24/03/2013
Lux Æterna
CARTE BLANCHE
A EDOUARD LECEDRE
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Fin 2012 ont été décernés les prix d’un concours de nouvelles « sur le cinéma », organisé par l’AFCAE (Association française des cinémas d’art et d’essai).
http://www.passeursdimages.fr/Prix-Jean-Lescure-concours-de
http://www.passeursdimages.fr/-Appels-a-participations-
Notre ami Edouard Lecèdre, qui n’est pas un inconnu pour les familiers de ce blog, y a obtenu – pour la deuxième fois ! - le prix de la ville d’Antony. A l’occasion de cette carte blanche, Les Grosses Orchades vous en offrent la primeur.
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Lux Æterna
Tu dormais profondément, assis près de la fenêtre, la tête penchée contre la vitre, dans le doux balancement du train qui fonçait droit sur la fermeture éclair des rails rayant l’immense plaine jusqu’à l’horizon. Ce n’est pas la radio dans le compartiment voisin qui t’a réveillé, mais l’arrêt du train en plaine. La surprise a reflué lentement de ton esprit et c’est cet instant que tu choisis pour te lever et descendre du wagon.
Tu as mis ton costume noir, ta chemise blanche, une cravate, noire aussi, qui oscille dans un vent du sud et de liberté qui t’invite à faire quelques pas droit devant, foulant l’herbe sèche qui bientôt deviendra un vaste champ qu’il faudra moissonner sous un ciel lumineux. Un long panoramique a achevé de te convaincre que nulle habitation n’avait germé du sol et tu te demandes bien ce que tu fais ici au milieu de cette lande déserte. Le soleil brille plein ciel, aucun bruit… le temps est comme immobile, et tu es là.
Tu pourrais commencer à angoisser pour peu qu’une musique à la Angelo B., celle qui noue ton estomac à chaque film de David Lynch, se mette à envahir progressivement la scène ; mais tu te rappelles que tu as décidé de mener un reportage, une sorte d’enquête un peu spéciale sur la nature profonde du cinéma et que tu ne dois t’étonner de rien. Même pas de la raison qui t’as poussé à entreprendre ce voyage, que tu sembles avoir oubliée de toute façon. Pourtant, te retrouver seul, ici, te semble bien étrange et tu aimerais t’appuyer sur tes talents critiques pour analyser rationnellement la situation. Aussi, un tourbillon de pensées s’empare-t-il de toi, car les mots te semblent malhabiles pour nommer quoi que ce soit en ce moment. Ça t’agace, toi un homme de mots. Alors tu convoques tes souvenirs professionnels à grands renforts d’anecdotes de la salle de rédaction de « 7ème art », ton journal depuis vingt ans.
Ça t’aide un peu, mais tu pressens que tes connaissances techniques ne pourraient pas t’aider. Inadaptées. Certes, elles sont éprouvées, mais les utiliser ici fait trop cliché. Et ça te fait rire ce mot, cliché, alors que tu baignes jusqu’au cou dans une réflexion sur l’art du mouvement.
C’est à ce moment-là que tes certitudes deviennent cette citadelle de verre qui s’écroule dans ton esprit. Tu es comme dénudé. Vierge du fatras de concepts qui t’avaient déguisé en enquêteur-explorateur, tu envisages timidement l’insolite et acceptes finalement l’idée que tu te trouves dans une autre dimension.
-« Aaah ! » râles-tu bien fort pour te soulager. L’air est toujours aussi doux. Le train par quoi tout commença il y a plus d’un siècle, est toujours derrière ton dos. Tu es soulagé, tu respires, tu vas mieux et tu dis :
– « Une rencontre, peut-on m’accorder juste une simple rencontre ? »
Il faudrait, à ce moment précis, un personnage à qui parler, là tout de suite, parce que tu viens d’acquérir une sérénité nouvelle, cette sorte de poésie de l’instant qui te rend un peu fébrile. Tu as une furieuse envie d’assommer quelqu’un en lui postillonnant au visage pour lui expliquer pendant des heures tout ce que tu ressens là, à l’instant, mais tu restes muet car tu penses que tu es le seul passager dans ce coin de désert.
Mais tu as tort.
Un simple crissement de gravier te fait retourner aussi vite qu’un éclair.
-« Vous avez donc pu venir jusqu’ici ? » - lance soudain un homme, debout à la place du train qui a disparu. Il est comme toi, habillé plus clair, le visage plus tranquille et porte des lunettes.
-« Vous êtes chargé de me guider n’est-ce pas ? »
-« Ou d’autres, nous verrons. »
Tu évalues cet instant particulier en apesanteur et acceptes l’évidence du silence relatif qui s’installe. Cependant, comme l’homme ne bouge pas, tu te sens obligé de le rompre. – « Je… » - commences-tu sans terminer, cherchant la suite dans le vague de l’horizon lointain. – « Je suis… »
-« Je sais qui vous êtes – t’interrompt-il. Vous êtes l’Ecrivain. »
On ne t’avait encore jamais affublé de ce titre éloquent à moins qu’on ne cherchât, comme à tes débuts, à te pervertir en te flattant grossièrement pour obtenir ta présence sur les plateaux TV, en faire-valoir d’un quelconque saltimbanque animateur d’émission grotesque.
-« Et vous ? » demandes-tu à ton tour.
-« Je suis graphiste - répond-il. Cinématographiste. »
Passé un bref moment de surprise, tu dis spontanément - « Nous sommes donc de la même famille ! Des cousins, oui… des sortes de cousins, c’est le mot qui me vient à l’esprit »
-« Si vous voulez. On peut le dire comme ça » répond-il d’un ton suave.
L’homme harmonieux te regarde, comme s’il lisait dans tes pensées. Il s’en amuse. Il faut dire que tu offres à cet instant un florilège de questions et d’interrogations propres à auréoler ta tête à la façon des peintures byzantines, tellement ton crâne est chaud et lumineux. Il n’a pas dit scénariste, ni metteur en scène, ni cinéaste, te dis-tu, car tu as une bonne mémoire. Il y a longtemps que ton imaginaire n’a pas été aussi déployé. Ce mot de cinématographiste, tu le dégustes comme un fruit tropical plein de jus, en le mâchant et le faisant tourner dans tous les sens. Tu savoures l’enchevêtrement de sens qu’il t’oblige à comprendre, à saisir et à découvrir, parmi tout ce que tu connais et tout ce que tu peux imaginer. Son odeur d’artisanat, de bois mouillé, de colle et de papier te fait apparaître Méliès et sa lune borgne. Tu entends le cliquetis de la manivelle d’une caméra énorme sur un trépied massif, cachée sous un drap épais. Tu imagines assister à un tournage, à la naissance d’un film et tu ne peux éviter de dénombrer les multiples appareils techniques mobilisés que tu t’amuses à reconnaître un par un, en bon critique que tu es, laissant divaguer ton esprit et ton regard tracer des lignes parallèles, en va-et-vient dans le ciel jusqu’à s’approcher lentement du sol pour s’attarder sur l’homme toujours immobile face à toi, le fixer, focaliser son regard, s’approcher de lui jusqu’à s’engouffrer dans la prunelle de ses yeux, lui que tu situes au centre de ce que tu cherches.
