30/10/2016
LES COUPEURS DE TÊTES À L'ONU
Mais pourquoi diantre les Russes posent-ils leur candidature à ce Machin ?
LES COUPEURS DE TÊTES À L'ONU !
Bruno Guigue – Oumma.com – 30 octobre 2016
Élire l'Arabie saoudite au conseil des droits de l'homme, c'est comme nommer un pédophile directeur d'école. Mais ça y est, c'est fait. Cette monarchie est esclavagiste et corrompue. Pudibonde et obscène, elle se prosterne devant le dieu-dollar et vomit tout ce qui n'est pas wahhabite. Elle diffuse à l'échelle planétaire une idéologie débile et sectaire. Elle invoque le Créateur à chaque virement bancaire, mais elle décapite comme d'autres font un barbecue. Seulement voilà, elle a beaucoup d'amis. Et ils trouvent qu'elle a un excellent pedigree pour se voir confier la promotion des droits de l'homme. Remarquez, on a échappé au pire. On a failli lui confier les droits de la femme.
Voilà donc l'Arabie saoudite chargée, avec notre bénédiction, de soutenir les droits de l'homme comme la corde soutient le pendu. Car les Occidentaux ont voté comme un seul homme pour la candidature de Riyad. Avec une bienveillance de marchands de canons soucieux de la réputation du client, ils ont arrosé d'eau bénite cette fosse à purin. Vus de Paris, les dix milliards de contrats d'armements valent bien cette petite mascarade dont personne ne parlera plus dans 48 heures. On leur a vendu des armes, distribué des médailles, bradé l'honneur national. Tant qu'on y est, on peut aussi leur permettre de parader au sein de ce conseil qui de toutes façons ne sert à rien. Puisqu'ils y tiennent !
On pourrait craindre, bien sûr, que l'ONU y perde de sa crédibilité. L'organisation internationale s'en remettra-t-elle ? En réalité, aucun risque. L'ONU est une avaleuse de couleuvres professionnelle. Elle n'est pas à un paradoxe près. Elle tente de donner une apparence de réalité à cette fiction qu'est la communauté internationale, mais personne n'est dupe. Le conseil des droits de l'homme a des attributions ronflantes, mais ce machin onusien est devenu la bonne-à-tout-faire des ploutocrates. L'arène internationale est un champ de forces où les alliances se font et se défont. Richissime, la monarchie wahhabite a des moyens de persuasion que n'a pas le Burkina Faso.
Que cette élection au CDH (28 octobre) ait eu lieu trois semaines après le massacre perpétré à Sanaa par l'aviation saoudienne (8 octobre) ne manque pas de sel. Quel symbole ! L'admission en grande pompe au conseil des droits de l'homme, c'est la prime à l'assassin. On a heureusement échappé au Prix Nobel de Laurent Fabius, l'apologiste alcoolique des psychopathes d'Al-Nosra. On a frôlé celui des Casques blancs "auto-reverse", brancardiers le jour et tortionnaires la nuit. Mais c'était plus fort que tout. On n'a pas pu éviter l'élection des coupeurs de tête saoudiens au conseil des droits de l'homme de l'ONU.
On aurait dû surtout demander ce qu'il en pense au peuple yéménite. Il subit tous les jours des bombardements qui ont fait 10 000 morts et provoqué une crise humanitaire sans précédent. Mais on s'est bien gardé de lui demander son avis, à ce peuple arabe martyr, avant de coller ce nouveau fion de hamster au revers du veston wahhabite. Car les droits de l'homme, en fait, c'est bon pour justifier les bombardements, pas pour les interdire. Sauf s'ils sont russes. Et même lorsqu'il n'y a pas de bombardement !
Comme par hasard, deux jours avant le scrutin onusien, une école a été attaquée à Idlib (Syrie). Selon l'ONU, il y a eu 28 morts dont 22 enfants. L'ONU n'a accusé personne, faute de preuves. Mais les officines de propagande et les médias occidentaux ont accusé la Russie. Niant toute implication, le ministère russe de la Défense a fourni les preuves qu'il n'y avait pas eu de bombardement aérien. Aucune importance ! L'essentiel, c'est le vacarme organisé contre Moscou avant l'élection des membres du conseil des droits de l'homme. Résultat : la Russie a obtenu moins de voix que la Croatie. Contrairement à l'Arabie saoudite, elle ne fait plus partie du CDH. Mission accomplie.
