsi au service de l'économie impérialiste usuraire mondialisée. Les Séoud, s’ils n’ont pas conçu le projet, ce fut le travail d’un idéologue néo-conservateur avant la lettre, Brzezinski 5 l’ont  réalisé. L’Islam allait être recruté comme agent de l’anticommunisme, voire de l’antisocialisme. Alors que tout dans le dogme musulman recommande le combat (le djihad) contre l’injustice et on peut inclure dans celle-ci l’exploitation des hommes dans le capitalisme, le wahhabisme va confondre athéisme et analyse des conditions matérielles de vie. En qammis et calotte, arborant une barbe fournie, les ‘Afghans’ vont revenir dans leurs pays d’origine, vecteur d’un intégrisme politique sans programme économique sous-jacent. Ils vont ‘convertir’ et donner naissance à des FIS, des Nahdha et PJD. Les femmes abandonnent les jupes occidentales, mal adaptées à un environnement suburbain qui prolifère au gré de l’exode rural. Le déclassement de toute une jeunesse alphabétisée mais sans emploi, les logements exigus et inconfortables des bidonvilles et autres lieux de relégation procure des clients en nombre à l’islamisme abusivement désigné comme politique car réduit à la seule exhortation pour la pratique d’un islam rigoureux au plan individuel.

 

Mosquées saoudites

Les prédicateurs formés dans l’Arabie des Séoud prêchent dans des mosquées édifiées par leurs fonds. De pratique considérée comme hérétique par l’immense majorité des savants musulmans pendant deux siècles, le wahhabisme s’est progressivement imposé comme une ‘tradition orthodoxe’. L’expansion de l’unitarisme tautologique, réforme née au 18ème siècle dans une région à l’écart des circuits économiques en Arabie, doit son succès à l’insertion de celle-ci dans le circuit de l’économie mondialisée. Recyclage permanent de la rente pétrolière dans le système bancaire et renforcement continu de la domination militaire étasunienne dans le monde. Ceci figure le deuxième brin hélicoïdal de la trame du nouvel Islam. Ces éléments viennent en complémentarité, contradictoire, presque point par point, de l’Islam révolutionnaire des débuts de la République islamique d’Iran.

L’Europe n’a pas échappé au retour de ses 'Afghans' locaux recrutés selon le même procédé, mosquées et prêcheurs wahhabites, vivier de relégués ayant eu un accès à l’école de la République devenue sans issue. Après le ravage des banlieues par un marché facilité de la drogue, stratégie copiée de celle appliquée aux Usa pour réduire la rébellion des ghettos noirs, "l’islamisation" de la deuxième ou troisième génération issues des ouvriers immigrés dans une Europe désindustrialisée allait bon train. Les marcheurs Beurs en 1983 réclamaient l’égalité « économique » réelle. Vingt ans plus tard, les manifestations les plus spectaculaires seront consacrées à la défense d’une liberté vestimentaire. L’un des participants historiques à cette Marche pour l’égalité, Abdelaziz Chaambi 6, musulman assumé, orchestrée en sourdine par un Parti socialiste qui allait la récupérer sous la forme d’un antiracisme qui ne sera plus que le seul alibi d’une gauche sociétale, interprète cette évolution comme une régression de la lutte politique. L’islamophobie en Europe est certes une arme de discrimination, mais elle est surtout une arme de diversion et de division sociale, emplissant le champ médiatique de ses clameurs, détruisant les outils pour une véritable transformation sociale.

Population ultra-périphérique, néoconservatisme made in USA et conservatismes français

La population urbaine et suburbaine défavorisée en Europe, celle des quartiers populaires, est encore vécue comme ‘descendante’ de l’immigration coloniale.

Elle est coincée entre droite décomplexée (l’ancienne gauche socialisante), laïque et anticléricale. Cette fausse gauche ne défend la femme de l’oppression masculine qu’à l’occasion du port du fichu qu’elle s’obstine à considérer comme un signe de soumission au mâle et non à Dieu comme c’est le cas pour la kippa. Dans la réalité concrète de l’inégalité des salaires ou de la molestation des femmes par leur conjoint qui aboutit à la mort une fois tous les trois jours, cette fausse gauche féministe est absente. L’autre partie de l’étau est figuré par une droite imprégnée encore vaguement d’un christianisme zombie, haineux ou méprisant à l’égard du Mahométan venu investir un Occident décadent aux Eglises vides sans autre spiritualité que la religion de la consommation. Les deux droites se trompent. La première, incarcérée dans un logiciel anticlérical et dont le seul programme est libertaire sociétal, manque par son hostilité à l’Islam les troupes qui lui seraient essentielles pour conserver le pouvoir. La deuxième ne veut pas voir que la poussée démographique des musulmans est liée aussi au déficit de la natalité. Dans son aveuglement, elle veut aussi ignorer que la composante musulmane est présente de façon irréversible et qu’elle est même nécessaire. Sans elle, la pyramide des âges s’inverserait, tiendrait sur une base étroite, très large et de plus en plus à son sommet.