-« Vous souhaitez donc les rencontrer ? »
Il a lâché cela comme une évidence et au lieu de dire tout de suite oui, tu dis - « Est-ce possible ? »
-« Bien sûr ! Venez donc, suivez-moi, elles sont là-bas. »
Tu hésites et tu te trouves d’un seul coup rudement empoté.
-« Venez, venez, suivez-moi, n’ayez pas peur. »
-« Mais où m’emmenez-vous ? »
-« Là où elles sont bien sûr. Venez, vous dis-je. »
Le fait qu’il fasse subitement nuit noire te paraît normal. Par contre, tu trouves curieux que le cinématographiste, qui trottine allègrement devant, soit beaucoup plus doué que toi pour éviter les obstacles du terrain que tu as l’air d’adorer, puisque lorsque tu ne te fiches pas le nez dans une branche, tu te tords les chevilles dans les ornières du chemin. Tu sais que tu es un piètre randonneur mais à ce point-là, tu t’étonnes. Tu progresses malgré tout et… Argh ! cette fois-ci c’est un caillou pointu qui s’infiltre dans ta chaussure. Le temps de sautiller et tu accroches ta manche à un branchage aussi inopportun qu’épineux.
-« Où êtes-vous ? » lance ton guide à la volée.
-« Ici, en bas, dans le trou ! » arrives-tu à dire sur un ton flûté.
-« Ne faites pas l’enfant, venez, suivez-moi. Elles veulent bien vous rencontrer, mais, vous savez, elles sont si imprévisibles. Elles sont tellement sollicitées ! Vous les verrez peut être toutes à la fois, qui sait ? »
-« Moonff » réponds-tu recrachant la touffe d’herbe, à plat ventre sur le talus.
Cette nuit noire comme l’encre te fascine. Pas tellement parce que malgré tes chutes et tes cabrioles, tu n’as jamais perdu de vue ton cicérone, mais l’impression de te déplacer dans un espace familier devient de plus en plus tenace. Le terrain est devenu plus doux. L’odeur, tiède, ne t’est pas étrangère. L’air sans souffle, presque palpable, tout cela te fait penser à …. non, pas à un théâtre, à… – « Mais bien sûr ! » cries-tu comme un savant heureux. – « Bien sûr, bien sûr, bien sûr ! » répètes-tu comme un idiot. - Une salle de cinéma, une immense salle de cinéma ! Et pourtant je suis dehors ! » Et tu exultes en dansant et en levant les bras – « Youpi ! » lances-tu à la nuit étoilée dans un saut extravagant.
-« Humm ! »
Le cinématographiste, que tu avais oublié, se tient devant toi. Tu te figes aussitôt, un peu disloqué, et remets rapidement tout en toi, un peu en vrac, ce qui donne cette grimace en guise de sourire que tu lui offres faute de mieux.
-« Vous voulez toujours les voir ? Alors avancez, elles sont là. » - dit-il après que tu aies hoché plusieurs fois la tête.
Tu interrogeras plus tard ton ami car tu viens de comprendre que tu ne pourrais pas entendre ses réponses dans le vacarme qui tient maintenant lieu de décor. Comme une houle invisible, une immense clameur déferle régulièrement, pleine de cris, de vagissements, de murmures et de gazouillis, soufflant de partout à la fois des vents chargés de rumeurs, de cris d’extase et de ravissement, tels d’éternels ressacs hurlant et mugissant des multitudes de rires et de pleurs confondus en un gigantesque hourvari. Tu imagines des assemblées entières rire aux éclats, en même temps que des cortèges de plaintes étouffées. Tu perçois de timides gargouillis comme des cris étouffés mêlés à des râles de plaisirs. Tant de clameurs comme provenant de la Terre entière.
Fasciné, tu ne vois pas l’étrange lueur changeante qui s’avance vers toi, qui s’approche, te frôle, t’envahit et te demande – « C’est donc vous l’Ecrivain ? »
-« Bonjour, oui, euh…, mais tous ces bruits… »
-« Tous ces bruits comme vous dites, ils vous font peur ? »
-« Oh non pas du tout ! Mais d’où viennent-ils ? »
-« Mais de vous…. et de tous vos semblables. »
-« Comment ça ? »
-« Ce sont les émotions, toutes les émotions humaines qui naissent dans les salles obscures. C’est nous qui provoquons tous ces merveilleux sentiments à chaque fois que nous nous offrons à vous, les humains, et c’est grâce aussi à cela que nous existons. Certaines d’entre nous sont tristes et vous pleurez ; d’autres sont amusantes et vous riez. C’est un tout, vous comprenez ? »
-« Mais qui êtes-vous ? »
-« Comment cela ? Vous, monsieur l’Ecrivain, vous n’avez toujours pas deviné ? Petit plaisantin ! Mais je suis I.A. »
-« Hya ? »
-« Non. I.A. »
-« I.A. comme Intelligence Artificielle ? »
-« Ah Ah ! Comme vous êtes drôle ! Non I.A. comme Image Analogique. Vous vouliez nous rencontrer n’est-ce pas, eh bien voilà, moi je suis une image historique. Oh, ne m’interrompez pas avant que je vous dise que je suis aussi, à la fois, toutes les images de ce que vous appelez le cinéma et qui ont été créées jusqu’à maintenant. Vous voyez, j’étais il y a un instant ce vaste panoramique d’un coucher de soleil sur une mer céruléenne et je suis maintenant ce joli profil de femme accoudée à son balcon. Qu’en dites-vous ? »
Evidemment tu es un peu sonné. Complètement ahuri, corriges-tu aussitôt par honnêteté intellectuelle. Finalement non, tu trouves que tu es ab-so-lu-ment abasourdi. Mais en même temps joyeux.
