25/12/2012

Depuis le palais Livadia...

1. Ivan Constantinovich Aivazovsky - View of Yalta (detail).jpg

Depuis le palais Livadia...

 

Quand nous avons quitté Israël Shamir, en octobre dernier, il se préparait à laisser le Vietnam et le Cambodge. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous tous les ponts du monde, et M. Shamir a poursuivi sa tournée des grands ducs. Le voici présentement en Crimée, après un détour par le Bosphore dont nous vous dirons quelques mots plus loin.

En Crimée : plus précisément au palais Livadia, ex-résidence estivale des tsars.

 

2. LIVADIA - 602827_NTR728UDJ75ZCU8WFIX5VS4P11NKCR_p1050524_H115501_L.jpg


Ce que les moins de 40 ans ne savent sans doute pas et que les plus de 40 ans ont probablement oublié, c'est que le palais Livadia est un des plus célèbres du monde, car c'est là qu'en 1945 l'Europe a été partagée en deux « blocs », après moultes discussions et marchandages entre Franklin Delano Roosevelt et Winston Churchill d'une part, représentant le bloc anglo-saxon, et Joseph Staline d'autre part, représentant les vainqueurs d'Hitler et « alliés » de principe, qu'il avait importé si fort d'empêcher d'atteindre l'Atlantique.

 

4. usa_churchill_roosevelt_stalin_yalta_fev_1945.jpg


Bref, le palais Livadia se trouve à Yalta, les pieds dans la Mer Noire, et c'est la raison pour laquelle notre bateau d'aujourd'hui, est un détail du tableau monumental Vue de Yalta, d'Ivan Constantinovitch Aivazovsky.

Ce voyage était l'occasion, pour Israël Shamir et pour le professeur A.D. Hemming, de l'Université de Canterbury (Nouvelle Zélande), de revenir sur cette époque et de nous livrer un portrait revisité de Winston Churchill. Si vous avez été surpris par Pol Pot, vous le serez peut-être davantage encore par l'homme à l'éternel cigare, quoique pas nécessairement dans le même sens.

L'idée de se repencher sur ce moment de l'histoire, après la mise dans le domaine public (enfin ! enfin ! enfin!) des archives britanniques, vient du Pr. Hemming, qui est un passionné de ces choses. Les deux hommes se sont rendus ensemble in situ et ont signé ensemble, dans les colonnes de Counterpunch, le texte qui suit.

Une perspective depuis le palais Livadia

Israel Shamir et A.D. Hemming

J'avais eu du mal à conduire jusqu'au somptueux palais Livadia à la blancheur éclatante. Jadis résidence royale d'été édifiée par le dernier tsar de Russie, qui s'y rendait souvent, il se dresse en haut d'une pente assez raide, au milieu d'un parc spacieux qui descend jusqu'à la Mer Noire, au loin, et la route n'est pas rassurante du tout. Mais le détour en vaut la peine, car la vue est superbe, on embrasse toute la baie de Yalta, les quelques bateaux au port, et la mer reflétant les montagnes revêtues de pourpre automnale. J'avais donc tout le palais pour moi, lorsque je répondis à un appel depuis Washington, reçu en fait grâce au téléphone portable dans la chambre tapissée de chêne qui avait jadis été assignée à Roosevelt.

C'est dans ce palais que s'était tenue la conférence historique de Yalta en février 1945; la table circulaire autour de laquelle avaient pris place Franklin D. Roosevelt, Winston Churchill et Joseph Staline est toujours là; il s'y partagèrent le butin de la guerre et fixèrent l'ordre résultant de la Deuxième Guerre mondiale qui a tenu près d'un demi siècle. Mon guide «Lonely Planet» mentionne Livadia come le lieu où Staline a «fait reculer Churchill». Mais que s'était-il vraiment passé entre Staline et Churchill ? Nous savons que tout de suite après la guerre, dans son discours de Fulton, Churchill mit en route la Guerre froide, mais tout le monde ne sait pas que c'était là son second choix, car son premier choix avait été une guerre bien réelle contre la Russie soviétique, afin «d'imposer à la Russie la volonté des USA et de l'empire britannique» projet explicite.

Il y a des découvertes historiques qu'il faut rappeler constamment, parce quelles n'ont pas encore pénétré notre perception commune du monde. L'une des révélations de ce genre qui ne doit jamais être oubliée est l'histoire bien cachée de l'ultime tricherie prévue en 1945 : après quatre ans d'une guerre terrifiante, alors que les alliés venaient juste de battre Hitler, le premier ministre britannique Winston Churchill préparait une attaque surprise contre l'un d'eux, la Russie, en coalition avec les troupes nazies de la Wehrmacht allemande. L'assaut surprise contre les Russes aurait dû commencer tout près de Dresde le 1er juillet 1945.

Churchill essaya d'utiliser, outre 47 divisions britanniques et américaines, dix divisions allemandes de choc qu'il n'avait pas désarmées afin de pouvoir les renvoyer sur le front est pour attaquer les Russkoff. Churchill avait hâte de déclencher cet assaut sur l'armée de Moscou, sans déclaration de guerre, exactement comme l'avait fait, en toute perfidie, Hitler, en 1941. Sir Alan Brooke, officier à la tête de l'armée britannique dit de Churchill qu'il était «impatient de se jeter dans une nouvelle guerre».

Staline eut connaissance du plan, et cela confirma ses pires craintes quant aux intentions britanniques; cela lui fit renforcer sa main mise sur l'Europe orientale et contribua à le rendre encore plus implacable. Après mûre réflexion, le président Truman refusa de donner à Churchill son soutien : la guerre contre le Japon était loin d'être finie, la bombe atomique n'était pas encore opérationnelle, et il avait besoin de l'aide soviétique. (Peut-être Roosevelt aurait-il refusé plus rapidement, mais il était mort très peu de temps après Yalta). «L'opération impensable» avorta, fut archivée et dormit sur une étagère durant de longues années, jusqu'au jour où elle fut livrée au public en 1998. 

En mai 1945, les Britanniques se gardèrent donc de désactiver quelque 700.000 soldats allemands et officiers. Les Allemands rendirent leurs armes, mais celles-ci furent stockées, et non détruites, sur ordre explicite de Churchill, qui essaya de réarmer les Allemands et de les lâcher sur les Russes. Le gouverneur militaire britannique, Montgomery, tenta d'expliquer, dans ses Notes sur l'occupation de l'Allemagne, que les unités allemandes n'étaient pas dispersées parce que «ne nous ne savions pas où les mettre si on les relâchait dans la nature, et nous ne pouvions pas les surveiller s'ils se dispersaient». Pire encore : les Anglais n'auraient pas pu s'en servir comme de travailleurs esclaves et les affamer, s'ils étaient considérés prisonniers de guerre («ll aurait fallu les nourrir, ce qui voulait dire leur fournir des rations à grande échelle». ) Cette explication ne tient guère, mais dans une note manuscrite qu'il a laissée derrière lui, il donnait la vraie raison, qui était la pire de toutes : Churchill «m'a ordonné de ne pas détruire les armes des deux millions d'Allemands qui s'étaient rendus à Lunebourg Heath le 4 mai. Il faut tout garder, nous pourrions avoir à combattre les Russes avec une assistance allemande». 

L'histoire complète a été publiée par David Reynolds dans son étude sur la Seconde guerre mondiale (il avait remarqué que Churchill omettait ce chapitre dans ses Mémoires). Les documents originaux ont été publiés par les archives nationales britanniques et ont été plus ou moins repris sur le web, et transcrits sur l'excellent blog How it really was.