Bruno Guigue : Normalien, énarque, aujourd'hui professeur de philosophie, auteur de plusieurs ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, l'invisible remords de l'Occident (L'Harmattan, 2002).
Source : http://oumma.com/223856/coupeurs-de-tete-a-l-onu
Retour sur le putsch turc
Israël Shamir rentre de Turquie et Thierry Meyssan a reçu des informations nouvelles.
Erdogan consolide son emprise
Israël Adam Shamir – Entre la plume et l’enclume – 30.10.2016
Traduction : Maria Poumier
La Turquie est infatigable. Le président Erdogan consolide son pouvoir, en essayant de se débarrasser des interférences irritantes du Parlement. Il tente de réformer la Turquie dans le sens d’une république présidentielle, en assumant les pouvoirs d’un président américain. Il se voit calife, plaisante le peuple à Istanbu, et on l’appelle le sultan Erdogan. Et le putsch éventé de juillet a été mis à profit comme mettre en route une grande purge dans la structure du pouvoir. Cependant, le résultat pourrait s’avérer encore plus positif que ce qu’en attendent de nombreux observateurs.
Voilà ce que j’ai appris pendant ma visite en Turquie, où j’ai eu l’occasion de rencontrer des membres turcs du Parlement, des ministres et des chefs de rédaction des plus grands médias. Je m’attendais à ce que le putsch raté appartienne déjà à l’histoire, mais je me trompais.
L’ombre du putsch pèse lourdement sur les évènements quotidiens, dans le pays. On m’en a montré des traces au siège du Parlement, où une bombe lancée par les putchistes était tombée. Il y a aussi une exposition de photos montrant d’autres coups d’Etat militaires victorieux, avec un horrible portrait président Adnan Menderes pendu en 1960. Les putschs turcs, ce n’est pas de la petite bière. L’armée voulait prendre le pouvoir et le garder, pour elle, et pour ses alliés de l’Otan.
Le putsch de juillet a causé la mort de 240 personnes, pour moitié tués sur le pont du Bosphore dans une confrontation avec l’armée. Ce n’est pas grand-chose par rapport au putsch égyptien, où les victimes se sont comptées par milliers, et où l’armée a éjecté le président Morsi, modérément islamiste, et élu en toute légitimité.
Après le putsch, Erdogan a entrepris la purge des Gulenistes ou Fethullistes comme on appelle les partisans de Fethullah Gülen, le père de l’islam politique turc modéré et le créateur d’un vaste réseau d’écoles qui s’étend sur 160 pays. Ils étaient censés être les initiateurs du coup d’Etat. Ce n’est en fait pas très clair, si Gülen et ses partisans étaient bien derrière l’opération, mais il ne fait pas de doute que ce sont des ennemis d’Erdogan.
La purge n’est pas sanglante, mais douloureuse : les proscrits ne sont pas abattus, mais perdent leur travail et atterrissent souvent en prison. Quelque soixante-dix ou quatre-vingt mille personnages sont passées à la trappe, 35 000 sont à l’ombre. Ils sont juges, officiers de l’armée, fonctionnaires, et souvent enseignants. 500 personnes ont été chassées du ministère des Affaires étrangères, certains avaient refusé de rentrer chez eux quand l’ordre de se replier avait été donné. L’état d’urgence a été déclaré juste après le putsch, et vient d’être prolongé pour trois mois de plus.
Une telle justice d’exception est notoirement aveugle : un juge est mort trois mois avant les évènements, mais était toujours sur les listes des proscrits pour sa participation au putsch. Certaines sociétés appartenant à des gülenistes ont vu leurs biens confisqués, tandis que leurs obligations et dettes restaient bien à la charge des propriétaires dépossédés. Il est difficile de se défendre contre des accusations quelque peu rhétoriques de gulenisme..