-« Tous ces bruits comme vous dites sont l’expression de vos cœurs humains lorsqu’ils nous voient dans ce que vous appelez un film. C’est fou la variété d’émotions que nous faisons naître, parfois sans le vouloir d’ailleurs. Nous sommes des images, des images de cinéma. »
-« Mais il a bien fallu vous créer ? »
-« Bien sûr ! Nous sommes nées en même temps que vous. »
-« C'est-à-dire ? »
-« Eh bien, vous savez, il y a bien longtemps, les images ont d’abord été fixes. Monsieur l’Ecrivain, ne me dites pas que vous ne connaissez pas cette histoire qui remonte aux premiers âges, de Lascaux, à la Renaissance, la peinture, puis la photographie… »
-« Et le cinéma ! »
-« Oui, vous les humains, vous êtes très inventifs. Il y a un peu plus d’un siècle, vous créâtes cet art merveilleux qui continue de vous envoûter. Savez-vous pourquoi ? »
Là, tu veux impressionner et marquer un point car tu viens de te rappeler que tu es un fameux critique de cinéma. Et tu dis : « le mouvement ? »
-« Bien plus que cela ! La vie ! La vie recréée mais en mieux. Une sur-vie en quelque sorte, surréelle, idéale et universelle. Des histoires que tout le monde comprend, ressent et veut vivre, comme si elles dévoilaient la pure vérité de la condition humaine. Je suis, nous sommes, des images éternelles. Vous comprenez ? »
Oui, tu commences à comprendre, mais l’émotion t’envahit à ton tour et tu ne peux rien dire. I.A. est maintenant un petit garçon qui rentre pour la première fois à l’école. Il a cinq ans et il est terrifié par tous les enfants qui courent en hurlant dans la cour de récréation. Personne ne lui a expliqué ce qu’il devait faire. Il attend et cherche désespérément un autre enfant perdu comme lui à qui il pourra prendre la main pour être moins seul. Tu ne sais plus si ce défilement d’images provient d’un film que tu aurais vu il y a des années mais tu es obligé d’admettre qu’elles ont une drôle de résonance avec une partie de ta vie. I.A. continue de parler et tu vois deux braves mecs, assez empotés, qui s’apprêtent à disperser les cendres d’un de leurs amis. Ils sont sur le bord d’une falaise qui domine la mer et il fait un vent du tonnerre. Celui qui porte l’urne funéraire se tient au bord du précipice et se met à déclamer une ode au défunt. Une ode complètement hors sujet par rapport aux circonstances. L’autre, qui est venu à reculons à cette cérémonie, porte un beau costume neuf, campe les bras croisés quelques pas en arrière et ronge son frein. Le vent lui arrive en pleine face. Il y a longtemps qu’on peut deviner ce qui va se passer, mais quand il reçoit le nuage de cendres en pleine poire, tu éclates de rire à t’en rouler par terre.
-« Vous voyez, je peux faire rire et faire pleurer le monde entier ! » - continue imperturbablement I.A.
-« Mais ce que vous me montrez là s’appelle un film, du cinéma ! »
-« Oui et non. De quoi est fait un film d’après vous ? »
-« D’images, d’images successives… »
-« Eh bien considérez que l’image dans un film est un peu comme l’ADN dans un corps humain. Un élément fondamental. Enlevez cette molécule et le corps n’existe plus. »
I.A. se métamorphose sans cesse et la tempête de clameurs commence à t’enivrer. Toi qui voulais une enquête spéciale, tu es servi ; mais surtout émerveillé, joyeux et excité comme si tu étais amoureux. Ton esprit rationnel ne se relâche pas pour autant et tu poses cette question : - « qui vous crée au juste ? »
-« Un petit peu vous Monsieur l’Ecrivain – répond I.A. électrique et espiègle. Puisque vous révélez l’imaginaire, d’autres après vous exploitent les mondes que vous avez créés. En particulier votre ami qui vous a conduit ici, le cinématographiste. C’est lui qui nous entraîne à chaque fois dans des histoires. Nous l’aimons beaucoup »
-« Il y a aussi tous les autres. Je veux parler des acteurs, des actrices, des…
-« Oh, n’allez pas plus loin, je les connais – rétorque I.A. en t’offrant une vue kaléidoscopique des stars hollywoodiennes.
La fanfare des rires et des pleurs humains ne cesse de tourbillonner comme d’énormes volutes de mille sonorités. Tu veux la remercier pour ce voyage unique qu’elle te permet de vivre et tu penses évidemment à l’enlacer et l’embrasser, mais tu ne peux rien faire car elle n’est nulle part et partout à la fois, si changeante, si abstraite et bien là pourtant, si datée et si universelle. Tu te laisses bercer dans cet univers que tu as décidé de ne plus quitter. Tu planes comme après t’être empiffré de pâtisseries orientales et tu te tournes lentement vers elle.
-« Oui I.A. Que disiez-vous ? »
-« Je ne suis pas I.A. Je suis sa sœur »
-« Hein ! Mais qui êtes-vous ? »
-« Je m’appelle I. N. »
-« Hyène ? »
-« Non I.N. pour Image Numérique. Mais appelez-moi Noum, c’est plus joli »
-« Mais où est passée I.A. ? »
-« Elle est toujours là, ne vous inquiétez pas. D’ailleurs la voici. »
-« Oui je serai toujours là ma chère sœur, malgré les inventions et les trouvailles du génie humain. »
-« Pfft ! Rien ne vaut la netteté et la précision. »
-« Fi donc, rien n’égalera le grain ni la nostalgie. »
L’arrivée de Noum n’a pas fait varier le moins du monde le déferlement continuel des vagues de soupirs et de clameurs. Tu entends autant de cris d’épouvante que d’explosions de rires, de vrombissements sourds que de gloussements coquins. Noum t’éblouit. Elle est aussi… belle, dirais-tu, que I.A ? Non ce n’est pas ça. Tu cherches un mot plus adapté et tu te dis que tu manques terriblement d’inspiration. Envoûtante ? Bof ! Non. Tu penses finalement que numérique ou analogique, ce sont des images et peu importe, c’est la même chose.
-« Oui, peu importe c’est la même chose. » - leur lances-tu.
-« Qu’est-ce qui est la même chose ? » demandent en chœur les deux sœurs.
-« Eh bien, vous voyez, vous parlez en même temps ! Que vous soyez analogique ou numérique, vous êtes avant tout des images, et le rêve continue. »
Tu remarques aussitôt que ton intelligente répartie a provoqué un conciliabule secret entre Noum et I.A. Le tumulte environnant est devenu pour toi une sorte de musique de l’âme humaine. Tu attends patiemment, mais tu voudrais bien qu’elles t’associent à leur parlotte mystérieuse. Elles se démultiplient à l’infini, en couleur, en noir et blanc, parfois en sépia. Tu les regardes et tu es pris dans une tornade de souvenirs, de fantasmes, d’angoisse, d’allégresse selon que tu reconnais en elles des souvenirs heureux ou pénibles ou des idéaux romantiques, gardiens éternels de tes inspirations. Ton cœur chavire à chaque seconde comme un frêle esquif pris dans un typhon symphonique.
-« Monsieur l’Ecrivain, Monsieur l’Ecrivain, atterrissez et venez, suivez-nous. Elle veut vous voir elle aussi. »[JC1]
-« Qui donc ? »
-« Notre nouvelle sœur. »
-« Comment ça une autre sœur ? »
-« Oui, vous allez voir, la voici. »
-« Bonjour Monsieur l’Ecrivain. Je m’appelle Dédée. Dédée tout court, pas d’Anvers »
-« Dédée ? »
-« En réalité mon vrai nom est D.D.D. ou 3D. Je suis une image 3D, en relief comme vous dites. Mais 3D c’est tellement disgracieux que je vous demande de m’appeler Dédée. La grâce, vous comprenez, c’est pour nous comme une nature profonde, immuable. »
Tu balbuties quelque chose qui ressemble à un mâchouillis incompréhensible pendant qu’une tornade d’images t’engloutit. Les montagnes russes ne sont rien à côté des plongées que tu dessines. Tu as l’impression d’être la tête en bas mais ce n’est qu’une illusion car une seconde après, droit comme un piquet et maître de tes sens, tu dis à Dédée qu’elle paraît bien timide face à ses deux sœurs.