Plus que tout, ces deux droites sont prisonnières d’un carcan idéologique fabriqué par les néoconservateurs étasuniens à l’usage de toute la planète. Les néoconservateurs sont néolibéraux,sionistes et bellicistes. Ils ont comme alliés d’abord la monstruosité séoudienne wahhabite. Lors de la première guerre du Golfe, quand il a fallu remettre 'à sa place' Saddam Hussein qui avait l’arrogance de réclamer son dû de fossoyeur de la Révolution iranienne, ils ont mobilisé la gauche sociétale figurée par Mitterrand en France. Sous la houlette du Parti socialiste français, les guerres impérialistes sont devenues des guerres 'pour la Liberté et contre les dictatures'. Détruire pays et sociétés équivaut à libérer et même au devoir de libérer. Jusqu’à présent, les pays attaqués et détruits sont des pays musulmans et à forte orientation antisioniste car victimes immédiates et proches de l’expansionnisme israélien. La liste des pays à libérer de leurs dictatures par des bombardements humanitaires est susceptible d’être rallongée, les nouveaux candidates la Corée et peut-être à nouveau l'Amérique latine avec le Vénézuéla.

La même cinétique de reflux des mouvements nationalistes laïcs a rogné également la résistance palestinienne au terme de processus complexes où interviennent les négociations sans fin après Oslo, né des pertes de bases arrières de l’OLP, et une fatigue de la vieille garde révolutionnaire décimée par les assassinats ciblés. Celle-ci est donc devenue islamiste. L’anticolonialisme palestinien a été stérilisé dans le piège d’une Autorité qui joue les supplétifs de l’armée d’occupation. Il a été canalisé dans le chenal idéal de sociétés de bienfaisance religieuses qui furent criminalisées dès qu‘elles se sont naturellement transformées en forces politiques et militaires résistantes. Puisqu’elle se battait contre un Etat, complexe militaro-ethnique, qui se proclame lui-même juif, la résistance islamique est alors présentée comme antisémite.
 

Néolibéralisme, sionisme, islam et terrorismes

A grands renforts des grands médias majoritairement acquis au sionisme et aux intérêts économiques produits par le néolibéralisme, petit à petit est née la relation qui fait équivaloir Islam et Terrorisme.

L’accouplement contre nature entre les Usa et Les Séoud a donné naissance à Al Qaïda, plus personne ne peut le contester dès lors que le mystère de sa naissance a été proclamé publiquement par Clinton Hillary. Les formes successives empruntées par la matrice initiale sont actuellement observées en Afrique sub-sahélienne, en Afrique du Nord, au Yémen, en Libye, en Irak et Syrie. Daesh a été reconnue comme une nouvelle armée de l’OTAN, ravitaillée et aidée par Israël. Le ministre de l’armée d’occupation israélienne préfère voir la Syrie livrée à Daech 7. Des combattants contre le gouvernement syrien sont ouvertement soignés dans les hôpitaux israéliens 8.

L’islamophobie – telle qu’elle est actuellement agencée - résulte des changements cruciaux survenus après les chocs pétroliers, la naissance d’un antagonisme nouveau entre la République islamique d’Iran et les pétromonarchies du Golfe, l’effondrement des gauches qui a anticipé chronologiquement de la disparition de l’URSS. Le quatrième facteur (annoncé plus haut) déterminant son émergence est le creuset néoconservateur sioniste. Plusieurs ingrédients mis dans le mortier ont produit le pharmakon. L’islamophobie le plus récent ennemi planétaire, un nouvel objet fabriqué par un Système capitaliste dont la force de propulsion essentielle est la guerre, sous toutes ses formes. Elle ne résulte certainement pas d’une subite conversion de la haine ou de l’exploitation du bougnoule ou du bicot, attirail remisé depuis que les Usa ont sifflé la fin des empires coloniaux britanniques et français. 

Après 1962, le reflux des pieds noirs a laissé la France indifférente à leur sort. Ils se sont recroquevillés comme ils ont pu, ressassant pour certains leur âge d’or perdu. En attendant, certains furent recrutés d’abord contre les communismes européens, singulièrement l’italien, puis comme formateurs des escadrons de la mort en Amérique latine. Quelques éléments résiduels, nostalgiques inguérissables de la perte de leur position dominante, même ridiculement dérisoire par rapport à l’indigène restaient à l’affût d’une reconnaissance de leur tragédie. Ils ont aidé à l’élection Mitterrand, personnage florentin avec une trajectoire avérée dans la collaboration avec l’Allemagne nazie puis un des principaux acteurs du colonialisme meurtrier.