Mais l'histoire n'a pas encore atteint la conscience collective au même niveau que les accusations contre les Soviétiques, qui constituent une bonne part du décor de notre vision historique. Nous savons tous que Staline avait passé un accord avec Hitler avant la guerre, et qu'il a gardé l'Europe de l'Est sous contrôle après la guerre. Mais on ne nous donne pas le récit des circonstances de la chose. Même ceux qui ont entendu parler de «l'Opération Impensable» s'imaginent en général que c'est là juste un exemple de propagande staliniste.

C'est pourtant ce qui explique pourquoi Staline considérait Churchill, dans les années 1930, comme un ennemi encore plus implacable des Soviétiques que Hitler, et pourquoi il était prêt pour le pacte Molotov-Ribbentrop. Il comprenait Churchill mieux que beaucoup de ses contemporains, et il connaissait sa haine pathologique du communisme.

Déjà lorsqu'avait pris fin la Première Guerre mondiale, en novembre 1918, Churchill avait proposé une nouvelle politique : «Liquider les bolchos et caresser les Huns dans le sens du poil» (ces remarques sont citées par son hagiographe sir Martin Gilbert). En avril 1919, Churchill faisait allusion aux «objectifs infra-humains» des communistes de Moscou, et particulièrement aux «millions d'Asiatiques» de Trotski. La montée du fascisme ne changea rien à sa façon de penser. En 1937, alors que les lois de Nuremberg étaient déjà en place, il proclama à la Chambre des Communes: «je ne prétendrai pas que, si je devais choisir entre communisme et nazisme, je choisirais le communisme». Les communistes étaient des «babouins», mais Adolf Hitler en revanche «s'inscrirait dans l'histoire comme celui qui avait restauré l'honneur et la paix de l'esprit dans la grande nation germanique». En 1943, il suppliait Benito Mussolini d'arracher l'Italie aux communistes, et il a dit que «les grandes routes de Mussolini resteront comme un monument à la gloire de son pouvoir personnel et de son long règne». Cette remarque, il l'a gravée pour l'éternité en la casant dans le cinquième volume intitulé «L'anneau se referme» de son histoire en plusieurs tomes de la Seconde Guerre mondiale.

Churchill considérait le communisme comme un «complot juif», et son amour pour le sionisme était en partie fondé sur sa croyance que les sionistes sauraient extirper les idées communistes de la mentalité juive. En 1920, bien avant Henry Ford, il parlait du juif international : «cet élan parmi les juifs n'est pas nouveau. Depuis l'époque de Spartacus Weishaupt (1798) jusqu'à l'époque de Karl Marx, puis sa descendance chez Trotski (en Russie), Bela Kun (en Hongrie), Rosa Luxembourg (en Allemagne) et Emma Goldman (aux USA), cette conspiration mondiale pour en finir avec la civilisation et reconstruire la société sur la base d'un développement bloqué, qui a sa source dans une malignité envieuse, et un rêve impossible d'égalité, n'a pas cessé de croître. Ils sont devenus pratiquement les maîtres indisputés de cet énorme empire (la Russie)». Hitler ne faisait en somme que plagier Churchill…

Si Churchill avait pu suivre son idée, qui sait comment cela aurait fini, et combien d'autres personnes auraient été tuées ? L'Armée Rouge avait quatre fois plus de soldats et deux fois plus de tanks que les Anglais et les Américains réunis. Une armée entraînée sur les champs de bataille, bien équipée, et qui venait de prendre deux mois de repos. Il est probable que les Russes auraient été capables de refaire la geste de 1815 et de libérer la France, avec le soutien de son mouvement communiste puissant. Ou alors les Soviétiques auraient été repoussés jusque dans leurs frontières, et la Pologne aurait rejoint l'Otan en 1945 au lieu d'attendre 1995. Le président US fit échouer le plan de Churchill; Truman était bien l'assassin de masse d'Hiroshima, mais il n'était pas d'humeur suicidaire.

En 1945, Churchill redoutait que les Russes continuent leur marche vers l'ouest jusqu'en France et jusqu'à la Manche. Voilà l'explication du son «Opération Impensable». Pourtant, Joseph Staline était scrupuleusement droit, dans ses négociations avec l'Occident : non seulement il n'envoya pas ses tanks vers l'Ouest, mais il ne franchit jamais les lignes établies dans le palais Livadia par la conférence de Yalta en février 1945.

Il n'offrit pas de soutien aux communistes grecs qui étaient tout près de la victoire et qui auraient gagné, si les Britanniques n'étaient pas intervenus. Les Grecs supplièrent Staline de leur envoyer de l'aide, mais il leur répondit qu'il avait donné sa parole à Churchill : «les Russes auront 90% de pouvoir en Roumanie, les Britanniques 90% en Grèce, et ce sera 50/50 en Yougoslavie». Il n'aida pas non plus les communistes français, ni les italiens, et retira ses troupes d'Iran. Il était un allié de toute confiance, même avec des gens qui n'étaient absolument pas fiables. Ce n'était pas un adepte de la démocratie parlementaire, mais ses partenaires, les dirigeants anglo-américains, ne l'étaient pas non plus; ils acceptaient la démocratie seulement quand les résultats électoraux leur convenaient; ils empêchaient la victoire électorale des communistes par les armes, ils imposaient la victoire anti-communiste par les mêmes moyens.  

Ainsi donc la félonie de Churchill ne lui fut pas indispensable pour atteindre ses objectifs initiaux. Il est probable que les soldats anglais et américains n'auraient pas compris l'idée de combattre les Russes, pour la victoire desquels ils avaient prié à peine quelques semaines plus tôt, ces mêmes Russes qui les avaient sauvés alors que la contre-offensive allemande, dans les Ardennes, était sur le point de refouler leurs armées jusqu'à Dunkerque. Heureusement, cela ne déboucha pas sur un procès : le peuple anglais vota contre le vieux fauteur de guerres.

L'idée d'utiliser le potentiel militaire allemand et nazi contre les rouges ne disparut pas, cependant. Dans un morceau de bravoure au titre provocant, Comment les nazis ont gagné la guerre, Noam Chomsky a pu écrire ; «...le Département d'Etat et le renseignement britannique (...) prirent avec eux certains parmi les pires criminels nazis et les utilisèrent, tout d'abord en Europe. C'est ainsi que Klaus Barbie, le boucher de Lyon, fut récupéré par le renseignement US et remis au travail».

« Le général Reinhard Gehlen était le chef du renseignement militaire allemand sur le front de l'est. C'est là où se passaient les véritables crimes de guerre. Maintenant nous parlons d'Auschwitz et d'autres camps de la mort. Gehlen et son réseau d'espions et de terroristes furent rapidement récupérés par les services américains, et reprirent les mêmes rôles pour l'essentiel ».

C'était un coup de canif dans les accords de Yalta, parmi bien d'autres qu'allait commettre l'Occident.

« Recruter des criminels de guerre nazis et les sauver était très mal, mais imiter leurs activités était pire». « L'objectif des USA et de l'Angleterre », écrit encore Chomsky, « était de détruire la résistance anti-fasciste et de restaurer l'ordre traditionnel, essentiellement fasciste, celui du pouvoir ».

« En Corée, restaurer l'ordre traditionnel signifia faire périr environ 100.000 personnes à la fin des années 1940, avant que la guerre de Corée pût commencer. En Grèce, cela signifia briser la résistance antinazie et restaurer le pouvoir des collaborateurs du nazisme. Lorsque les troupes anglaises et américaines arrivèrent en Italie du sud, elles réinstallèrent tout bonnement l'ordre fasciste : celui des industriels. Mais le gros problème survint lorsqu'elles atteignirent le nord du pays, que la résistance italienne avait déjà libéré. La vie avait repris, l'industrie s'était remise à tourner. Nous avons dû démanteler tout cela et restaurer l'ancien pouvoir.»