-« Oui c’est vrai. C’est parce qu’elles savent porter le subtil, montrer la beauté. Elles sont d’une puissance inégalée pour exposer l’indicible d’une impression, l’atmosphère délicate d’une situation. I.A. et Noum sont imbattables pour vous montrer la tendresse d’un visage, l’amour d’une femme, la honte d’un repenti, ou l’aube se levant sur la mer. »
-« Et vous non ? »
-« Non. Ou pas encore. »
Tu es intrigué d’autant que tu ne peux t’empêcher de contempler la sarabande hallucinée que forment à cet instant Noum et I.A., comme dansant ensemble en un tourbillon multicolore. Tu te demandes si tu peux te permettre de lui demander pourquoi.
-« Euh…et pourquoi ? »
-« Tout simplement parce qu’on m’a créée pour montrer avant tout l’angoisse et la frayeur. Ne sont-elles pas aussi d’intéressantes émotions ? Et sur ce chapitre, je suis la meilleure, n’en déplaise à mes chères sœurs, n’est-ce pas mes petites chéries ? »
-« Tout est relatif. Tu devrais le savoir ma chère Dédée. »
-« Et rien ne dépassera dans le cœur des gens ma beauté analogique ! »
-« Parle pour toi, rien ne pourra remplacer la pureté et la netteté de mes lignes ! »
-« Ah Ah Ah, Laissez-moi rire ! », roucoule Dédée tout en virevoltant.
Décidemment l’image est facétieuse et tu t’apprêtes encore une fois à jouer les arbitres en disant qu’une image…..
-« Est une image, oui on sait – t’apostrophent-elles. Mais quand même, il y a des différences. Venez, je vais vous montrer quelque chose » gazouille Dédée.
Tes oreilles semblent se transformer en feuilles de chou géantes au surgissement d’une énorme vague de hurlements titanesques qui enveloppe tout ce qui était encore de la musique auparavant. Un flot d’images s’abat sur toi et te transperce de part en part. Les trois sœurs t’offrent la même image d’un clown hilare.
-« C’est malin ! Quelle bourrasque ! Qu’est-ce que c’était ? » - souffles-tu.
-« Le retour de l’abominable monstre vert de l’espace – me répond Dédée. Je suis très fière de cette image en relief. Elle fait partie d’un film qui va bientôt sortir comme vous dites. Vous verrez, quand la tête fumante du monstre vous arrivera droit dessus, vous ne pourrez pas longtemps rester muet. Comme je vous l’ai dit, le relief, la frayeur, la peur, sont mes spécialités. Mais je dois vous avouer que j’envie beaucoup mes sœurs lorsqu’elles sont le vent qui souffle sur le blé irlandais, ou l’odyssée de l’espace sidéral. »
Ton voyage dans ce monde enchanté t’emporte ailleurs. Tu sembles flotter mais c’est une impression. Tu avances parmi les sons et les images dans un large couloir sans parois et tu vois au-dessus de toi la nuit étoilée. I.A., Noum et Dédée émettent leur flux de panoramas, de visages, d’objets, et, de-ci de-là, une image de dessin animé ; elles tournoient maintenant autour d’une ombre qui t’intrigue assez pour t’approcher un peu. Une sorte de silhouette se tient debout au centre comme le pivot de leur maelström. On dirait un homme qui semble leur parler et…mais oui, tu retrouves le cinématographiste que tu avais totalement oublié. Il te voit et te sourit.
-« Etes-vous heureux de les avoir rencontrées ? »
-« Grâce à vous j’ai vu le monde entier. Ce monde est tout entier rassemblé ici et je ne souhaite plus en sortir. »
-« Dans ce cas, il vous faut voir tout le monde. Venez les rejoindre. Elles sont autour de leurs sœurs »
-« Encore une autre sœur ? »
-« En fait deux sœurs, mais irrémédiablement unies. Elles sont siamoises. Ne faites pas attention, elles se chamaillent sans cesse. »
De toutes façons, plus rien ne t’étonne. Ton cœur a rejoint ton esprit comme dans une fête perpétuelle. S’avance alors vers toi dans un bouillonnement de couleurs irradiantes, un spectre qui glisse en virevoltant comme une valse, montrant ce que tu nommes une face et un dos, comme le verso et le recto d’une insaisissable et immense carte à jouer.
-« Nous sommes des sœurs jumelles… » chantent-elles en double.
-« Je suis B.A. » dit le verso.
-« Je suis PUB » dit le recto.
Comme tu es devenu familier des lieux, c’est avec aisance que tu t’engouffres dans leur tourbillon et dans les tours de l’ample valse qu’elles t’offrent. Tu as deviné leur identité puisque tu les vois à chaque séance de cinéma.
-« B.A. comme Bande Annonce, n’est-ce pas ? »
-« Oui mais appelez moi Béa c’est plus charmant. »
-« Et vous PUB, avez-vous un petit nom également charmant ? »
-« Vous savez que c’est déjà un diminutif et je m’en contenterais. »
-« Ne faites pas attention Monsieur l’Ecrivain, ma sœur a mauvais caractère car elle est jalouse de mon statut diplomatique, alors qu’elle se considère comme un simple agent commercial, si vous voyez ce que je veux dire, -me susurre Béa dans une spirale baroque. – Je représente les films à venir et mon rôle d’émissaire fait de moi un important ambassadeur »
-« Que nenni ! - tempête vivement PUB qui écoutait patiemment jusque là. – C’est moi qui suis l’ambassadrice des marques et des produits, que vous, les humains, n’arrêtez pas d’inventer. Et c’est ma sœur qui n’est en réalité qu’un simple agent commercial pour vendre les films à venir ! »
-« Mais non ! »
-« Mais si ! »
Tu toupilles ainsi de pirouettes en pirouettes, tantôt dans l’aura de Béa, tantôt dans le halo de PUB, quand le flux d’images et de sons s’agrandit encore à la venue des trois autres qui t’aspirent et t’entourent dans leur farandole effrénée. La vaste clameur est une cataracte infinie qui te berce autant qu’elle t’exalte.