La France et toute l’Europe étaient embarquées dans les équipements ménagers, la voiture, le rock & roll et n’avait que faire de ces ruminations indigestes. C’est le Parti socialiste français, après son OPA sur le Parti communiste français dans le cadre du Programme commun, qui a désigné comme des agents des Ayatollah les meneurs de grèves assez dures dans l’automobile et les mines où l’ouvrier maghrébin fortement syndicalisé a été en pointe des revendications contre les fermetures d’usines et de mines et pour une revalorisation des salaires. Ce glissement sémantique inaugural est symptomatique de la suite donnée à la chasse au musulman. L'islamisme a donc été désigné en France comme ennemi par les pouvoirs « de ‘gauche’, agents objectifs de la contre-révolution culturelle au sens gramscien du terme » avant même qu'il n'existe ! Cette fausse interprétation a eu un grand succès car elle a été étayée par des moyens considérables construits à l’échelle internationale. L'islamisme "mondial" étant, lui, le produit de la manipulation de la CIA organisée en Afghanistan.

Cette élaboration qui dépasse de beaucoup l’idéologie raciste, finalement assez provinciale d’une France aux prises avec ses (anciennes ?) colonies musulmanes, peut être illustrée par les "Caricatures de Mahomet". Le circuit en est saisissant. A l’automne 2004, Flemming Rose, un rédacteur des pages culturelles d’un ournal danois situé à l’extrême droite et xénophobe, dotée d’une filiation nazie ténue mais certaine, est dépêché aux Usa 9. Il recueille l’avis de Daniel Pipes, un néoconservateur sioniste revenu d’un passé gauchiste, engagé dans un unique combat, la destruction physique totale des Palestiniens par la voie militaire, publie à son tour le 29 octobre 2004 un article qui fait la part belle à la pensée de Daniel Pipes, ‘La menace de l’islamisme’. Les deux hommes se seraient revus à l’été 2005, il en est résulté un concours et une série de dessins furent publiés le 30 septembre 2005. La représentation d’un homme musulman avec une bombe disposée sur sa tête en guise de turban n’était pas une critique. L’islam, elle dit clairement et sans ambiguïté que tout musulman est un terroriste. Elle cherchait à appuyer cette identification faite par les grands médias d’obédience. Cela aurait pu rester de l’ordre d’un message local et circonscrit aux seuls lecteurs, fort se Jyllands Posten. Il a fallu que la Société islamique du Danemark alerte l’Organisation de la Conférence islamique et que quelques diplomates agitent fortement le papier sous le nez de leurs gouvernements pour que les dessins soient vus et condamnés par des théologiens, que soit sonnée l’alarme et que le monde musulman s’embrase. Le coup de Pipes a réussi à enfermer les musulmans outragés dans le cercle de la violence qu’il a enduit et démontrer les prémisses par le résultat. Le Musulman est terroriste. Pour que la bombe de la réaction explose avec les effets escomptés, il a été convenu secondairement que l’homme au turban figurait le Prophète (SAW) de l’islam. Pour la bonne gouverne des libertaires sociétaux français, la liberté d’expression au Danemark s’arrête au seuil du blasphème, punissable d’emprisonnement selon la loi de ce pays européen.

Organisation internationale de l’islamophobie

Ainsi, le musulman est de plus non démocratique car il ne tolère pas la critique. Quand le FBI infiltre des organisations musulmanes pour encourager, inciter et parfois payer des musulmans étasuniens à organiser des attentats terroristes, la dimension internationale et méthodique de l’organisation de l’islamophobie est démontrée10.