« Ensuite nous (les Américains) avons travaillé à détruire le processus démocratique. La gauche allait visiblement gagner les élections : la résistance lui avait apporté beaucoup de prestige et l'ordre traditionnel conservateur était discrédité. Il n'était pas question que les USA tolèrent cela. Dès sa toute première réunion, en 1947, le National Security Council décida de suspendre toute aide alimentaire à l'Italie et d'utiliser tous les autres moyens de pression possibles pour saboter ces élections ».

« Mais que se serait-il passé si les communistes avaient gagné quand même ? Dans son premier rapport – NSC 1 -, le Conseil dressa ses plans pour y faire face : les USA déclareraient l'état d'urgence dans tout le pays, mettraient la Sixième Flotte en alerte dans la Méditerranée, et soutiendraient des activités paramilitaires chargées de renverser le gouvernement italien. C'est un patron qui a été réactivé dans beaucoup d'autres cas. Si vous observez bien la France, l'Allemagne, le Japon, pour ne citer qu'eux, vous verrez que l'histoire s'y est répétée à peu près de la même façon. »

Selon Chomsky, les USA et la Grande Bretagne ont toujours été en priorité hostiles au communisme. Les nazis ne venaient pour eux qu'au second rang des régimes détestés. Bien que le racisme soit aujourd'hui officiellement tabou, il n'y a aucune raison de penser que l'Allemagne nazie ait été beaucoup plus raciste que l'Angleterre ou les USA. Aux USA, le mariage entre noirs et blancs a été considéré comme illégal ou criminel jusqu'à une date très récente; le lynchage des noirs y était chose courante. Les Britanniques ont pratiqué le nettoyage ethnique dans le monde entier, de l'Irlande à l'Inde. L'URSS était le seul grand État non raciste, gouverné par (outre des Russes) des Géorgiens, des Juifs, des Arméniens et des Polonais. Les mariages mixtes y étaient encouragés, et une sorte de multiculturalisme était la doctrine opérationnelle. Mais ce qui était impardonnable, inadmissible, c'était son communisme. 

Même si Churchill n'a pas envoyé la Wehrmacht attaquer les Russes en 1945, le virage vers la Guerre froide a été loin de se faire sans effusion de sang. En Ukraine, les USA ont soutenu et armé les nationalistes pro-nazis pendant de nombreuses années. Et le bombardement d'Hiroshima au nucléaire peut lui-même être considéré, selon le New Scientist, comme le premier acte de la Guerre froide :

« La décision US de lâcher des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en 1945 fut conçue comme le coup d'envoi de la Guerre froide plutôt que comme le point d'orgue de la Seconde Guerre mondiale. C'est ce que disent deux historiens spécialistes du nucléaire, qui affirment détenir de nouvelles preuves pour étayer leur théorie. Selon eux, la décision de tuer plus de 200.000 personnes fut prise, il y a 60 ans, pour intimider l'Union soviétique, bien plus que pour venir à bout du Japon. Et le président US qui prit la décision, Harry Truman, fut sans conteste le coupable», ajoutent-ils. (Pour davantage de preuves qu'Hiroshima fut bombardée au nucléaire pour impressionner les Russes, voir ici.) 

Si c'est le cas, la guerre de l'OTAN de 1999 contre la Yougoslavie était l'une des dernières guerres contre ce qui restait du communisme; et ce que nous observons en ce moment en Syrie peut être vu comme un ultime coup de torchon, dans la mesure où le régime syrien est plus ou moins socialiste.

Cependant, je me dois de vous dire que, parmi les historiens russes modernes, cette théorie - selon laquelle les politiques occidentales sont totalement motivées par un violent anti-communisme idéologique - a été mise en doute et même niée, pour les excellentes raisons qu'à 60 miles de Livadia se trouve la forteresse de Sébastopol, où les forces unies britanniques et françaises ont tenté, dans les années 1850, de soumettre les Russes tsaristes, non communistes, et qu'en 2008, la baie de Yalta a reçu la visite de navires de guerre US, durant la confrontation entre la Géorgie pro-occidentale et la fort peu communiste Russie de Poutine.

Devrait-on expliquer cela par la lutte géopolitique pour occuper le centre (Heartland), comme le fait Mackinder, ou par le raisonnement théologique selon lequel la chrétienté orthodoxe est confrontée à une offensive des hérétiques ? ou encore par le concept chomskien du noyau contre la périphérie ? La réponse dépasse l'horizon de cet article.

Les Russes restent les Russes, qu'ils soient communistes, orthodoxes chrétiens ou un simple Etat de la périphérie qui ne se soumet pas au centre. Joseph Staline est l'homme qui en a eu, à une certaine époque, la charge : un homme dur, mais qui avait une dure tâche à accomplir, face à des gens durs. Le blanc palais de Livadia est particulièrement indiqué pour méditer sur ces événements historiques si lourds de conséquences. 

[Documentation et idée du professeur Hemming] Israël Shamir est actuellement en Crimée. On peut le joindre à l'adresse  adam@israelshamiur.net .

Traduction: Maria Poumier

Sources :

http://www.counterpunch.org/2012/11/30/a-view-from-livadi...

http://www.israelshamir.net/French/Livadia.htm



[ Le Pr. A.D. Hemming a commencé sa carrière de militant des causes progressistes au début des années 1960. C'est un chercheur, un poète, un journaliste, un historien, et il a commencé à user ses chaussures dans les manifestations pour les Droits civiques dans le sud des Etats-Unis, lorsqu'il était adolescent. - N.d.LGO]


*

Rien de tout ceci ne devrait nous surprendre, depuis les décennies que l'irremplaçable William Blum s'échine à nous le démontrer. C'est d'ailleurs sur son site Third World Traveler, qu'a paru le texte de Chomsky How the nazis won the war.

D'aucuns continuent à trouver que le socialisme dans un seul pays, défendu par Staline,  n'était pas vraiment une bonne idée, même en préférant l'efficacité aux principes, et à penser qu'il a joué, à Yalta et ensuite, le rôle d'un parfait jobard. Mais avait-il le choix, avec pas loin de trente millions de morts et un pays dévasté sur les bras ?

«Comprendre et ne pas juger» dit le camarade Simenon. C'est «comprendre» qui est diablement difficile.

Quant à Winston Churchill, qu'est-ce, en fait, une fois évacuées les propagandes de guerre ? Un aristocrate. Un aristocrate au sens – ô combien péjoratif – où l'entendaient les jacobins de la Première République : un représentant extrême de l'irréductible lutte des classes. Du genre à revenir de Coblence pour incendier les moissons.

De ses débuts à sa mort, le légendaire Sir Winston n'a jamais été rien d'autre et n'a jamais défendu d'autres intérêts que ceux de sa classe, c'est-à-dire de l'empire (bien plus que la reine elle-même et tous les Hanovre mis ensemble).

Que ce soit comme militaire – en Inde, au Soudan, en Afrique du Sud (2e guerre des Boers) – comme ministre du commerce, comme secrétaire du Home Office, autrement dit ministre de l'Intérieur ou comme chef à vie du Parti Conservateur, Churchill n'a jamais fait la guerre qu'aux pauvres. Aux «infra-humains», comme il l'a dit, aux sous-hommes.

Un épisode encore mal connu parce que mal étudié et surtout occulté de la lutte des classes à l'échelle européenne, prouve qu'en projetant d'attaquer son allié, Sir Winston était tout simplement fidèle à lui-même.