Les Turcs répondent par une saine plaisanterie, aux tâtonnements de cette “justice aveugle” : « un aveugle, ça s’agrippe à tout ce qu’il peut attraper”.
Le gouvernement argue que lesgulenistes constituaient une organisation de comploteurs, appelée FETO, et la décrivent comme « organisation terroriste ». Ils la comparent à Daesch, au Cartel de Medellín, et, plus surprenant, aux jésuites.
Mais il reste difficile de comprendre en quel sens les gulenistes étaient des terroristes. La pire chose dont ils sont accusés, c’est d’avoir fraudé pour obtenir des certificats permettant à leurs membres d’accomplir un service civil, et ce faisant, de leur avoir assuré des positions confortables. Ce n’est pas conforme aux principes des joueurs de cricket, mais peut difficilement être qualifié d’opération terroriste.
Comment fait-on pour démasquer un guleniste ? La tâche n’est pas simple, mais il y a certains marqueurs qui révèlent le crypto-guleniste.
Les gens qui utilisent la messagerie ByLock sont suspects. Cette messagerie d’amateurs avait été populaire parmi les gens de Gülen et certaines personnes impliquées dans le putsch. 150 000 utilisateurs de ByLock ont fait l’objet d’une enquête. Le système avait été piraté par les services de sécurité de l’Etat il y a quelque temps, parce que c’était très léger du point de vue sécurité. Après quoi, les conspirateurs s’étaient reportés sur le système de messagerie professionnelle WhatsApp. Il offrait une bonne sécurité, mais il suffisait de mettre la main sur le smartphone d’un seul comploteur pour avoir accès à tous les autres.
Autre moyen pour débusquer un crypto-guleniste : localiser le billet d’un dollar que les gulenistes reçoivent de leur gourou. Un membre du Parlement m’a dit qu’un vrai guleniste coud souvent ce billet sur l’envers d’un sous-vêtement, au contact de sa peau.
Cette idée avait été mise en service par le rabbin fondateur des Loubavitch : en effet, feu Menachem Mendel Schneersohn répandait aussi des billets d’un dollar et bénissait même de la vodka pour la consommation des juifs hassidiques. Il conversait avec Dieu, et Gülen de même, selon ses troupes, et selon ses adversaires également. Les juifs ultra-orthodoxes essayaient eux aussi d’accroître leur influence, avec un succès considérable.., mais ils n’avaient jamais été qualifiés de terroristes.
Gülen avait été - et il le reste – un personnage très puissant dans le monde turcophone, particulièrement en ex-URSS et en Chine, depuis le Tatarstan et la Yakoutie jusqu’au Xinjiang. Les jeunes du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan sont passés par ses écoles. Le mouvement Gülen était considéré comme la branche dominante dans l’islam politique modéré pro-occidental. Pratiquement tous les islamistes modernes de la Turquie sont passés par ses écoles. Il était l’allié le plus important d’Erdogan dans son combat ascendant contre les kémalistes violemment laïques qui gouvernaient la Turquie jusqu’en 2002.
Source : http://plumenclume.org/blog/173-erdogan-consolide-son-emp...
Journal du changement d’ordre mondial #12
À la recherche du bouc émissaire
Thierry Meyssan – Réseau Voltaire – 20 ctobre 2016
Damas (Syrie)
À Berlin, l’Allemagne, la France, la Russie et l’Ukraine ont tenté de débloquer les conflits ukrainien et syrien. Cependant, d’un point de vue russe, ces blocages n’existent que parce que l’objectif des États-Unis n’est pas la défense de la démocratie dont ils se prévalent, mais la prévention du développement de la Russie et de la Chine à travers l’interruption des routes de la soie. Disposant de la supériorité conventionnelle, Moscou a donc tout fait pour lier le Moyen-Orient et l’Europe orientale. Ce à quoi il est parvenu en échangeant l’allongement de la trêve en Syrie contre l’arrêt du blocage des accords de Minsk. De son côté, Washington cherche toujours à se décharger de sa culpabilité sur un de ses alliés. Après avoir échoué en Turquie, la CIA se tourne vers l’Arabie saoudite.