-« Mes amies – déclames-tu comme enivré – mes chères amies, vous êtes toutes des images divines. »
-« Divines je ne sais pas – proclament-elles d’une seule voix. C’est tout de même vous qui nous avez créées ! »
-« Oui, bien sûr, je voulais dire extraordinaires, éternelles, universelles, que sais-je encore. Vous comprenez, dire image est un peu plat. Je voudrais nommer ce que je ressens au plus profond de moi quand je vous vois toutes à la fois… »
-« Vous avez dit éternité, vous pouvez aussi ajouter lumière » te glisse Noum au-dessus de toi.
-« Luminescence » chuchote I.A.
-« Image éternelle… oui, c’est cela. » - balbuties-tu.
-« Nous sommes une lumière éternelle. Lux æterna. Oui, Monsieur l’Ecrivain, appelez-nous Lux æterna. »
Et te voilà transbahuté dans une explosion de lumières, d’images et de musique. Tu es comme ton guide tout à l’heure, droit au milieu des images-sœurs qui tournent autour de toi à donner le vertige. Elles t’entraînent, t’embrassent, t’enveloppent
-« Arrêtez, vous me chatouillez ! Ah Ah ! Non Dédée, pas sous les aisselles ! Ouaah Ah Ah ! Arrêtez, pas non plus ici Béa, pas la plante des pieds ! Ouaaah arrêtez de me chatouiller, Ah Ah Ah ! Pas les cinq à la fois ! Noum ! Voyons ! Ouaaaargh ! J’en peux plus ! »
-« Monsieur… »
-« Ouah Ah Ah ! Arrêtez, j’en peux plus ! »
-« Monsieur ! »
-« Ouh Ouh Ouh !
-« Monsieur ! Réveillez-vous. »
-« ?!... »
-« Réveillez-vous Monsieur, nous sommes arrivés. »
-« Hein ! Quoi ! Que dites-vous ? »
-« Nous sommes arrivés à destination Monsieur. »
-« Comment ça ? Où sommes-nous ? »
-« A Cannes. C’est le terminus. »
L’air encore complètement ahuri, tu zigzagues vers la sortie alors que, farfouillant dans tes poches, tu sors cette drôle de carte de visite, blanche d’un côté, noire de l’autre, où deux mots minuscules aspirent tes yeux grands ouverts de stupeur : Lux Aeterna.
Edouard Lecèdre
Août 2012
-
Histoire(s) du cinéma américain
ou
Deux exemples de cinéastes américains rebelles, victorieux contre le système
ou
Une nouvelle illustration de la fable de David contre Goliath
Lors d’un récent voyage dans la blogosphère, je découvris qu’on avait écrit que Hollywood était une industrie qui, comme son ancêtre Moloch, soumettait à ses lois - celles du marché et de la propagande - tous les cinéastes, même les plus talentueux. C’était vrai ; presque vrai. Au moment où, vêtu de noir, je m’apprêtais à rejoindre le long cortège funèbre de la mort du 7ème art, abattu par cette irréparable disparition, le téléphone sonna dans le vestibule.
« Allo ? C’est Stanley. Stanley Kubrick »
« ….. ? »
« Allo, vous m’entendez ? »
« Euh oui, mais je croyais que… »
« Je n’ai hélas pas le temps de vous expliquer. Enlevez tout de suite ces vêtements funestes ! Il n’y a pas de funérailles ! C’est un mensonge, c’est un coup de la propagande ! »
Inexplicablement, comme envouté par une évidence, je savais que c’était bien Stanley Kubrick qui me parlait. Le temps pressait, je le sentais. J’allai donc à l’essentiel, le cinéma, et laissai les questions métaphysiques pour plus tard (même si une telle occasion d’en savoir un peu plus sur l’après ne se présenterait pas de si tôt).
« Mais…. Stanley, le cinéma est mal en point, vous le savez bien ! »
« Mal en point mais pas mort. Deux films vont sortir ce mois-ci, qui vont vous le prouver. Notez que ce sont deux films américains, réalisés par des américains. Deux grands seigneurs qui ont mis le système à genoux. »
« Ils sortent en mars ? Un rapport avec votre mort en mars 1999 ? »
« J’ai effectivement voulu que ces sorties aient lieu au mois de mars »
« Je vois que vous continuez à n‘en faire qu’à votre tête ! Puis-je savoir comment vous faites ? »
« Simplement je ne me laisse pas faire. La différence, là où je suis maintenant, est que j’embête beaucoup plus de monde qu’auparavant….Bon, je n’ai plus beaucoup de temps et je vais devoir vous quitter. Allez voir ces deux films et vous comprendrez que la résistance est possible. Soyez attentif car il y en aura d’autres… Au revoir »
Un bip interminable fut le point final de cette conversation.
Quelques jours plus tard, le premier OVNI sortait sur les écrans : A la merveille (To the wonder) de Terrence Malick. La semaine d’après, ressortait après trente trois ans de purgatoire, le film maudit qui coula la major United Artists : Heaven's Gate (La porte du paradis) de Michael Cimino.
Deux films américains, totalement hors normes, très différents l’un de l’autre, mais dont, parmi leurs points communs, l’audace s’impose tout de suite. L’audace de s’être opposé au colosse hollywoodien. D’avoir osé s’opposer sonnerait même plus juste. Puis le courage d’avoir tenu bon dans la durée malgré l’infernale pression. Enfin la détermination, l’indéfectible ténacité qui permit à Cimino et à Malick, d’aller jusqu’au bout de leur œuvre, de leur désir, de leur vision. Deux artistes.
La porte du paradis est sorti en 1980. Western de plus de trois heures et demi, dont le tournage dans le Montana s’éternisa des mois et des mois, sans scénario précis, avec une héroïne (Isabelle Huppert, 27 ans, dans le rôle de Ella Watson, une prostituée française) inconnue des producteurs américains qui firent tout pour la rejeter (n’hésitant pas à l’appeler des States en pleine nuit pour sonder son niveau d’anglais), mais que Cimino imposa contre vents et marées, chantage, pressions en tout genre, ce film-monstre pour les esprits américains provoqua la faillite de la major United Artists. Ce fut un bide en Amérique, mais un succès critique en France. Un échec moins à cause de son format inhabituel (surtout pour un western), qu’en raison de son propos, de son esthétique, de sa musique, bref de son écriture cinématographique. Si, selon les codes en vigueur, c’est un western, La porte du paradis est surtout un film politique qui a mis KO l’establishment US et ses mythes fondateurs. Point d’Indiens, ni de duel où le bon s’en sort seulement blessé (au bras le plus souvent), ni de hold up qui tourne mal (le bon vieux toubib, ou la jeune fiancée, reçoit une balle dans le front), ni de saloon avec les pochards, les joueurs de poker qui finiront pas s’entretuer, ni de cavalerie (au triple galop au son du clairon).