L'affaire de Sidney Street


Pour comprendre cet épisode de l'histoire d'Angleterre, il faut remonter jusqu'à la révolution balte de 1905.

Qui étaient les révolutionnaires ? Des juifs lettons. Pour la plupart anarchistes, même si quelques-uns appartenaient au Parti Démocratique Letton, à tendance marxisante. Ils avaient été victimes de pogroms, s'étaient organisés, puis soulevés. La police tzariste les avait réprimés avec une férocité rare même pour elle : ceux qui n'avaient pas été exécutés avaient eu à subir de si terribles bastonnades, que les rescapés s' étaient juré de ne pas retomber vivants – jamais ! - aux mains du pouvoir quel qu'il fût. Ceci est important pour comprendre ce qui allait se passer en Angleterre.

En 1910, il y avait dans ce pays et principalement dans l'East End de Londres, un certain nombre de ces vaincus en exil. Tous nommément connus des services secrets et répertoriés « anarchistes ».

De ces désespérés qui n'avaient littéralement plus rien à perdre, quelques-uns se mirent à pratiquer le cambriolage à main armée, tant pour subvenir à leurs besoins immédiats que pour aider les activités révolutionnaires de ceux restés au pays.

Le 16 décembre 1910, deux de ces hommes tentèrent de braquer une bijouterie, sise au 119 Houndsditch, dans la City. Mais quelqu'un les entendit, donna l'alerte et neuf policiers se pointèrent. A cette époque, les bobbies n'étaient pas armés, détail qu'ignoraient les Lettons. Aux premières sommations, ils tirèrent, abattant cinq policiers : trois morts et deux blessés. Un des Lettons aussi était mort, victime d'une erreur de tir d'un de ses camarades. Il s'appelait George Gardstein.

Le choc, dans la population, fut énorme, compte même non tenu de l'influence des journaux et autres moyens de semer la panique.

C'est là qu'intervient probablement Winston Churchill, car une décision dut bien être prise quelque part : Une chasse à l'anarchiste fut décrétée, préfigurant toutes les chasses aux « terroristes » d'aujourd'hui. Plus de 700 hommes, armés cette fois jusqu'aux dents (200 policiers et 500 militaires, principalement des Scotch Guards) furent déployés pour traquer deux hommes, réfugiés dans une maison de Sidney Street (n°100). Aucun des deux n'avait rien à voir avec le cambriolage qui avait mal tourné à Houndsditch, mais qu'importe, c'étaient des anarchistes. Ils s'appelaient Fritz Svaars et William Sokoloff.

Le siège de Sidney Street (dit aussi bataille de Stepney) se déroula le 3 janvier 1911, sous les yeux d'une foule considérable, de nombreux journalistes, reporters, caméramen des actualités cinématographiques et... de Winston Churchill. Il ne fut jamais question d'inviter les deux hommes à se rendre. Faute d'arriver à les déloger, même en leur tirant dessus des toits et de tous les bâtiments environnants, les assiégeants finirent par mettre le feu à l'immeuble où ils se trouvaient. Les deux assiégés retournèrent les tirs jusqu'à la dernière minute, de l'intérieur même du brasier. On retrouva leurs corps carbonisés.

Force était restée à l'empire, sinon à la loi, et on ne devait plus entendre parler de lutte des classes à Londres jusqu'en 1912, où eut lieu, dans ce même East End, la grande grève des tailleurs, qui fut le chant du cygne de l'anarchie londonienne d'origine balte.

Qu'était-il arrivé aux autres révolutionnaires en exil ? Avons-nous dit que les services secrets britanniques n'ignoraient rien de leurs identités et de leur localisation ? Mais alors, à quoi avait bien pu rimer le sanglant épisode du massacre à grand spectacle de deux hommes ? On sait que Winston Churchill a été présent sur les lieux presque du début à la fin. Des questions ont été posées, y compris par Lord Balfour, dont aucune n'a jamais reçu de réponse.

5. Churchill at Sydney Street siege -templa1.jpg
Siège de Sidney Street.

Winston Churchill est le premier des deux hommes en chapeau haut de forme.

 

De l'Inde à la Guerre Froide, en passant par le Soudan, le Transvaal, l'Irlande, Sidney Street, la Palestine, et aujourd'hui l'Afghanistan, l'Irak, la Libye, la Syrie et l'Afrique pas encore sous la protection de la Chine, l'empire britannique et ses représentants de pointe, qu'ils s'appellent Churchill, Blair ou Cameron, n'ont jamais fait la guerre, répétons-le, qu'aux pauvres et à ceux qui, comme la Russie, même tzariste, ne se soumettent pas à leurs insatiables appétits.

Et Hitler ? Oh, Hitler, il n'avait qu'à ne pas se faire battre par Staline, tant pis pour lui !

 

 

*

 

Vers un rapprochement de la Grèce et de la Turquie ? Il serait temps !

 

Nous avons parlé du Bosphore et du détour qu'y a fait, apparemment à loisir, M. Shamir, en route pour la Crimée.

Il serait dommage de se priver des réflexions qu'il a tirées de cette visite. Laquelle avait été précédée d'une exhortation aux Turcs en général et à M. Erdogan en particulier : Cessez le feu ! Ne faites pas la guerre à la Syrie ! Rapprochez-vous plutôt des Grecs ! Et autres conseils de bon sens, que les Turcs ne demandent qu'à suivre mais que M. Erdogan n'écoutera pas, parce que celui que Zeus veut perdre...

Quoi qu'il en soit, voici ces deux textes passionnants qui traitent à la fois de l'actualité et de la Turquie :

 

The-Bosphorus.jpg

Cessez le feu les Turcs !

par Israël Adam Shamir

Dans la corrida qui se déroule au Moyen Orient, le moment de vérité se rapproche à grands pas. La Syrie d'Assad est le taureau blessé qui fonce lourdement dans l'arène, fatigué par une longue année de harcèlement. Les banderilles des moudjahidines sont fichées dans son échine déchirée. Le public, Européens, Américains, dirigeants du Golfe, s'égosillent : à mort, à mort, Assad ! Et le matador turc de faire un pas en avant, et de tirer son épée. Ses canons envoient des rafales mortelles sur les pentes syriennes, une tempête de feu et de plomb s'abat sur les collines. Erdogan se prépare à donner le coup de grâce à son voisin harassé.

 « Arrête, Erdogan, ne fais pas ça, laisse tomber ! » lui crient des milliers de Turcs qui manifestent contre cette guerre sanglante. La Syrie a été un bon voisin pour la Turquie: Assad n'a pas permis aux séparatistes kurdes d'ouvrir leur second front contre les Turcs, il leur a remis Ocalan, il n'a pas fait de la perte d'Antioche une cause nationale, il a maintenu l'armée israélienne au large, il a encaissé le choc de la guerre au Liban en soutenant les vaillants guerriers du Hezbollah. La Syrie, après Assad, sera bien pire pour la Turquie.

Si les janissaires d'Erdogan organisent une attaque par traîtrise contre la Syrie, et provoquent son effondrement, il s'ensuivra une tornade terrifiante qui s'abattra sur la Turquie aussi. L'inévitable massacre de Syriens chrétiens par les moudjahidines, avec le soutien de la Turquie, rappellera au monde les nombreux villages et bourgs chrétiens que les Turcs victorieux ont jadis écrasés et dépeuplés, et qui sont maintenant bien oubliés. Les fantômes des Arméniens et des Grecs massacrés se dresseront au dessus des ruelles de Smyrne et des rives de Van. Depuis la Syrie brisée, un Kurdistan définitif verra le jour, qui réduira la Turquie aux proportions que lui avait dévolues le Traité de Versailles.