Le conflit opposant les États-Unis à la Russie et à la Chine évolue sur deux fronts : d’un côté, Washington cherche un éventuel bouc émissaire à qui faire porter la responsabilité de la guerre contre la Syrie, de l’autre Moscou qui a déjà relié les dossiers syrien et yéménite, tente de les lier à la question ukrainienne.
Washington à la recherche du bouc émissaire
Pour se désengager la tête haute, les États-Unis doivent faire porter la responsabilité de leurs crimes à un de leurs alliés. Ils ont trois possibilités : soit faire porter le chapeau à la Turquie, soit à l’Arabie saoudite, soit aux deux. La Turquie est présente en Syrie et en Ukraine, mais pas au Yémen, tandis que l’Arabie est présente en Syrie et au Yémen, mais pas en Ukraine.
La Turquie
Nous disposons désormais d’informations vérifiées sur ce qui s’est réellement passé le 15 juillet dernier en Turquie ; des informations qui nous contraignent à réviser notre jugement initial.
Source : http://www.voltairenet.org/article193805.html
Chats
« Faites pas attention quand mon humaine pète les plombs. »
Mimi Makhno
L’assassinat d’Arsen Pavlov, dit « Motorola », un des chefs militaires de la Résistance du Donbass, venant après plusieurs autres non élucidés, nous avait incités à consacrer, à ces dérangeantes morts en série, un post assez conséquent, dans lequel nous nous efforcions de faire entendre le plus possible des voix qui comptent.
C’était un travail long et ardu, parce que presque tous s’expriment en russe, sont traduits en anglais mais pas en français.
Nous terminions par celui du Chat Mathieu (Kat Motja) parce qu’à tort ou à raison, il allait à contre-courant des autres, l’opinion d’un Russe sous les armes, dans un pays assailli de toutes parts, fût-elle erronée, délirante ou bourrée de préjugés, n’étant pas à nos yeux à écarter d’une pichenette par ceux qui ne sont que spectateurs.
C’est malheureusement ce qui s’est produit, puisque le Saker – sur le blog duquel la prise de position du Chat avait paru en anglais – l’a supprimé purement et simplement, avec, bien entendu, les commentaires de lecteurs qu’il avait générés, alors que nous étions occupés à le traduire en français.
Bâillonner quelqu’un – même quelqu’un qui a tort – est un acte arbitraire inexcusable. Pas seulement d’un point de vue moral : les actes arbitraires sont des raccourcis. Mais tous les raccourcis finissent dans des culs-de-sac et, donc, ne servent en définitive jamais à rien. Ce sont des actes essentiellement inintelligents.
Nous n’aimons pas faire preuve d’inintelligence ni nous laisser censurer, fût-ce indirectement. Nous avons donc décidé de ne rien publier de ce qui était prêt à l’être sur cette affaire et à nous tenir à l’écart désormais du blog du Saker, jusqu’à ce que nous soyons sur une longueur d’ondes moins éloignée du point de vue des principes.
Nous ne revenons pas sur cette décision, mais nous mettons en ligne le Nouvelleaks paru aujourd’hui sur ANTIPRESSE parce que Slobodan Despot y résume de façon exemplaire les faits relatifs à cette mort, pour l’information de ceux qui ne sont pas au courant des derniers assassinats ciblés en cours dans cette partie du globe. LGO.
Zakhar et ses chats
NOUVELLEAKS par Slobodan Despot
ANTIPRESSE – 30 octobre 2016
Zakhar Prilepine est l’auteur le plus célèbre et le plus lu parmi les «enragés de la jeune littérature russe». Il a été officier dans les OMON, les troupes spéciales, dans l’épouvantable guerre de Tchétchénie. Il est membre du Parti National-Bolchevique d’Edouard Limonov. Il ne s’en cache pas, loin de là. À rebours de la plupart des écrivains en vogue, il ne se prétend pas apolitique, ni ne revendique le point de vue de Sirius. Il relève que la grande majorité des œuvres importantes de sa propre tradition traitent d’événements politiques et/ou sont l’œuvre de militaires.