Or l’Islam à son origine, tel qu’il s’est développé comme organisation sociale à Médine, a donné lieu à une société pluriconfessionnelle et laïque. Il n’y a nulle trace d’indication coranique ou prophétique pour une forme politique précise que doive adopter la ou les communautés musulmanes. Mohamed, Ibn Abdallah Ibn Abutalib, (sws) a été Prophète de l’Islam mais aussi chef politique. Il n’a pas laissé de testament pour sa succession. Il n’a pas pu, pas voulu, ou encore a-t-il été empêché de le faire ? Le califat, ou régime politique sous la direction d’un calife, terme polysémique désignant imparfaitement un substitut, un remplaçant-représentant ou encore un successeur constitue une mission impossible car Mohamed (SWS) a terminé le cycle des prophéties. Il est une interprétation (invention?) libre de ses compagnons.Les principes généraux recommandés canoniquement, obligation de consultation entre les membres de la communauté pour les affaires qui les concernent, excluent le système autocratique, le plus répandu actuellement dans le monde musulman. Contrairement au monde chrétien occidental qui a toujours éradiqué dans le sang le moindre écart à la doxa religieuse du prince régnant, l’Islam pendant très longtemps, tant qu’il n’a pas été menacé et mis au défi sérieusement par le colonialisme, a su cohabiter avec ses minorités religieuses qu’il protégeait (sens du mot maintenant mal compris de dhimmi). On doit par exemple à cette tolérance inconnue en Europe, la survivance des Nestoriens, des Syriaques et des Coptes. Où est la trace des Cathares ou des Albigeois sinon dans les récits de massacres? Où est celle des Musulmans d’Andalousie et de Sicile, sinon dans diverses villes du Maghreb et de l’Empire ottoman où ils ont été contraints de s’exiler pour ne pas se convertir ? Pourquoi 90% des juifs européens ont-ils dû se réfugier en Pologne qui, bien que catholique, a adopté à la fin du Moyen-âge, le système musulman de traitement des minorités religieuses ?

Le Maghrébin et l’Africain (et maintenant le Moyen-Oriental ou l’Afghan) est repoussé vers son identité religieuse, identité largement manipulée par les flux financiers internationaux qui ont défini pour lui une tradition inventée et bricolée. Au nom de cet attribut qui est son refuge ultime dans un système social inégalitaire socialement et ethniquement où il n'a plus sa place à cause du chômage institué structurellement, il est disqualifié pour l’égalité dans la citoyenneté républicaine. On compte sur lui pour figurer la classe dangereuse, irrémédiablement non intégrable dans la douillette classe moyenne qui perd elle progressivement ses petits avantages et ses illusions d’accéder à la bourgeoisie. Et se trouve donc dans une position de frustration grandissante l'amenant à chercher des bouc-émissaires. C’est à lui, le paria qui n’a rien à perdre, que revient le devoir de transformer l’ordre social de plus en plus inique et sans avenir. Il ne le pourra tant qu’il ne se verra et sera vu que comme discriminé en raison de sa foi religieuse et non de son appartenance de classe. Jusque là, il oscillera entre le quiétisme et un combat désespéré, le pire. Quand il choisit l’exil à la recherche d’une patrie musulmane mythique, il fait la douloureuse expérience de l’autocratie et de l’iniquité revendiquée comme système social.

On sait maintenant que la peur du péril rouge a été une opération construite grâce aux divers services de renseignement - en réalité des officines efficaces de propagande et de manipulation d’opinion. La peur de l’Islam depuis une trentaine d’années est elle aussi est une fabrication par à peu près mêmes organes.

Le macronisme, forme générique pour une absence de pensée politique, laquelle est confiée au vrai pouvoir, celui des transnationales, est exemplaire d’une velléité ‘réformatrice’ de l’Islam dans les frontières françaises. Elle n’est pas la première tentative qui échouera dans cette illusion post-jacobine de réguler ce qui par essence ne peut qu’échapper au cadre des institutions de la République. Le prochain réformateur, ou le prochain révolutionnaire, convaincra ses coreligionnaires à s’engager avec lui pour transformer non l’Islam mais les conditions de vie des musulmans, et donc aussi de tous leurs compatriotes de toutes origines et appartenances religieuses mais de même appartenances sociales.

Badia BENJELLOUN

* Le terme « islah » se traduirait plutôt par « réparation » car celui de réforme contient la notion de « bid’ah » ou innovation, refusée par l'islam.

** À la différence du sunnisme, le chiisme s’est construit autour d’un clergé censé avoir été bâti au départ autour de la famille du Prophète (sws).

________________________ 

Notes:

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Révolte_des_paysans

(2) http://www.maison-quaker-congenies.org/fr/qui-sont-les-quakers

(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_des_Paysans_allemands

(4) http://www.pewforum.org/files/2011/01/FutureGlobalMuslimPopulation-WebPDF-Feb10.pdf

(5) http://globe.blogs.nouvelobs.com/tag/brzezinski

(6) https://www.youtube.com/watch?v=ssvfUIwTM7k

(7) https://francais.rt.com/international/14215-moshe-yaalon-prefere-daesh-en-syrie-que-iran

(8) http://www.lefigaro.fr/international/2016/12/21/01003-20161221ARTFIG00275-plus-de-2600-blesses-syriens-accueillis-dans-des-hopitaux-israeliens.php