A la place, il y a des miséreux arrivés tout droit d’Ukraine, de Bulgarie, de Roumanie, de Hongrie, bref d’Europe Centrale, qui ayant fui la misère européenne, essaient de survivre dans une autre, celle de l’Ouest américain, en cherchant à s’installer dans les grandes plaines. Ils poussent et tirent d’énormes charrettes, où s’entassent leurs affaires; femmes et enfants poussant jusqu’à l’épuisement, l’homme devant, tirant comme une bête. Seulement voilà : les WASP éleveurs ne veulent pas de ces gueux, ne veulent pas partager la terre ; ne veulent surtout pas que ce nouveau monde rende ces concurrents prospères. Ces patriciens vont donc les exterminer en louant les services de mercenaires avec l’accord des politiques et même du Président des Etats-Unis. Une boucherie ; mais les gueux se défendront avec pugnacité et ruse (aidé par le héros blanc – Kris Kristofferson-, un brillant sujet de West Point en rupture de classe, qui reniera cet ordre et finira sa vie en solitaire). L’ordre blanc doit perdurer ! On pense aux Roms d’aujourd’hui, à tous les Africains qui s’échouent sur les côtes de l’Europe du Sud.
Il y a aussi un bordel et des prostituées, filmées avec grâce. Elles seront tuées par les soudards puritains. Il y a ce peuple, filmé comme un documentaire, qui évoque incontestablement l’esthétique russe des films de Eisenstein ou de Tarkovski ; un peuple qui ne sait pas se battre, est inorganisé, dont les chefs ont la bêtise de défendre leurs oppresseurs par docilité et obéissance à la loi (allusion claire aux dirigeants juifs de Varsovie et d’ailleurs qui servirent les intérêts nazi en croyant agir pour leur sauvegarde) mais dont la majorité se soulèvent pour vivre et survivre. Il y a la musique d’Europe Centrale, ce morceau d’anthologie du bal en patins à roulettes.
Des esprits chagrins pourraient me rétorquer qu’en 1980, il était encore possible de faire un tel film aux Etats-Unis et que, malgré tout, Cimino a su habilement exploiter les libéralités de la décade des années 70 qui fut prodigue en films critiques de la société américaine (car effectivement après, l’ère reaganienne et les rejetons qui suivirent mirent tout le monde au pas). Eh bien j’affirme que non. D’abord il n’y eut pas tant de films critiques que cela. Mais ceux qui le furent employèrent rarement la forme quasi sacrée du western, qui est le logos fondateur américain et qui est devenue rapidement la figure esthétique légendaire qu’on n’ose plus égratigner. Et parmi les westerns critiques ou démythifiants, Cimino est allé à l’essentiel, au noyau dur de la société américaine, celui des rapports historiques de classe, très crus et très violents, de cette Amérique, et ce, à travers une écriture filmique éblouissante, sachant réunir sans dogmatisme ni dispersion la grande et la petite histoire, le sublime des panoramas et la précision des scènes de genre, sachant montrer, malgré tout, les ambiguïtés tant chez les miséreux que chez les dominants sans perdre la réalité des rapports sociaux, et sachant conjuguer grandes séquences cinétiques d’ample dramaturgie (les valses, les chevauchées circulaires..) avec tableaux statiques d’ensemble tels des peintures classiques.
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Mais qu’en est-il en 2013 dans un système hollywoodien plus impérial que jamais ? Trouve-t-on encore des francs-tireurs ?
Deux ans après Tree of life, film assez kubrickien, du moins dans sa fresque diachronique de l’histoire du monde, (de la création à nos jours) et qui en sidéra plus d’un, le mystérieux Terrence Malick sort son nouvel opus sous le titre To the Wonder, traduit par A la merveille, un titre qu’il eût mieux valu laisser en anglais (imaginez «l’arbre de vie » et on croira que c’est un film publicitaire pour recruter chez les cathos, ou plutôt chez les adeptes de sectes à la Coelho).
Sur le plan du mystère, Malick est au cinéma ce que Thomas Pynchon est à la littérature. Nul ne sait réellement où il vit. Il n’apparaît jamais en public, évidemment pas dans les medias. Son futur biographe aura bien du mal à nous resituer sa vie, à moins qu’il en reçoive les éléments de la bouche même de ce cinéaste hors du commun. Universitaire brillant, auteur d’une thèse sur Heidegger, il tourne La ballade sauvage (Badlands), son premier film à l’âge de 30 ans en 1973, suivi cinq ans plus tard du stupéfiant Les moissons du ciel (Days of Heaven), un tournage halluciné qui surprend encore aujourd’hui. Puis Malick disparaît pendant vingt ans sans donner de nouvelles. Personne ne sait aujourd’hui ce qu’il a entrepris pendant cette période. Ce fut donc un événement quand, en 1998, il sortit son troisième film : La ligne rouge (The Thin Red Line) magnifique fresque humaine sur la boucherie de la bataille de Guadalcanal. Ce film ouvre un nouveau cycle de recherche formelle et de sujet qui va se prolonger avec Le nouveau monde (The New world, 2005), Tree of life (2011) et aujourd’hui A la merveille.
Terrence Malick est le seul cinéaste qui, à l’instar de Stanley Kubrick, peut réaliser des films-monde, à gros budget, non commerciaux, totalement en dehors des modes du moment, faisant fi du marketing pourtant roi dans ce secteur, tout en soumettant le système de production à sa volonté. Ainsi, il impose dans ses contrats qu’aucune photographie de tournage ne sera prise ; qu’il ne donnera aucune interview avant, pendant et après. Pareillement pour les acteurs. Avec lui, les délais de tournage sont plutôt élastiques, ne dépendant que de sa création. C’est pour cela qu’il fait immédiatement penser à Kubrick.
Avec A la merveille, Malick, comme les grands artistes, poursuit son travail de recherche sur le même thème depuis des années : celui de la brisure, de l’égarement, de l’errance existentielle, de la discontinuité relationnelle qui caractérisent la vie des êtres d’ici-bas. Celui, parallèlement, de leur quête aveugle et éperdue pour y trouver un sens. Par rapport à Bergman, dont on le rapproche assez vite, Malick oriente sa recherche sur le plan métaphysique. Si Tree of life était empreint d’un mysticisme animiste hésitant entre délivrance ou réconciliation et entre pessimisme de la destinée humaine, le film A la merveille est franchement nihiliste quant au sens de la vie sur Terre. Les personnages (un couple, un prêtre), se comportent comme des êtres perdus, non pas à la recherche de l’amour, mais plus cruellement, comme des personnes dotées d’amour mais qui ne savent pas quoi en faire. L’amour, ce sentiment immense, est trop grand pour elles. L’homme, la femme l’ont reçu comme en héritage d’un Créateur qui les a abandonnés et qui est parti il y a très longtemps. Ils pataugent dans un quotidien insipide, à la recherche d’un sens de la vie qui les dépasserait, mais tournent en rond, insatisfaits. Le prêtre a perdu la foi et se sent abandonné.