Zakhar et le chat
Cela ne l’empêche pas d’être lu, traduit et adulé dans le monde entier comme une grande voix littéraire de notre temps. C’est le miracle de la littérature et la force pacificatrice du vrai talent. À l’heure actuelle, la prose de Zakhar Prilepine est l’une des rares denrées russes qui échappent au boycott occidental, particulièrement en France, où l’essentiel son œuvre est traduite aux éditions Actes Sud, à la Différence ou aux Syrtes.
Le lundi 24 octobre, Zakhar Prilepine était à Belgrade pour le lancement de son nouveau livre. Ses Lettres du Donbass, datant de juillet dernier, sont déjà traduites en serbe, avant même d’être parues en langue originale. C’est d’elles qu’il est venu parler en un lieu adorable, la maison-musée d’un vieux poète bohême sise au beau milieu de la Skadarlija, la rue joyeuse des tavernes, des orchestres tziganes et des pavés assassins qui brisent les talons des dames élégantes et les chevilles des messieurs éméchés.
Je me trouvais là, au premier rang du public, tandis que mon ami Dragoslav Bokan devait animer la soirée en compagnie de Zakhar et de sa traductrice. Derrière moi, assis ou debout, attendaient cent ou cent cinquante spectateurs fervents et inclassables. Retraités, étudiants, jeunes militants nationalistes, professeurs de littérature, starlettes, poivrots, provocateurs, philosophes de rue. L’apparition de Zakhar en hoodie noir — silhouette de moine rappeur — a été bruyamment saluée, et suivie immédiatement d’une minute de silence. C’est cette minute d’un silence lourd et pénétrant, incrustée comme une bille de plomb dans le brouhaha d’un quartier de fêtards, qui m’a décidé à relater cette rencontre.
Arsen
Zakhar venait d’enterrer un camarade de combat et un ami proche.
Arsen Pavlov dit Motorola, le commandant légendaire de la défense du Donbass, était tué huit jours plus tôt par une bombe placée dans l’ascenseur de son immeuble à Donetsk alors qu’il rentrait dans son petit appartement où l’attendait sa femme avec ses deux enfants, dont un bébé nouveau-né. La première des Lettres du Donbass, du 6 juillet 2016, lui était justement consacrée. A ses côtés dans l’ascenseur se trouvait son garde du corps, le tranquille géant géorgien Taïmouraz, dont le portrait nuancé fait l’objet de la troisième lettre, datée du 12 juillet.
Par-delà le chagrin récent, qui chez lui semblait se traduire par un surplus de colère froide et résolue, j’ai cru sentir chez Prilepine l’ombre d’une appréhension. Lui-même pouvait à tout moment être le prochain sur la liste d’exécution des commandos ukrainiens. Comme il nous l’a expliqué, il vit désormais dans le Donbass, parmi les insurgés, et ne retourne en Russie que pour chercher de l’argent et revoir sa famille. Il est heureusement marié depuis vingt ans et il a quatre enfants.
Qu’avait-il besoin de cela? Il a survécu par miracle à sa première guerre, en Tchétchénie, et en a tiré des récits à vous couper le souffle. Un côté baroudeur, à la Hemingway ? Ce serait encore trop simple. Comme beaucoup d’écrivains et de poètes russes, Prilepine identifie son destin à celui de sa nation. Or c’est là qu’il se joue, selon lui, dans les provinces rebelles de l’est de l’Ukraine. C’est là, autant et peut-être plus qu’en Syrie, que les deux superpuissances se livrent une guerre par procuration.
A l’ouest, l’Ukraine de l’Euromaïdan, issue du putsch de février 2014 à Kiev. Derrière elle, sans dissimulation, le pouvoir américain. Qui nomme les ministres, fait les lois, accapare les ressources. Le fils du vice-président américain Joe Biden préside la principale compagnie énergétique du pays. Avocat de formation, Hunter Biden est surtout un crétin cocaïnomane que même l’U. S. Navy a viré de ses rangs malgré ses hautes protections. Son sourire vide et exorbité s’intègre harmonieusement à la galerie tim-burtonienne de sycophantes loufoques qui incarnent désormais l’Ukraine « européenne » à la suite du chocolatier inepte Petro Porochenko. Leur propre peuple, désormais, les abhorre.