(9) http://fr.danielpipes.org/10500/interview-de-flemming-rose

(10) http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/07/21/le-fbi-a-pousse-des-americains-musulmans-a-commettre-des-attentats_4460774_3222.html

 

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N°138 : Brèves remarques sur l’antipolitique en Roumanie : à propos des manifestations de janvier

Tous les pays de l’ancienne Europe socialiste amarrés aujourd’hui au bloc euro-atlantique semblent traversés par un choix binaire, néolibéralisme et néoconservatisme le plus cru ou discours nationaux-populistes rarement conséquent. La gauche sociale n’y est plus réduite qu’à une forme groupusculaire tandis que la « gauche morale » semble conquise au mondialisme capitaliste le plus caricatural et le plus affairiste. Le communisme semblant réduit chez les uns à l’état de nostalgie devenue irréelle à cause de la trahison de ses élites et chez les autres à l’état de père fouettard agité aussi bien par les chantres du néolibéralisme que par les proclamations national-populistes.

Dans ce contexte, la Roumanie occupe pour le moment la position de « bon élève » sous surveillance de l’ordre mondial si l’on compare avec la Hongrie, la Pologne ou même la Bulgarie. Mais les très rares mesures sociales prises par son gouvernement déclaré social-démocrate juste après son arrivée au pouvoir ont éveillé les soucis de ses protecteurs occidentaux, et donc des organisations « non » gouvernementales financées par les institutions publiques et privées occidentales. D’où sans doute la « guerrilla » contre ce gouvernement pour maintenir la pression en utilisant la couche des clients appauvris mais fidélisés de la mondialisation et en jouant sur des oppositions somme toutes factices entre clientèles politiques toutes nourries à la même mangeoire.

La Rédaction

 

Brèves remarques sur l’antipolitique en Roumanie :

À propos des manifestations de janvier

Claude Karnoouh  – 21 février 2018

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Elles arrivent avec une régularité quasi mécanique pendant le mois de janvier de chaque année, les manifestations de rue contre tout gouvernement issu du Parti social-démocrate (PSD). Est-ce parce que des lois ou décrets votés fin décembre choquent une partie des salariés qui laissent passer les joyeusetés des fêtes de fin d’années pour agir ? Est-ce parce que les rancœurs accumulées tout au long de l’année peuvent s’exprimer plus librement après les agapes des réveillons ? Je ne saurais le dire précisément, mais le fait est là, régulier comme un métronome, janvier arrive, le temps des manifestations est alors venu.

Cette année n’y a pas échappé, et on a vu le samedi 19 janvier au soir à Bucarest une masse de plus de 50 000 personnes occuper la Place de l’Université puis la place de la Constitution. Devant eux, un double cordon de gendarmes plutôt bon enfant malgré quelques dérapages ici et là, mais rien de comparable à la violence de la police française, allemande ou italienne quand elles sont confrontées à de semblables événements. Faut-il le dire au risque de choquer les bons sentiments de certains en Roumanie, la gendarmerie roumaine fait preuve d’une retenue démocratique que nous aimerions rencontrer en France ou en Italie lors de manifestations autorisées !

Quel est l’enjeu du mouvement Rezist monté sur les réseaux de socialisation par des anonymes sans aucune direction politique apparente ? Il s’agirait de la lutte contre la corruption dont le PSD serait le seul représentant et bénéficiaire avec son allié ALDE. A priori, cela se confirmerait si l’on regarde dans un temps très court, depuis l’an passé, depuis que les gouvernements se succèdent après l’ordonnance n° 13 sur l’amnistie des représentants politiques coupables de corruption, puis aujourd’hui avec les nouvelles impositions en baisse pour les voitures de grosses cylindrée et en hausse pour les voitures de petites cylindrée, le nouveau code des impôts pour les professions libérales (qui touche nombre d’acteurs culturels free lance dont beaucoup vivent à la limite de la pauvreté), l’amnistie pour les entrepreneurs immobiliers en tant que personne physique qui n’auraient pas payer leurs impôts sur les constructions nouvelles. Mais l’opposition, le PNL et l’USR, sur certains points importants, comme le dernier, ont voté avec le PSD ! De plus, la corruption politique en Roumanie est une plaie récurrente aussi vieille que la naissance de la Roumanie moderne (sauf peut-être pendant la période authentiquement stalinienne de Gheorghiu Dej) déjà dénoncée par le poète-journaliste Mihai Eminescu à la fin du XIXe siècle et, au début du XXe siècle par le plus important homme de théâtre, le très génial Caragiale, sans compter les nombreux reportages de journalistes étrangers pendant l’Entre-deux-guerres. Toutefois, parmi les « bonnes âmes » qui dénoncent la corruption et hurlent pour une société pure, combien sont-elles qui n’ont pas pratiqué à leur échelle la corruption pour des avantages ? Combien sont-elles qui emploient une bonne ou une femme de ménage en la déclarant officiellement ? Combien sont-elles celles qui font travailler au noir nombre d’artisans ? Combien parmi les professeurs qui donnent des leçons particulières aux enfants et aux adolescents déclarent-ils aux impôts ces revenus supplémentaires ? Combien parmi les manifestants sont-ils à n’avoir jamais donné un bakchich à un médecin, une infirmière, un employé quelconque ?