Ce sont les Saoudiens qui seront les grands gagnants de la guerre, et non pas les Turcs. Le rêve du califat aura pour centre le Golfe, et non pas le Bosphore. De leurs propres mains, les Turcs sont en train de creuser leur défaite.

Les bonnes relations avec la Russie en souffriront gravement. La Russie a invité la Turquie à restreindre ses actions, et lui a rappelé la terrible responsabilité que doit endosser l'agresseur. La Russie veut que la Syrie trouve sa propre issue à la crise. La Russie est le plus grand partenaire commercial de la Turquie; des milliers d'ingénieurs turcs et de techniciens travaillent en Russie, des milliers de Russes passent leurs vacances en Turquie.

Et surtout, les relations entre la Russie et la Turquie sont importantes au-delà des considérations mercantiles. Ce sont deux grands pays, les deux héritiers de l'empire romain d'Orient, ou empire byzantin. Les Ottomans en ont hérité l'essentiel de leur territoire, plus tard morcelé en 1918; la Russie pour sa part héritait de son esprit et de sa foi, ses ramifications les plus importantes. Si l'on cherche à établir des symétries, il faut regarder du côté de l'empire romain d'Occident: son corps central, l'Europe de l'Ouest, a été fragmenté et se trouve en processus de réunification, et sa ramification la plus importante, ce sont les USA qui  ont hérité de son esprit impérial.

Les Russes et les Turcs sont très semblables; les Turcs sont « des Russes en shalvars », comme ils disent. Les deux nations ont traversé la modernisation et l'occidentalisation sans perdre leur identité propre. Les deux nations sont passées par un violent déni de leur foi entre les années 1920 et 1990, et ont redécouvert leurs pentes religieuses naturelles ensuite.

Les Russes voient les Turcs comme des humains égaux, et ils  sont en empathie avec eux. Le brillant historien russe Lev Goumilev a exalté la camaraderie des frères d'armes russes et turcs qui avaient su briser la vague des croisades occidentales des XIII° et XIV° siècles. A l'époque moderne, Lénine a donné un coup de main à Mustapha Kemal et  a renoncé à toutes les prétentions russes sur la Turquie vaincue, parce qu'il espérait que la Turquie reprendrait son rôle historique de protecteur de l'Orient. Les Russes et les Turcs doivent rester amis. Si les Russes disent à Erdogan « n'y va pas », il devrait  les écouter. Seulement c'est lui qui a abattu leur avion.

Les Russes ne sont pas obsédés par Bachar al-Assad, et il n'est pas non plus leur meilleur ami. Il est arrivé au pouvoir en 2000, mais sa première visite à Moscou n'a pas eu lieu avant 2005, car il frayait jusque là avec Paris et Londres. Le commerce de la Russie avec la Syrie n'est pas énorme, d'ailleurs. Le premier ministre israélien Netanyahu a promis au président Poutine de protéger les intérêts russes en Syrie  si les rebelles gagnent. Les Russes ne sont pas égoïstes; ils insistent sur une transformation pacifique, selon la volonté des Syriens, et s'opposent au viol de la Syrie qu'envisagent les Saoudiens et l'Occident.

Les relations de la Turquie avec l'Iran vont en souffrir. Pour l'Iran, la Syrie est un partenaire important, une fenêtre sur la Méditerranée. La victoire des forces pro-américaines en Syrie refermera cette fenêtre. Les Iraniens en voudront terriblement à la Turquie, ce n'est pas une bonne idée de saccager ces relations.

Le peuple turc ne veut pas de la guerre contre la Syrie; les généraux turcs eux-mêmes ne sont pas chauds pour qu'on lâche la meute. Seuls les pro-Otan occidentalisés, à l'intérieur de la classe dirigeante turque, veulent renverser le gouvernement légitime de Damas. Il y a d'autres Turcs qui se souviennent que la soumission envers les Occidentaux  n'a  jamais été le bon choix  pour la Turquie, ni pour la Russie.

Je comprends pourquoi les dirigeants turcs ont décidé de soutenir les rebelles il y a un an : ils se sont laissé égarer par la ritournelle commune du Golfe et de l'Ouest,  selon laquelle le gouvernement syrien allait s'effondrer très vite, et ils voulaient se retrouver du côté des gagnants. Mais après la bruyante campagne médiatique, la réalité s'est imposée, et elle a démenti les prophéties : malgré les milliards de dollars dépensés par le Qatar, les Saoudiens et les Occidentaux, malgré les tas d'armes amenés par la frontière turque, le régime d'Assad est resté solide, et jouit encore du soutien populaire.

C'est le moment de se ressaisir. Dans tous les jeux, il arrive un moment où il faut revoir ses positions, quand le joueur décide ne pas mettre sur la table sa bonne monnaie après avoir déjà perdu la mauvaise. Et le repositionnement a commencé, avec le mouvement des Turcs qui demandent des comptes, le bilan des pertes, que l'on arrête de soutenir les rebelles et qu'on essaye de restaurer la normalité avec un excellent mot d'ordre: «pas d'embrouilles avec les voisins». Le  New York Times a déjà rapporté il y a quelques jours une flambée annonciatrice du virage à 180° dans l'état d'esprit des Turcs : les gens sont déçus, à cause du flot de réfugiés, de l'avalanche de moudjahidines syriens sans foi ni loi, de la pagaille et du regain de la résistance kurde.

Les Turcs sont réputés pour leurs pirouettes intrépides. En 1940, ils étaient aux côtés de l'Allemagne, parce qu'ils étaient sûrs de la victoire du Reich, mais en 1944, ils ont compris que l'URSS était en train de gagner, et ils ont viré de bord. C'est le moment d'en faire autant, de revenir à la neutralité stricte, de cesser de soutenir les rebelles et de refermer la frontière: voilà ce que le peuple a expliqué au reporter du New York Times.

Mais les gens qui ont planifié la débâcle syrienne de l'autre côté de la mer,ont tiré des conclusions opposées de ce changement d'état d'esprit : ils ont décidé d'accélérer leurs opérations et ont provoqué les échanges de tirs d'artillerie. Nous ne savons pas qui a armé les mortiers dans les villages à la frontière turque; si c'est l'armée syrienne dans le feu de la bataille, ou les rebelles pour déclencher la guerre. Le quotidien turc Yurt a fait savoir que les tirs venaient d'engins de l'OTAN récemment fournis aux rebelles par les Turcs : « le gouvernement d'Erdogan a fourni les mortiers aux groupes armés (de l'Armée syrienne 'libre') en Syrie, qui ont bombardé la ville d'Akcakale », titrait-il. Les munitions étaient, selon la même source, des munitions de l'Otan, des 120 AE HE-TNT.

Même le New York Times a admis qu'on ignore qui est responsable de l'atterrissage des mortiers en Turquie. La chaîne allemande ZDF a annoncé que les tirs de mortier venaient de territoires contrôlés par des combattants de l'Armée syrienne « libre ». Un clip vidéo dérobé ajoute qu'ils ont reconnu leur responsabilité pour l'attaque d'Akcakale et le meurtre de cinq citoyens turcs.

Mais il se peut que les tirs soient partis des troupes gouvernementales, lorsqu'ils ont tiré sur les rebelles, et que les villageois turcs en aient été les victimes innocentes. Dans la mesure où les Turcs permettent aux rebelles d'opérer librement sur leur territoire, c'est tout à fait possible.