A l’est, des régions ouvrières de culture et de langue russes dont le crime est d’avoir rejeté le putsch de 2014 contre un président élu. Avec la bénédiction de l’UE, le nouveau pouvoir de Kiev a lancé au printemps 2014 une « opération antiterroriste » pour balayer en quelques semaines cette méprisable agitation. Mal lui en a pris. Son armée sans motivation s’est enlisée et a été remplacée en première ligne par des troupes ouvertement nazies. Et Kiev — relayé aveuglément par les médias occidentaux — n’a trouvé d’autre alibi à son fiasco que d’incriminer depuis deux ans une introuvable présence militaire russe sur son territoire.
On comprend beaucoup mieux ce mystère en découvrant des figures comme « Motorola » et son entourage. Laveur de voitures, tailleur de stèles funéraires, vétéran de Tchétchénie, Arsen Pavlov était retourné se battre dans le Donbass par vocation, comme nombre de volontaires russes. Il y est rapidement devenu légendaire, notamment en chassant les forces ukrainiennes de l’aéroport de Donetsk avec un effectif incomparablement moindre et des pertes négligeables. Le régiment qu’il commandait porte le nom de Sparte. Son insigne combine les couleurs traditionnelles avec les symboles de l’heroic fantasy à la russe.
Prilepine livre un instantané saisissant de « Motorola » dans son environnement domestique. Son appartement exigu, modeste, de deux pièces. Son refus de vivre dans une résidence protégée. Ses multiples blessures. Ses digressions soudaines sur la langue ukrainienne et russe, sur les gens qu’il a connus, sur la fabrication de la haine. Sa confiance en la vie… et même en la mort. Et toujours ce batifolage surprenant des Russes entre le pathos et la dérision, entre les zakouskis, les détails domestiques et la grande histoire…
« Il y a des gens qui ne comprennent absolument pas ce que je fais ici, dit-il. J’ai toujours la possibilité de m’en aller. Moi, je n’ai pas besoin de “comm”. Je tricoterais des chaussettes — parce que je sais tricoter les chaussettes — et je les vendrais pour de l’argent normal. “Les chaussettes Motorola”. Et puis je vivrais normalement… »
Les obsèques d’Arsen Pavlov ont drainé des dizaines de milliers de personnes à Donetsk. En Russie, seul le grand barde Vladimir Vissotsky avait eu droit à un aussi imposant cortège funéraire. Des milliers de jeunes gens du cru, mais également venus de Russie, d’Ossétie, de Serbie ou de France, sont prêts à prendre sa place. Cette guerre a même resserré les liens avec les Tchétchènes, qui fournissent le troisième contingent de volontaires par ordre d’importance. Aux yeux de toute la Russie, mais aussi d’une certaine Europe, le Donbass est une nouvelle guerre d’Espagne.
Dans l’autre camp, celui de l’Euromaïdan, les tentatives de recrutement et de mobilisation pour l’armée se soldent par des rébellions populaires, voire par le lynchage des recruteurs. Au Donbass, plus que le soutien de la Russie, c’est la motivation passionnelle qui est la clef de voûte. Le sens du sacrifice et l’acceptation, si peu «moderne», de la mort comme prix d’une vraie vie.