Cette Amérique, Malick la filme sans détour, mais avec beaucoup de grâce, ce qui fait d’autant ressortir la misère de ce pays. Le rêve américain tel qu’on nous bassine depuis des décennies ? : les maisons éventrées, les exclus, les malades, les gens floués par les mensonges publics, toutes les victimes du système capitaliste ; les paysages vides, les supermarchés, les lotissements mortifères, au bout de nulle part, où on hésiterait entre se saouler sans cesse ou se tirer une balle pour en finir plus vite. L’amour est donc là mais en vain. Pourquoi ? La faute à nous même, à la manière dont nous nous organisons pour vivre. Seule subsiste la beauté de la Nature, les animaux, les arbres, l’herbe, l’eau, le vent.
Et regarder par exemple la femme cueillir du bout de la langue une simple goutte de pluie suspendue au bout d’une branche, dans une lande pleine de brume hivernale, ou la voir s’extasier au contact de ses mains sur le gravier d’un chemin, sur fond de la musique lancinante et si évocatrice du compositeur polonais Henryk Görecki est terriblement émouvant.
« Allo ! C’est Stanley. Alors, vous les avez vus ? »
« Oui. Sacrés films ! Je viens d’écrire un article pour le blog d’une amie »
« Bon. Très bien. Sachez qu’il y a d’autres résistants dans le cinéma que ces deux là, plein d’autres qui sont tombés dans l’oubli ou qui peinent à exister, comme mon ami Elia Suleiman »
« Où dois-je chercher ? »
« Regardez du coté des Russes, de l’Asie. D’une manière générale vous ne vous étonnerez pas d’en trouver dans les pays de la périphérie. Mais attention ! Là aussi, il y a de la propagande et des produits avariés, plus qu’on ne pourrait le penser. Ah oui, avant de vous quitter, regardez aussi du côté des documentaires, un genre qui n’existait pas de façon aussi militante de mon temps. Comme quoi…. »
« Stanley ? »
« Oui »
« Votre prochain film ? »
« Eh bien, je pense que je vais… »
Un crachouillis. Puis une voix métallique : « pour des raisons de saturation du réseau, nous nous excusons de cette interruption momentanée du son »
Edouard LECEDRE
Mars 2013
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Bandes-annonces
en ordre chronologique
La porte du paradis
Vu l’importance historique du film, nous prenons sur nous d’y ajouter :
Une critique… de 2007 (et alors ?) sur Citizen Poulpe
http://www.citizenpoulpe.com/la-porte-du-paradis-michael-cimino/
Et une autre, du 3 mars dernier, sur Il a osé
http://ilaose.blogspot.be/2013/03/la-porte-du-paradis.html
Tree of life
A la merveille
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Note des Grosses orchades
par Catherine
Que notre ami Lecèdre me pardonne, mais il me semble qu’en défendant avec chaleur une œuvre qui mérite certainement de l’être tant pour le fond que pour la forme (Heaven’s Gate), il donne implicitement raison aux contempteurs d’Hollywood auxquels il fait allusion au début de son article. (C’était il y a peu, sur le blog de Georges Stanechy, à propos du Django Unchained de Quentin Tarantino, porté aux nues par l’animateur du blog : http://stanechy.over-blog.com/article-mali-afrique-tarentino-vous-l-explique-115470331.html ).
Les mots « Le second et dernier chef d’œuvre de Cimino » (critique d’Il a osé), ne sont pas moins définitifs qu’un couteau de guillotine ! Car ce n’est hélas pas Cimino qui a vaincu Hollywood, mais bien Hollywood qui a réduit Cimino pour toujours au silence.
Quant aux distributeurs en France de Tree of Life, qui n’ont pas traduit ce titre, ils n’ont jamais dû entendre parler de l’« Arbre de vie », un des plus anciens symboles de l’humanité, toutes civilisations confondues.
Enfin, à propos du film de Malick La ligne rouge, puis-je me permettre de rappeler que le roman dont il est tiré avait été inspiré en 1962 à son auteur James Jones par une autre bataille célèbre, celle de la Balaclava (Guerre de Crimée) qui a vu, le 25 octobre 1854, le 93e régiment des Sutherland Highlanders (vêtus de rouge), soutenu par un petit corps de Royal Marines et un autre de fantassins turcs, mettre en déroute la cavalerie du tsar au prix d’une indescriptible boucherie.
L’événement, monté en épingle par la presse britannique, s’est transformé en référence iconique aux qualités de l’uniforme rouge (ô propagande), dans une guerre conduite en dépit du bon sens, de plus en plus impopulaire.
The Thin Red Line, tableau de Robert Gibb
« La fine ligne rouge» a inspiré un poème à Rudyard Kipling et, à George McDonald Frazer, un de ses romans historico-satiriques de la série des « Flashman » - dont deux sur douze ont été traduits en français, of course - : l’irrésistible Flashman at the Charge.
Et c’est en 1968 que Tony Richardson (pour United Artists !) a tourné le très peu conventionnel film anti-guerre The Charge of the Light Brigade, avec Trevor Howard, John Gielgud et Harry Andrews (excusez du peu) dans le rôle des inoubliables ganaches Lord Cardigan, Lord Raglan et Lord Lucan, ainsi que la belle Vanessa Redgraves, David Hemmings et une flopée d’autres, dont Laurence Harvey en prince russe. Ce film d’une actualité si brûlante – c’est la raison de ce grain de sel – mériterait certes un deuxième triomphal tour d’Europe. Mais si c’est Hollywood qui organise la distribution…
La charge de la brigade légère
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Voulez-vous tester vos connaissances cinématographiques ?
Une des lumineuses apparitions d’Edouard Lecèdre est sortie tout droit d’un film célèbre. Saurez-vous le reconnaître ?
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ET CARTE COUPE-FILE
AUX GROSSES ORCHADES
(pour cause d’actualité non cinématographique)
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Nouvelles d’Orient et d’Occident
Rencontre entre Vladimir Poutine et le nouveau président chinois :
IRIB- 22 mars 2013 - Le président russe Vladimir Poutine et son homologue chinois Xi Jinping ont affiché des relations au beau fixe entre les deux pays, qui devraient conclure des accords économiques, pour le premier déplacement à l'étranger du chef de l'Etat chinois depuis son investiture. Le chef de l'Etat chinois, accompagné par son épouse Peng Liyuan, a entamé une visite de trois jours en Russie en se rendant au Kremlin. « Nous sommes reconnaissants de votre décision d'avoir choisi notre pays pour votre première visite à l'étranger », a déclaré M. Poutine au début des entretiens. « Vous êtes le premier chef d'Etat que je rencontre », a indiqué de son côté M. Xi, investi la semaine dernière à la présidence de la République populaire après avoir pris les rênes du Parti communiste en novembre. « Nous sommes de bons amis, les relations entre la Russie et la Chine n'ont jamais été aussi bonnes », a-t-il souligné.
Source :
En relation avec ce qui précède, voir ou revoir pendant qu’on y est, l’article de Philippe Grasset : « Grande muraille souterraine en Chine et Red Scare US » sur notre post du 2 février dernier.