Mais ce n'est pas une raison pour déclencher la guerre. Souvenons-nous, en 2010, lorsque les Israéliens ont abattu, comme d'authentiques mafieux, neuf volontaires turcs désarmés à bord du Mavi Marmara. C'était un assassinat brutal en plein jour, et tout à a été filmé, aucun doute ne subsiste. Erdogan avait menacé d'envoyer la marine turque sur les rivages palestiniens et de délivrer Gaza par la force. Mais est-ce qu'il l'a fait? Que nenni. Le voici maintenant qui fait le brave face à la Syrie épuisée et dévastée; mais pourquoi n'a-t-il donc pas eu le courage de s'en prendre à Israël, comme les Syriens l'ont fait ?

Et maintenant les Israéliens espèrent qu'Erdogan va aider les rebelles à détruire la Syrie; ils ont demandé aux Turcs de coordonner des actions conjointes avec eux. De sorte qu'au lieu de punir Israël, Erdogan est en train de combler les désirs des Israéliens.

Je me rappelle un certain mois de février couvert de neige, à Istanbul, en 2003, lorsque j'étais venu pour argumenter contre le passage de l'armée US pour aller dévaster l'Irak. Je leur disais : « le vieux projet sioniste tenace est en train de se réaliser. D'abord l'Irak doit être réduit en cendres. Ensuite ce sera l'Iran, l'Arabie saoudite, la Syrie, puis tout ce qui constituait jadis l'empire ottoman jusqu'à ce que tous, avec les voisins, du Pakistan jusqu'à l'Afrique, soient  devenus zone d'influence pour les intérêts spéciaux d'Israël, zone dont la police sera confiée aux Turcs ». 

Ce plan, le général Sharon l'avait ébauché bien des années auparavant, puis il avait été reformulé par les néo-conservateurs sionistes Richard Perle et Douglas Feith en 1996, et il est maintenant mis à jour par le clan de Wolfowitz, les gens qui continuent à faire la politique étrangère des USA. Si tout cela est parachevé ce sera avec la connivence de la Turquie, de son gouvernement soi-disant islamique.

J'en suis désolé pour vous, mes amis. Vous étiez les bergers du Moyen Orient, et maintenant vous êtes passés dans le camp des loups. Vous étiez des meneurs d'hommes, et vous voici devenus les larbins de vos maîtres. Vous étiez les protecteurs de l'islam, et vous êtes sur le point de permettre la profanation de la Mosquée d'Al-Aqsa.

Ce que j'annonçais alors est devenu vérité; rien de bon n'est sorti de la guerre d'Irak. Et maintenant, je peux le redire : rien de bon de sortira de la guerre de Syrie.

Les histoires de massacres multipliés bien souvent ne sont que des histoires. Wikileaks a publié un rapport de Stratfor qui disait: « la plupart des affirmations les plus sérieuses de l'opposition syrienne se sont avérées de grossières exagérations, ou simplement des mensonge ». Et ce qui se passe sur le terrain n'est certainement pas pire que tout ce qui a pu être fait aux Kurdes en Turquie. Et les Turcs n'ont probablement pas envie du tout d'une intervention dite humanitaire dans leur pays.

Mon conseil : n'essayez pas d'abattre la Syrie, retournez à votre politique de neutralité stricte, cessez le feu et le soutien logistique aux rebelles. Laissez les Syriens régler leurs problèmes entre eux, sans intervention étrangère.

Traduction: Maria Poumier


Source : http://www.israelshamir.net/French/TurkSyrFR.htm

 

 

*

 

Vue sur le Bosphore

par Israël Adam Shamir

 

Shamir au Bosphore.jpg

Les cargos lourds, les bateaux de croisière, les transports de voyageurs et les ferries débordants de touristes longent la tour Maiden qui surgit de la roche noire baignée d'eaux translucides; ils se fraient énergiquement un chemin entre les mosquées dressées comme des montagnes sur la terre ferme, pour s'engager dans le Bosphore, cet énorme fleuve creusé par Dieu entre la Méditerranée et la Mer Noire. La Ville par excellence, l'une des plus grandes capitales de l'humanité de tous les temps, chevauche l'Europe et l'Asie depuis l'époque de l'empereur romain Constantin, qui y établit sa nouvelle Rome. C'était la plus grande ville au monde il y a mille ans, et elle reste imposante. Quinze millions de personnes y vivent, vingt millions y passent tous les ans. Son envergure explique l'étrange vision de l'historien russe hérétique Anatoli Fomenko, qui assurait que Jérusalem, Rome, Babylone, Moscou et Londres ne sont que des répliques déplacées de cette cité, l'empire originel.

Et malgré ses dimensions et son histoire, la ville est alerte, vibrante à son rythme propre, paisible, voire faussement modeste. Elle ne se sent pas surpeuplée, en dehors des points névralgiques. Les rues sont propres, les espaces verts sont soignés, les vilains marchés aux puces qui étaient apparus il y a quelques années sont partis ailleurs, les vieux bâtiments ont été ravalés, les palaces croulants ont été restaurés à grands frais. Le Bosphore aussi a été nettoyé, et les égouts ne s'y jettent plus, pour la première fois dans l'histoire. Des rocades modernes encerclent le centre et traversent les banlieues, mais sans faire intrusion dans les enceintes historiques.

Ancien siège du Califat, et maintenant celui d'un gouvernement islamique, la ville a trouvé son équilibre, entre foi et modernité. Les collèges soufis sont pleins, et des érudits y débattent de théologie, se plaisant à comparer Thomas d'Aquin et Grégoire Palamas avec Ibn Arabi et Ibn Tufayl. Les appels harmonieux des muezzins à la prière ne dérangent pas les clients des cafés qui sirotent leurs verres. Les filles sont libres d'arborer voiles ou minijupes, et pratiquent effectivement les deux options.

Plus important, le gouvernement ne souscrit pas à l'économie de marché débridée et a su éviter les excès néo-libéraux de ses voisins. Il y a beaucoup de cafés qui sont propriété de la municipalité, en particulier dans les jardins, et les prix y sont abordables, même dans les vieux palaces impériaux, où l'entrée est gratuite. On n'y sert pas d'alcool, et cela attire les familles avec enfants. En ville, les loyers sont contrôlés, si bien que les librairies y sont florissantes. L'emprise de la globalisation est aussi visible en Turquie qu'ailleurs, mais ici les gens pauvres reçoivent des aides tangibles en nature, tandis que les classes salariées accèdent à des crédits généreux. Les prix sont contrôlés, ce qui évite les hausses brutales, et la consommation voyante est découragée. Les riches sont riches, et les pauvres sont pauvres, mais les riches ne font pas d'ostentation, et les pauvres ne sont pas désespérés.

Les gens sont modestes, serviables et aimables, bien loin de la vision de la Turquie qu'offrait Midnight Express. Ils sont plutôt honnêtes et droits, et ne se mettent pas en avant. Pas très artistique, leur cuisine est comparable à celle des Britanniques. Si ce n'est pas là un grand compliment, c'est normal : les Turcs ont été des bâtisseurs d'empire, et les nations de ce genre ne sont en général pas des temples de la gourmandise. Les Français mangeaient trop bien, et leurs femmes étaient trop attirantes pour que leur empire puisse tenir longtemps.

Istanbul n'est pas la seule oasis de prospérité du pays, comme c'est souvent le cas pour les villes importantes hors d'Europe. J'ai traversé la Turquie de long en large, et partout j'ai constaté la modernisation effective durant ces dix dernières années. Les routes sont entretenues, les logements sont en bon état, les marchés sont pleins, les gens s'habillent bien, les villes ne sont ni crasseuses ni m'as-tu-vu, mais à jour. C'est une grande réussite du gouvernement islamiste modéré conduit par le premier ministre Erdogan.