Anna
Prilepine est porté lui aussi par cet élan. La conscience d’une destinée se lit sur son visage, dans ses gestes, dans ses absences même. Durant la soirée, il a été tour à tour sarcastique, cordial, exalté, arrogant. Il a tourné en dérision des questions bienveillantes et répondu avec patience à des interventions imbéciles. Il a parlé d’empire et de géopolitique, de cuisine, de la nécessité de jeter les téléviseurs par la fenêtre pour protéger les enfants. Tout comme « Motorola », lui aussi a des portes de sortie. Il n’aurait pas besoin d’être là-bas, ni de faire de la politique. Il est, dit-on, l’écrivain préféré du président Poutine. Ses tirages atteignent le demi-million. Et pourtant…
La deuxième lettre du Donbass, datée du 8 juillet 2016, nous conte le personnage d’Anna Dolgareva, très jeune poétesse toute de noir vêtue. Anna est née en Ukraine. Son frère est un ardent militant ukrainien (il milite surtout sur Instagram, précise-t-elle). Elle, elle venait du milieu des jeux de rôle « grandeur nature », du monde de Tolkien et des chevaliers. Son fiancé aussi, qui était ingénieur. Un jour, il a quitté son travail et il est parti combattre dans le Donbass. Elle l’a perdu. Depuis lors, elle a renoncé à la vie. Cette renonciation, elle l’a écrite en des vers arrimés au sol et déchirants.
Ici c’est un pays de renégats, nous n’avons déjà plus d’autre retraite / le vent de steppe sent la mort, la menthe et le miel. / Nous buvons pour l’amour, la vérité, pour l’enfance heureuse, / nous buvons, sans trinquer, dans des douilles d’obus.
Après la mort de « son Liochka », Anna était tombée en dépression. En sortant de l’hôpital, elle a couru à la SPA récupérer un chaton du nom de Félix. « Pourquoi êtes-vous si pressée », lui a-t-on demandé, « c’est pour un cadeau ? ». « Non, c’est pour moi. Vite ! » Félix est aujourd’hui l’être le plus important de sa vie. A part lui et ses vers, elle n’a rien. Elle vit dans un petit appartement, à Donetsk, et travaille comme journaliste. Elle ne croit en rien, mais reste trop orthodoxe pour se suicider. Aussi monte-t-elle chaque jour vers les villages de la première ligne.
« Il ne peut m’arriver rien de pire que ce que j’ai déjà vécu. En principe, je suis agnostique. Mais tout le monde me dit que le suicide n’amène rien de bon. Or je veux retrouver mon Liochka. »
En attendant les retrouvailles avec Liochka, c’est le chat Félix qui lui sert de compagnon dans cette vallée de larmes.
Félix
Aux pieds de Zakhar, pendant toute la soirée, veillait un chat. Un simple rôdeur tigré. Peut-être celui de la maison ou d’un voisin. Il allait et venait comme une sentinelle, s’immobilisait en sphinx ou en cariatide, indifférent au public, aux exclamations et aux flots d’émotion. Dans ce dandy de gouttière balkanique, j’ai vu soudain le porte-drapeau de tous les chats de la littérature russe. Des chats de Gogol au compagnon madré du Diable dans Le Maître et Marguerite, ils sont là pour rappeler l’étrangeté impénétrable et la permanence de la vie, de la simple vie animale qui nous observe avec une tranquille ironie quand nous croyons, nous humains, tenir l’univers entier sous nos microscopes, en fronçant le sourcil.
Il y avait en Zakhar, comme dans tous ces chats, comme dans la goguenardise du « tsar » Poutine, une distante sérénité comme venue de l’au-delà ou de l’inconscient collectif. S’il fallait décoder le message inscrit en filigrane dans cette humeur si particulière, dans cet humour si noir qu’il en est imperceptible, il donnerait à peu près ceci : « Advienne que pourra ! Il ne peut rien nous arriver de pire que la mort, or nous l’avons traversée et nous savons qu’elle n’est rien. Nous luttons non pour la survie, ni même pour la victoire, mais pour le salut de notre âme en attendant la résurrection. » Aucune arme n’est assez pénétrante pour percer cette assurance-là.
Zurich Airport
Après la soirée, Zakhar est allé rencontrer Emir Kusturica, qu’il admire. Ils sont revenus tous deux dans la rue bohême et nous avons fait la fermeture d’un vieux café. Je suis rentré chez moi à trois heures du matin. A six heures, je montais dans un avion pour la Suisse. Dans le couloir du débarquement, après l’enfilade des publicités géantes pour les montres, m’attendait Roger Federer. Non pas lui, mais son hologramme. Qui, toutes les minutes, s’adressait aux voyageurs dans son petit pull cachemire, avec un geste d’invitation très poli.