 

La culture de la corruption

« Que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première pierre » (Jean 8,7). Car les gouvernements et les types de pouvoir ont quelque chose à voir avec la culture socio-politique d’un peuple, parce que ce sont les comparaisons superficielles et les schémas de politologie qui unifient les cultures oubliant justement cette caractéristique de l’espèce humaine dans sa diversité linguistique, la différence culturelle, c’est-à-dire la diversité des rapports au monde parmi les peuples, y compris au monde politique. On ne peut par exemple pas comparer une administration centralisée comme celle de la France que l’on peut dater de la naissance de la monarchie absolue (et donc de la transcendance étatique supplantant le pouvoir religieux et qui mit quelques siècles à s’imposer), lorsque pour mettre fin aux guerres de religions le bon roi Henri le quatrième jeta à ses fidèles réformés sidérés, « Paris vaut bien une messe », justifiant ainsi son retour au catholicisme et, à la clef, la couronne de France, avec un pays dont l’accession à la modernité mimétique des élites, sans révolution populaire massive, date de 150 ans. C’est un fait avéré que les pays du Sud de l’Europe récemment modernes et unitaires sont tous marqués d’une corruption à tous les niveaux de la vie politique et administrative ! De ce point de vue l’opposition italienne entre le Mezzogiorno maffieux et le Nord germanisé en est l’exemple parfait. Aussi, aucune manifestation de rue ne pourra-t-elle transformer cette culture de la corruption politique, sociale et administrative sans la discipline d’un enseignement dur et d’une éducation familiale qui malheureusement n’existe presque pas.

Mais ce n’est pas tout, ce qui me frappe c’est, hormis le slogan affiché par Mihai Bumbes contre la politique néolibérale du PSD, tous les slogans qui dénoncent le PSD comme la « peste rouge ». Ces cris de « peste rouge » sont la preuve du délire de ces masse qui tient à la fois du déni de réalité pour les naïfs (et ils sont des milliers) et d’une manipulation sémantique évidente de la part des orchestrateurs de ces mobilisations. Quelle « peste rouge » dites-moi ? Seraient-ils des communistes ? Mais le programme du PSD est tout, sauf un programme politico-économique communiste, à preuve, il veut présentement privatiser l’Hidrolectrica, l’un des derniers fleurons de l’industrie roumaine ! Le PSD serait-il de la même matière que le socialiste Corbin, le travailliste anglais ? Non, certes non. Ce parti est un mélange de mafieux du business local, les « barons », et de gens des services agissant dans le cadre d’un système de clientélisme dans les provinces appauvries par les thérapies de choc (les trois-quarts du pays) qui s’assurent leur réélection grâce aux prébendes et aux aides diverses qu’ils redistribuent quelque peu aux pauvres et qui contribuent à donner un peu de quoi survivre à des gens qui sans cela mourraient littéralement de faim. Dans un pays devenu un quasi désert industriel, dans un pays où plus une seule banque n’est propriété roumaine, privée ou d’État, dans un pays où les remontrances de l’ambassadeur des États-Unis et du représentant de l’UE, véritables proconsuls, décident de la politique intérieure et étrangère, parler de « peste rouge » relève du fantasme d’intellectuels en mal de renom ou des délires de gens qui aurait fumé trop d’herbe.

Un clivage droite/gauche évanoui

En Roumanie, il n’y a pas à proprement parler de gauche politique hormis de minuscules groupes d’intellectuels sans influence au-delà du centre où se trouvent les institutions universitaires des quelques grandes villes et dont la pratique critique ne dépasse jamais (sauf exceptions notables) l’étroite ligne rouge qui leur ferait perdre tout espoir de bourses venues de l’étranger ou de l’État. Majoritairement, le pays politique est de droite sans que cela ait un véritable sens, car la Roumanie est un excellent exemple de l’effacement postmoderne du clivage politique droite/gauche mis en place sous la Révolution française et qui a perduré à peine plus de deux siècles. Aujourd’hui, droite et gauche se recouvrent ou se divisent selon les problèmes les plus prégnants comme les modes de développement économiques et écologiques, ou le rapport à la souveraineté nationale, le rapport aux ONG, à l’UE, à l’OTAN, au Tiers-monde, bref à la politique étrangère, où l’on voit s’unir des opinions naguères divergentes et désunir des opinions naguère convergentes.