La Turquie n'est plus à la traîne comme dans les années 1960-70. J'ai rencontré plusieurs immigrés turcs en Allemagne, qui m'ont dit que leurs parents avaient agi trop vite en prenant la décision de quitter leur pays pour l'Europe quarante ans plus tôt. Ils voudraient retourner en Turquie, où il ne leur serait pas facile de trouver du travail et de s'adapter au nouvel environnement, parce qu'ils ont été maltraités en Europe occidentale. Quoiqu'il en soit, il n'y a pas d'émigration massive à partir de la Turquie, le cauchemar de millions de Turcs s'installant en Europe s'est dissipé. Ils préféreraient rester chez eux, parce que les Turcs sont très fiers de leur pays.

Erdogan est populaire, vraiment charismatique, me disent les gens. Il a battu ses adversaires, et sa position aux commandes n'est pas disputée, pour de bonnes raisons : la Turquie s'en sort bien, merci pour elle. Le pays prospère, les revenus ont doublé, et le PNB a triplé (ils envisagent 10 milliards d'euros pour bientôt, c'est tout à fait remarquable). Le gouvernement Erdogan peut vraiment se féliciter de ses réalisations en Turquie. 

 

II.

Les Turcs ont surmonté le grand traumatisme du transfert, comme ils appellent les déportations de masse et les expulsions des années 1920. Les Grecs n'avaient pas été expulsés de la Ville, mais presque toutes les autres communautés chrétiennes de Turquie avaient été envoyées en Grèce, tandis que les musulmans de Grèce étaient déportés en Turquie ; ce fut un divorce violent et douloureux, entre deux communautés étroitement liées. Comme dans bien des divorces, les partenaires séparés, une femme intelligente et un mari solide, ont passé des années à s'adapter à leur nouvelle situation.

Ce sont les Grecs qui ont souffert le plus. Ils étaient répandus dans tout l'Empire et occupaient des positions centrales. Certains historiens turcs préfèrent appeler la période ottomane "empire gréco-turc". Les Grecs furent les grands vizirs de l'Empire, et ils ont fait la loi en Méditerranée depuis Alexandrie jusqu'à Damas en passant par Istanbul. Ils faisaient du commerce et de la poésie aux temps de la deuxième Rome exactement comme ils le faisaient sous la première. Brusquement, ils se sont retrouvés confinés dans une Grèce étriquée et provinciale où ils avaient du mal à trouver leur place. Kavafy, le poète alexandrin, avait le sentiment très fort que la petite Athènes ne se remettrait pas de la perte des grandes cités côtières. La crise grecque ne saurait se comprendre sans tenir compte de cette tranche d'histoire.

Les Turcs ont souffert tout autant. Traditionnellement, ils servaient dans l'armée et travaillaient la terre; sans les Grecs, le commerce et les productions locales déclinèrent, la militarisation s'emballa, le rationnement devint courant, la vie devint sordide et brutale, comme si leur culture avait pris la mer avec les Grecs. C'est seulement maintenant, bien des années plus tard, que les Turcs se sont remis, et les voilà bien en pleine forme.

Le gouvernement Erdogan est bon pour les communautés chrétiennes. Les gouvernements kémalistes précédents étaient furieusement anti-chrétiens, encore plus qu'ils n'étaient nationalistes et anti-islamiques. Ils avaient même déporté les Turcs Caramanlis, parce qu'ils étaient chrétiens. Ils avaient interdit la remise en état des églises restantes, et on ne pouvait plus faire venir de prêtres de l'étranger. Maintenant, les propriétés de l'Église sont restaurées, les prêtres sont autorisés à s'installer et à acquérir la nationalité turque.

Le gouvernement islamiste a permis aux Grecs et aux Arméniens qui avaient quitté le pays après les troubles et pogroms des années 1950 de revenir, de revendiquer leurs propriétés et de s'installer de nouveau en Turquie. Autrefois impensable, l'idée d'union avec la Grèce commence à être envisagée de nouveau.

Les Turcs ne sont pas les seuls à courtiser la belle Hellène; les Russes aussi voudraient s'en emparer, à titre de sœur dans le Christ, raptée par l'Occident, pour une étreinte dans l'union eurasienne. C'est ce qu'a déclaré Sergueï Glaziev, coordinateur du projet (qui inclut désormais le Bélarus, la Russie et le Khazakhstan) dans le cadre du Forum de Rhodes qui s'est tenu récemment, un rassemblement de la crème des Russes, des Asiatiques et des dissidents occidentaux [ dont Noam Chomsky, N.d.LGO ]. Les différentes offres ne sont pas exclusives : on peut imaginer un ménage à trois, un nouvel empire byzantin ressuscité. Le Khazakstan modérément musulman et turc est un vieil ami de la Turquie, c'est une alliance plausible. Si Frau Merkel donne un tour de vis de trop, la chose pourrait bien se faire.

En Grèce, la réévaluation de l'Empire avance aussi. Il y a des voix qui appellent à un retour sur le passé, à la reconnaissance des avantages pour les deux côtés, et à des avancées prudentes. Dimitri Kitsikis en fait partie, et j'en ai appris plus sur cette mouvance en me rendant à Athènes. L'interaction ne se limite pas au niveau pratique d'ailleurs. Dimanche dernier, je me suis rendu dans une église grecque modeste d'une banlieue d'Istanbul, et là j'ai rencontré un jeune prêtre grec, qui venait d'arriver de Grèce et qui maîtrisait déjà le turc, et, à ma grande surprise, j'y ai aussi rencontré quelques Turcs ethniques qui ont embrassé le christianisme orthodoxe et qui assistaient à ses messes. Les paroissiens leur souriaient gentiment en les entendant réciter le Notre Père en turc.

 

III.

Et toutes ces magnifiques réalisations, eux ils veulent les mettre en pièces, les dilapider, les évacuer. « Eux », c'est-à-dire le gouvernement turc, en train de comploter contre la Syrie. Ce serait catastrophique s'ils envoyaient leurs légions à Damas. Ce serait une erreur, mais elle serait encore compréhensible, parce que Damas et Alep font partie du passé turc, au même titre que Kiev et Riga pour les Russes, ou Vienne et le Tyrol pour les Allemands. Mais ce qu'ils font en ce moment est bien pire.

Les Turcs sont sur le point de rejouer le scénario afghan tel que l'a joué le Pakistan : ils amènent depuis tout le monde musulman les militants les plus fanatiques, leur fournissent des armes et les infiltrent par la frontière syrienne en les couvrant avec leur artillerie.

Il y a des rapports selon lesquels les jihadistes d'Al-Quaeda et les Talibans ont été transbordés du nord Waziristân au Pakistan jusqu'à la frontière turque avec la Syrie, par exemple sur un certain vol 709 de l'airbus turc le 10 septembre, sous les auspices de l'agence de renseignement turque, par le couloir aérien Karachi-Istanbul. Les 93 militants étaient originaires d'Arabie saoudite, du Koweït, du Yémen, du Pakistan, de l'Afghanistan, et comportaient un groupe d'Arabes résidant au Waziristân. Cette information n'a pas pu être vérifiée en toute indépendance, mais il y a beaucoup de données sur des jihadistes étrangers s'étant introduits en Syrie par la Turquie.