« You, yes you! Comme here with me… » disait-il en anglais. Ou en allemand. Je ne sais plus. Le savait-il d’ailleurs lui-même? Pour le compte d’une assurance, ou d’une banque, le grand tennisman proposait aux consommateurs de faire un selfie avec lui. Enfin, avec son hologramme. Ou était-ce vraiment lui? Des enfants arrêtaient leurs parents, intrigués.
« A-t-il besoin de ça ? » me suis-je demandé. « N’a-t-il pas de moyen plus élégant de justifier sa vie ? » Puis je n’y ai plus pensé.
PS Les lettres du Donbass de Zakhar Prilepine seraient en cours de traduction aux éditions des Syrtes. Nous attendons avec impatience la traduction de son immense roman Обитель (La Communauté), au souffle tolstoïen, une saga consacrée au camp de concentration des Solovki.
Mis en ligne le 30 octobre 2016.
22:56 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Web | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |
Commentaires
Avec M. Shamir, dont le ton condescendant met les nerfs en pelote, il y a toujours à boire et à manger. Ainsi lorsqu’il écrit benoîtement que le président de l’époque, Morsi, était « modérément islamiste » il faut l’entendre, je suppose, au sens où les coupeurs de tête dont parle si justement Bruno Guigue, sont, eux aussi, qualifiés de « modérés » - c’est-à-dire qu’ils décapitent lentement et avec des canifs !
Je rappelle à M. Shamir et à ceux qui l’ont oublié que l'ancien Président de la République d'Egypte, M. Morsi, sur lequel le peuple palestinien fondait d'immenses espoirs, rapidement déçus, hélas, a, dans son dernier discours de chef d'Etat dit "démocratique", prôné le "djihad", c'est-à-dire rien de moins que la "guerre sainte" ... mais, mais pas contre l’Etat sioniste, contre la Syrie, donc contre un autre Etat à majorité musulmane.
Aucune guerre n'est sainte et tout "djihad" politique n'est qu'une monstruosité barbare. Ainsi, M. Morsi venait ex abrupto de déclarer la guerre à un Etat avec lequel il n'avait aucun différend politique, et cela pour le plus grand bonheur et jubilation de l'axe otano-qataro-saoudo-sioniste qui manipule à son profit les faibles esprits religieux fanatisés et les politiciens corrompus de la région, mais à la grande fureur d'une partie importante de la société égyptienne, violemment hostile à une dictature religieuse.
La lettre personnelle d'allégeance adressée au Président Peres, par laquelle le Président égyptien fraîchement élu avait souhaité à l'Etat d'Israël "bonheur et prospérité" demeure dans toutes les mémoires et a pris tout son sens à la lumière des évènements qui ont suivi.
Trois jours après le prêche religieux sectaire de M. Morsi, qui aurait envoyé des dizaines de milliers d'Egyptiens grossir les rangs des hordes internationales d'égorgeurs et de décapiteurs de civils syriens sous prétexte qu'ils ne priaient pas leur Dieu de la même manière qu'eux, une junte militaire en a profité pour reprendre le pouvoir - avec le soutien d'une importante proportion de la société civile, il faut bien le constater. Peut-être subsistait-il chez les généraux égyptiens quelques traces de l'authentique patriotisme égyptien qu'avait incarné le Colonel Nasser. Peut-être se souvenaient-ils qu'il n'y a pas si longtemps, l'Egypte et la Syrie ne formaient qu'un seul Etat. Les deux étoiles qui ornent encore le drapeau syrien en sont les vestiges.
Le chat marin, le chat d’écrivain, il vous manque le « chat alpiniste ».
https://fr.sputniknews.com/societe/201610311028457213-chat-graf-elbrouz-russe/
Écrit par : Sémimi | 31/10/2016
@ Sémimi,
Voici qui confirme votre analyse : http://french.almanar.com.lb/80243
Écrit par : Théroigne | 04/11/2016
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