Les manifestations de Bucarest exemplifient cette mutation. Ainsi, lorsque d’un côté la majorité des bobos en général, cadres salariés de multinationales, de banques et une partie des nouvelles générations universitaires nourris de l’humanisme de pacotille des fondations occidentales, du droit-de-l’hommisme des guerres humanitaires, de néo-féminisme bourgeois, de sociologie et de politologie du prêt-à-penser capitaliste planétaire, hurle à la « peste rouge », une petite minorité exhibe des slogans comme « A bas le néolibéralisme ». Néolibéralisme réel de cette prétendue « peste rouge ». Or ces anti-libéraux n’ont rien à faire avec ces bobos ! Et pourtant ils sont là tous ensemble, comme si cela allez-de-soi. C’est là la preuve d’une errance politique, idéologique, d’une inconsistance qui ne doit pas beaucoup déranger ce type de pouvoir. Dans la Roumanie d’aujourd’hui, tant à Bucarest qu’à Cluj, il y a un micro-groupement politique, Demos, qui se veut une sorte de social-démocratie de gauche comme le labouriste Corbin (sans sa détermination anti-impérialiste en politique étrangère), il rassemble quelques dizaines d`intellectuels sympathiques dont l’influence dans les masses ne dépasse pas les quelques dizaines d’universitaires ou membres de professions libérales artistiques. Il y a encore un parti socialiste de tendance communiste, le PSR, mais là encore, ses maigres troupes, certes un peu plus diverses que celles de Demos n’ont, elles aussi, aucune implantation dans les masses. Demos et PSR sont des partis déclamatifs, car aucun de leurs membres ne sont prêts à sacrifier leur carrière, leur vie privée, leurs vacances pour un militantisme actif, celui qui caractérisait jadis les partis communistes occidentaux… Je regrette profondément de le dire, mais c’est la réalité, et un marxiste se doit d’affronter la dure et triste réalité sans faire de ses espoirs l’état concret du monde.

Le fait que le PSD et ses gros bras ont fait main basse sur les campagnes, les bourgs et les petites villes de province rendrait en effet le militantisme de gauche quelque peu athlétique et donc dangereux. Or la violence sous toutes ses formes est une activité dont tout le monde lors des manifestations, de droite, de gauche, du centre, redoute plus que tout. Aussi faut-il louer le gouvernement de ne jamais commander à sa gendarmerie anti-émeute la violence furieuse qui caractérise les diverses forces de police occidentale lors de manifestations autorisées ou non-autorisée. Il est donc vraisemblable qu’une intrusion des partis Demos et PSR dans les campagnes pour recruter des votants entraînerait au moins de fortes bagarres.

 

Mondialisme et traditionalismes

Il faut le reconnaître, l’atmosphère politique européenne n’est guère à la gauche, ni véritablement à une droite musclée, elle est essentiellement conservatrice (les politiciens et les intellectuels de service commis aux écritures appellent cela à tort « populiste »), souvent animée d’une religiosité bigote à l’Est. C’est là le résultat des trahisons de la social-démocratie qui est passée avec armes et bagages dans le camp des banquiers, dans la défense d’une mondialisation sans limite aucune, dans une course aux prébendes et donc à la corruption qui a dévalorisé dans l’esprit du peuple, des gens de peu, la notion de socialisme.

Ainsi d’année en année, les manifestations de rues plus ou moins spontanées, plus ou moins manipulées, avec des politiciens qui se cachent derrière les manifestants, les juges et les services ont détruit dans l’esprit du public la notion même de lutte politique. « A bas la corruption », mais tous les partis politiques en charge du pouvoir ou de l’opposition en Roumanie ont baigné, sauf exceptions individuelles, dans la corruption. C’est l’hôpital qui se moque de la charité !!! Présentement, nous sommes comme parfois dans l’histoire, à l’étiage du politique face aux pièges que nous tend le capital international et sa gestion au travers de ce que l’on appelle l’État profond, lorsqu’il nous vend de la moraline pseudo-humanitaire et pseudo-démocratique en lieu et place d’affrontements politiques, c’est-à-dire de programmes socio-économiques différents, opposés, tranchés. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire moderne que ce genre de situation se présente à la conscience. Il est là une sorte de moment en suspension qui attend ce que je nommerais non pas comme les marxistes naïfs les conditions objectives, lesquelles sont présentes depuis toujours, mais les conditions subjectives d’un Kairos où un groupement décidé serait capable de saisir dans la révolte des masses la Fortuná et la Virtú. Or ce moment serait-il en attente de longue date, il ne se peut manifester que dans le déploiement de la seule tragédie humaine, celle de la politique quand elle se fait guerre.