C'est exactement ce qu'a fait le Pakistan sous direction US dans les années 1980. A ce moment-là, l'Afghanistan avait un gouvernement laïque, les femmes travaillaient dans l'enseignement, les universités étaient pleines, on construisait des usines, et on n'entendait pas parler d'opium; le Pakistan s'en sortait bien aussi. Quelques années plus tard, l'Afghanistan a implosé dans une guerre civile (sous prétexte de « combat contre les infidèles communistes »), et le Pakistan a pris le même chemin. Après avoir dévasté l'Afghanistan, les combattants ont commencé à terroriser leur hôte pakistanais. Maintenant le Pakistan est l'un des pays les plus misérables du monde. Il a été dévoré par la calamité qu'il a lui-même nourri et exporté, par le jihadisme sans cervelle.

La maladie idéologique s'apparente à la guerre biologique. Vous espérez que vos voisins seront infectés par la peste que vous avez lâchée, mais vous pouvez être sûrs que votre population aussi l'attrapera. C'est pour cette raison que personne n'a entrepris de guerre biologique à grande échelle. Ce serait suicidaire. Et c'est l'équivalent de ce que le gouvernement turc est en train de faire maintenant. Il amène des jihadistes en Syrie, mais c'est juste une question de temps, les jihadistes vont se retourner contre la Turquie.

Je respecte les sentiments islamiques des turcs. Je les vois dans les mosquées, je connais leurs ordres soufis, et leur puissant attrait. Tant de Turcs se rassemblent à Konya, où ils vénèrent la mémoire de Roumi, le grand poète soufi, vénéré depuis Téhéran jusqu'à la Californie. Le gouvernement islamique a été une vraie réussite en Turquie. Pourquoi donc veulent-ils absolument suivre le chemin de perdition du Pakistan ?

Un essai de Ahmet Davutoglu, actuel ministre des Affaires étrangères et promoteur en chef de l'intervention turque en Syrie, répond à cette question. Il l'a rédigé alors qu'il était étudiant à l'université, il y a vingt ans environ, et une vieille connaissance qui faisait ses études avec lui s'en souvient bien. Ce qu'il avait écrit dans sa jeunesse, c'est que nous pouvons et devons nous entendre avec le diable, si nous estimons que c'est nécessaire.

A son avis, l'islam sunnite, tel qu'il se pratiquait dans l'empire sous le sultan Salim le Terrible et ses successeurs (l'islam qui postule une cassure irrémédiable entre le créateur et sa création), est non seulement la seule foi véridique, mais aussi une protection d'acier, une garantie de résultat. Un État guidé par cet islam-là ne peut pas mal agir. Car même les mauvais agissements d'un tel État seront retournés par le Tout- Puissant en effets positifs. C'est pour cette raison, écrivait-il, que l'empire turc avait pu survivre et faire la loi pendant 600 ans.

Voilà pourquoi, écrivait le jeune Davutoglu, la Turquie islamiste peut construire des alliances avec des partenaires puissants, et que ces puissances soient bonnes ou mauvaises n'importe nullement. Ce qui signifie que nous pouvons aller jusqu'à signer un pacte faustien avec le diable en personne, parce que nous  triompherons toujours grâce à nos croyances et avec l'aide du Tout-Puissant. L'Amérique est, certes, un Satan, pour Davutoglu, comme pour bien des musulmans, mais se sentant armé par sa philosophie douteuse, le voilà prêt à rejoindre Satan pour la gloire de la Turquie à venir. 

Se pourrait-il que cette lecture fort peu orthodoxe de l'islam ait été influencée par ses contacts avec les Yezidis, dont l'attitude face au Diable est pour le moins ambigüe, ou, plus probablement, avec les Dönmeh, les disciples de Sabbatai Zevi qui croyaient que tout est permis, et que le péché est le chemin le plus court vers le salut ? Ceux qui ont des croyances plus orthodoxes savent que toute personne qui pactise avec Satan en paiera le prix, parce que nul ne saurait souper avec le Diable : notre cuiller ne sera jamais assez longue.

Puis est venu le moment où la théologie douteuse d'Ahmet Davutoglu s'est faite politique douteuse. Les USA lui ont demandé d'amener des militants en Syrie, et il a obtempéré.

Mes amis turcs ont souligné qu'Erdogan personnellement ne souscrit pas à ces schémas théologiques, mais se laisse guider par des considérations pratiques. La question d'une alliance avec les USA et l'Otan a créé une cassure entre Erdogan et son maître de jadis Necmetin Erbakan. Erbakan était contre, mais Erdogan considérait qu'il n'y avait pas lieu de revenir en arrière. Erdogan a gagné la partie; une majorité de disciples d'Erbakan se sont ralliés à Erdogan, ils ont constitué le parti réformiste AK, sont arrivés au pouvoir il y a dix ans, et ont globalement réussi. La minorité a constitué la ligne dure (ou même islamiste révolutionnaire) du parti Saadet, qui n'a pas gagné dans les urnes, mais garde une influence certaine.

De façon inattendue, pour qui observe de l'extérieur, c'est la ligne dure du parti Saadet qui s'oppose fermement à l'aventure syrienne d'Erdogan et de Davutoglu. En dépit du fait que l'intervention en Syrie soit souvent décrite comme un « secours islamique aux musulmans massacrés », les dirigeants de Saadet la perçoivent comme un complot américain contre la Syrie ET la Turquie. Le parti Saadet a organisé de grosses manifestations contre l'intervention.

Peut-être que c'est le moment pour le premier ministre Erdogan d'écouter ses vieux camarades, de désavouer le flirt avec le diable contre la Syrie, et d'arrêter la machine de guerre avant qu'elle mette en pièces toutes les réussites dont il est en droit de s'enorgueillir. Le rêve d'amener la Syrie à une union plus étroite avec la Turquie peut encore se réaliser, mais cela ne se fera pas en lâchant les chiens de guerre.

Traduction: Maria Poumier

Source :  http://www.israelshamir.net/French/Bosphore.htm

 



*

Dernière minute :


Sur le point de fermer, nous trouvons ce dernier billet en provenance de Crimée.

Il y est question, bien sûr, de la Crimée et de ses habitants, mais aussi – beaucoup – des Palestiniens et des Tatars, de la Nakba des uns et de l'Awda des autres, de l'Armée Rouge, de Boukhara et de Samarkand, des nazis, du Comité Juif Antifasciste (JAC) et du lobby qui rata son coup, de Staline et de Molotov, de Beria et d'Averell Harriman, du complot des blouses blanches et même d'un plan Marshall qui faillit échoir à l'URSS. Sans compter quelques merveilleux paysages et autres Palais-Jardin des Khans pour mettre l'eau à la bouche, car la Crimée, ne l'oublions pas, c'est la Riviera russe.

Nous sommes prêts à parier notre dernière chemise que, quand vous aurez lu, vous admettrez que vous ne saviez rien de ce qu'y révèle l'inépuisable Shamir. Nous non plus... Eh, mais que voilà une excellente occasion de ne pas commencer l'année idiots !

 

Un automne en Crimée

par Israël Adam Shamir


J'adore cette contrée à la morte saison. Les touristes fatigants sont partis. Le nord est déjà sous la neige, mais ici en Crimée, l'automne se prolonge dans toute sa mûre beauté. Les forêts débordent de couleurs, du verdoiement au jaune évanescent, du violet au violent. Et les vignes déploient plus de rouges et de pourpres que microsoft n'en imaginera jamais. Des ruisseaux joueurs dévalent les pentes raides, depuis les plateaux âpres et nus, jusqu'à la mer profonde et placide, bondissant en cascades coquettes. Les routes qui sillonnent ces coteaux avec des virages impossibles sont vides, et les palaces que je visite partagent avec moi seul l'histoire unique de cette terre.

 

 

Autumn.jpg

 

Lire la suite...





*









Mis en ligne par Théroigne le 25.12.2012


23:01 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Musique, Web | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

Les commentaires sont fermés.