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Un peu de cancans pipoles, il faut avoir tout essayé :
L’épouse du président chinois, Peng Lyuan (49 ans) est une chanteuse immensément populaire dans son pays.
Contrairement à Carla Bruni, elle était célèbre bien avant l’ascension politique de son époux, et l’est restée davantage que lui jusqu’à son accession au sommet de la hiérarchie du pays.
Contrairement à Jiang Qing (Mme Mao Tse Toung), elle ne se mêle pas des affaires de l’état, quoique major-général de l’Armée de Libération Populaire. Elle chante principalement des airs traditionnels (chez les anglo-saxons on dirait du folk) mais ne dédaigne pas les chansons d’amour. Elle ne dédaigne pas non plus de chanter en costume national de l’une ou l’autre ethnie chinoise.
Peng Liyuan et Xi Jinping ont une fille , Xi Mingze.
Agée de 21 ans, Xi Mingze a commencé ses études de traductrice à l’Université des Langues Etrangères de Hangzhou et les poursuit, depuis 2010, à l’Université de Harvard (USA).
Quelques tubes de la Présidente
Ma patrie (littéralement : Ma matrée)
Route céleste
Décor kitsch garanti made in China.
Et pour les deux suivantes, comme dirait le camarade Averty : « A vos dictzionnaires ! »
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Nicolas Sarkozy et la justice
Ce vendredi 22 mars, l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, a été mis en examen « pour abus de faiblesse » dans l’affaire Bettencourt.
Quid des autres affaires ? Du meurtre d’un de ses bailleurs de fonds de campagne ? De crimes contre l’humanité dans la guerre de Libye ?. Il n’est question pour l’instant que de cette inculpation, dite « mise en examen », dans une affaire privée.
Sur le blog justice.be, des catholiques traditionalistes de droite (pléonasme) nostalgiques d’une certaine Allemagne et nantis de maîtres à penser qui ne sont pas les nôtres, se fendent quelquefois (assez souvent même) d’articles intéressants per se. Comme disent nos amis du Cercle des Volontaires : « ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise » ? Espérons-le toujours. En voici un :
MISES EN EXAMEN : APRES DSK, SARKO
Sarkozy est mis en examen. Normal, c'est un voyou ! Cela lui pendait au nez, comme elle pend au nez de tous ceux qui pour satisfaire leur addiction sont prêts à tout. Après DSK, voici Sarko et, croyez-le, c'est le plus dangereux des deux !
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Perquisition à Paris au domicile de la directrice générale du FMI, Christine Lagarde
20 mars 2013 –
Des policiers ont perquisitionné ce mercredi le domicile parisien de Christine Lagarde, ex-ministre de l’Economie, des Finances et de l’Emploi du gouvernement Fillon (II) de 2007 à 2011, actuellement directrice générale du Fonds Monétaire International (FMI) en remplacement de Dominique Strauss Kahn, dans le cadre d’une enquête sur la vente de l’équipementier sportif Adidas à la banque Crédit Lyonnais.
« Mme Lagarde n’a rien à cacher », a déclaré son avocat Yves Repiquet précisant que sa cliente n’avait pas été entendue en l’état de l’enquête.
Pour solder un contentieux qui opposait la banque française Crédit lyonnais à l’homme d’affaires, patron de presse et ancien ministre Bernard Tapie, Christine Lagarde avait choisi de recourir à un arbitrage.
Le tribunal arbitral - une juridiction privée - avait condamné en juillet 2008 le Consortium de réalisation (CDR) - structure publique gérant le passif du Crédit lyonnais - à verser à Bernard Tapie 285 millions d’euros d’indemnités (400 millions avec les intérêts).
C’est sur cet arbitrage qu’enquête à présent la justice française, et dans le cadre de cette enquête que des perquisitions ont été menées non seulement chez Christine Lagarde, mais aussi au domicile et au bureau de l’ancien secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, de l’homme d’affaires Bernard Tapie et de Stéphane Richard, qui était directeur de cabinet de Christine Lagarde au moment de l’arbitrage.
A la fin janvier, les policiers s'étaient déjà rendus aux cabinets de l'avocat de Bernard Tapie, Me Maurice Lantourne, et d'un des avocats du CDR, Me Gilles August. Ils ont également perquisitionné les domiciles des trois juges arbitraux ayant soldé le contentieux, en l'occurrence l'avocat Jean-Denis Bredin, le magistrat à la retraite Pierre Estoup et l'ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud.
A suivre.
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Le racket général sur les comptes bancaires à Chypre crée un précédent qui pourra servir dans d'autres pays de l'Eurozone
Sur le site UPR de François Asselineau
Le 17 mars 2013
Le racket général sur les comptes bancaires à Chypre crée un précédent qui pourra servir dans d’autres pays de l’Eurozone
Voici 4 mois, le 15 novembre 2012, j’avais alerté mes lecteurs sur l’inquiétante situation financière de Chypre. Je l’avais même qualifiée de « nouveau cadavre dans le placard » et j’avais souligné qu’elle constituait « une redoutable quadrature du cercle pour les dirigeants de l’UE ».
Eh bien l’on vient d’apprendre, le 16 mars 2013 au matin, que les dirigeants de l’Union européenne, en concertation avec les dirigeants chypriotes et le FMI, ont fini par trouver une solution. Et quelle solution !
En fait d’aide, les bailleurs de fonds (Union européenne, Banque centrale européenne et FMI) sont en réalité convenus d’un plan de secours de 10 milliards d’euros dont le volet essentiel consiste en un véritable racket sur les comptes bancaires détenus par des particuliers à Chypre.
UN RACKET SANS PRÉCÉDENT SUR LES COMPTES BANCAIRES DES PARTICULIERS
Le racket, qualifié de « prélèvement » ou de « taxe exceptionnelle » dans la langue de bois des dictateurs qui ont mis la main sur le continent européen, va être opéré directement par les banques chypriotes sur chaque compte bancaire de particulier. C’est-à-dire sur à peu près chaque Chypriote adulte et chaque étranger disposant d’un compte bancaire dans l’île.
Source :
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Et ce n'est pas fini...
Chypre et le moment russe
Jacques Sapir
23/03/13
La crise chypriote est en train de tourner au psychodrame tant pour la zone Euro que pour la Russie et ses relations avec cette zone Euro. On peut se demander comment on en est arrivé là, et comment un pays, dont le PIB ne représente que 0,3% du PIB de la zone Euro, a-t-il pu provoquer une telle émotion.
En fait, cette dernière est largement le produit de l’action de l’Eurogroupe, l’instance intergouvernementale des 17 pays de la zone Euro, dont les décisions inadaptées ont transformé ce qui n’était qu’un simple problème de recapitalisation bancaire en une crise d’une particulière gravité.
Source .
http://www.toutsaufsarkozy.com/
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Mis en ligne par Catherine, le 24 mars 2013
20:15 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Musique, Web | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
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