Claude Karnoouh, Aéroport Charles de Gaulle vers Bucarest 1er Février 2018…

 

 

 

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Un mois comme un autre en Palestine

 

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Un mois sous occupation...

Roland RICHA – France – 7 mars 2018

 

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Le bilan du mois de février 2018 est établi. Il est particulièrement meurtrier et criminel.

  • Huit citoyens sont tombés sous les balles de l'occupant.
  • Trois cents cinquante ont été blessés.
  • Trois cents ont été asphyxiés par des tirs de grenades au gaz lacrymogène
  • Quatre cents vingt ont été arrêtés et détenus.
  • Cinquante quatre maisons ou appartements ont été démolis.
  • Cinquante deux mille mètres carrés de terrains agricoles ont été endommagés.
  • Trois cents oliviers ou amandiers ont été déracinés.
  • Quatorze raids aériens ont été effectués sur Gaza et cinq incursions terrestres ayant entrainer la mort de trois citoyens dont deux enfants.
  • Trente sept opérations militaires ont été menées contre les pêcheurs ayant entrainer la destruction totale de trois barques et l'arrestation de six pêcheurs.

La pétition initiée par Assawra exigeant la remise en liberté d'Ahed Tamimi a rassemblé à ce jour trente huit milles six cents signataires.
Elle est encore en ligne.

Al Faraby,
Dimanche, 04 mars 2018

 

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Sur le chemin du lycée

Al Faraby –7 mars 2018

 

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Pour les jeunes du village d'Allaben, au sud-est de Naplouse, le chemin le plus court pour aller au lycée est d'emprunter la route principale reliant Ramallah à Naplouse.

Ils en ont pour quelques minutes de marche.

Depuis dix jours, des soldats de la force d'occupation leur barrent la route et les obligent à prendre des chemins de traverse, ce qui allonge leur trajet de trois kilomètres.

Pour les lycéens d'Allaben, aller au lycée, accéder donc au savoir, est aussi un acte de résistance. Les enseignants en ont pleinement conscience et ont adapté les horaires des cours.

C'est loin d'être simple.

Les enseignants sont obligés de revoir tout leur emploi du temps de travail mais aussi de leur vie courante.

Comme leurs élèves, les enseignants empruntent la route principale Ramallah-Naplouse.

Al Faraby

Mercredi, 07 mars 2018

Source : https://assawra.blogspot.be/2018/03/sur-le-chemin-du-lyce...

 

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Gennevilliers annule son arrêté de reconnaissance de la Palestine

Malgré l'annulation sur demande du préfet des Hauts-de-Seine, l'élu communiste estime que « l'objectif est atteint »

AFP et Times of Israel Staff   -  4 mars 2018

 

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Patrice Leclerc, maire de la banlieue parisienne de Gennevilliers. (Capture d'écran : YouTube)

 

En janvier dernier, la ville communiste de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) avait symboliquement reconnu l’Etat de Palestine et appelé d’autres communes en France à faire de même.

Aujourd’hui le maire, Patrice Leclerc, annonce avoir annulé cet arrêté. Il s’en explique dans Le Parisien : « Le préfet des Hauts-de-Seine m’a demandé de le retirer car il estimait que ça ne relevait pas des compétences d’une commune ». En cas de refus, la municipalité s’exposait également à une amende importante.

 « Je ne visais pas un acte réglementaire, l’objectif était autre et il est rempli : c’était de faire parler de la cause palestinienne, à l’heure où le peuple palestinien est bien seul, » explique l’édile qui inscrit cet arrêté éphémère dans une « volonté de faire la paix ».

Le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) s’est réjoui de cette décision dans un communiqué dans lequel il estime que « cette reculade ridiculise ceux qui pensent outrepasser impunément leurs prérogatives pour tenter d’imposer leur propagande ».

« La France, par la voix de son précédent ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, avait déclaré la possibilité d’une reconnaissance de la Palestine en cas de blocage du processus à la fin de l’année 2016. Or, rien n’a été fait », avait regretté le maire de Gennevilliers en janvier, dans un communiqué.

« Le président Macron refuse d’engager la France dans cette voie, mais si des milliers de parcelles de la France prennent cet arrêté officiel, cette prise de position des communes françaises conduira de fait à une reconnaissance », voulait alors croire l’élu communiste.

 

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 Mis en ligne le 7 mars 2018

 

 

 

 

 

18:54 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Web | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

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