18/10/2015
HISTOIRES BELGES
Une fois n’est pas coutume
Histoires belges
I.
Ubu sur la Batte
En mars 2012, Dieudonné, à la demande générale d’une partie de la population, est venu donner son spectacle La Bête immonde, à Herstal, petite ville des environs de Liège surtout connue pour sa fabrique d’armes de guerre.
Trois ans plus tard …
Le parquet de Liège a requis mercredi devant le tribunal correctionnel une peine de 6 mois de prison ferme, une amende de 5.000 euros et une interdiction de droits « contre Dieudonné M’Bala M’Bala », qualifié d’« humoriste » avec des guillemets ou de polémiste sans guillemets par la presse bien-pensante.
« Dieudonné avait été invité à présenter son spectacle à «La Fabrik» de Herstal le 14 mars 2012, à la demande du comité des jeunes de Bressoux-Droixhe. L’assemblée avait rassemblé quelque 1.100 personnes. Lors de ce spectacle, l’humoriste avait tenu des propos radicaux, xénophobes, discriminatoires et antisémites.
« Plusieurs préventions ont été retenues pour qualifier les faits. Il s’agit de préventions d’incitation à la haine, de tenue de propos antisémites et discriminatoires, de diffusion d’idées à caractère raciste, de négationnisme et de révisionnisme
Oufti ! Que ça…
« Le Centre interfédéral pour l’égalité des chances [sauf celles des Palestiniens, NdGO], l’Asbl Foyer culturel juif de Liège et le Comité de coordination des organisations juives de Belgique se sont constitués parties civiles. Le Centre interfédéral pour l’égalité des chances a réclamé un dommage définitif d’un euro mais les deux autres parties ont chacune réclamé un dommage de 2.500 euros.
« Les différents propos tenus lors de ce spectacle public ont été épinglés lors de l’audience. Selon les avocats des parties civiles, Me Lemmens et Me Berbuto, ils représentent le prototype de propos qui constituent une incitation à la haine et à la violence.
(…)
« D’après les plaignants, Dieudonné cherche à stigmatiser une communauté. Connu pour ses positions antisémites, il vise essentiellement la jeunesse musulmane au sein de son public.
« Le Procureur Damien Leboutte a également épinglé les propos tenus par Dieudonné, qu’il ne qualifie plus d’humoriste.
« Le spectacle qu’il donne est rempli de propos diffamants et insultants qui donnent envie de vomir », a-t-il indiqué lors de son réquisitoire.
Il est clair qu’entre le vertueux Joseph McCarthy et l’« humoriste » Charlie Chaplin, les chats-fourrés liégeois ont choisi leur camp. Ah, mais !
« Le parquet a réclamé une peine de 6 mois de prison qui tient déjà compte de l’ancienneté des fait [défense de rire], une amende portée du maximum de 5.000 euros et une interdiction des droits sur le territoire belge, pour le cas où Dieudonné M’Bala M’Bala aurait un jour l’idée de venir se domicilier en Belgique. » [Des fois qu’il voudrait imiter Depardieu et venir planquer ses euros là où on ne paie pas d’impôts dessus quand on en a suffisamment.]
Mais pourquoi a-t-il fallu trois ans à M. Leboutte pour découvrir toutes ces horreurs que n’avait pas vues le public de Herstal, essentiellement jeune et musulman il est vrai (et que les mauvais esprits s’abstiennent de parler de discrimination).
Pourquoi l’avoir fait aujourd’hui alors que nul n’en avait eu l’idée dans l’instant ? À notre avis, c’est que, premièrement, il est toujours prudent d’obéir aux injonctions de la puissance occupante, qui a ses raisons pour les faire connaître à retardement, et que, deuxièmement, il n’y en a aucune pour cracher sur la réclame peu coûteuse qu’on peut se faire en s’en prenant à une célébrité de passage. Ou passée un peu avant.
« Vous remarquerez, écrit sur son blog Allain Jules, que, chaque fois que l’humoriste prépare sa tournée internationale, [qui doit débuter] le 26 décembre au Zénith de Nantes, il a toujours maille à partir avec les autorités juridico-politiques. Ce sont ces dernières qui le pourchassent toujours… Est-ce le hasard ? Que nenni. Ils veulent sa peau. Heureusement que son public le sait, et que son talent le sauve. »
Et d’ajouter :
« Dieudonné devait également comparaître mercredi à Paris en correctionnelle pour « provocation à la haine raciale » et « injure raciale » pour des passages de son avant-dernier spectacle, La Bête immonde, mais le procès a été renvoyé au 24 février 2016, à la demande de son avocat, Me Sanjay Mirabeau, empêché. »
Et, en effet, l’offensive liégeoise est simultanée et parallèle à cette Nième de France. Il s’agit donc bien, au moment où commence la Troisième Intifada, de museler préventivement toute critique explicite des ignominies passées ou en cours.
Ah les braves gens !
Que Dieudonné, dans sa vie privée, aille se fourvoyer chez les Blancs de sa Vendée plus ou moins natale, on est les premiers à le regretter, et on espère qu’il en reviendra. Mais qu’il dénonce, en faisant rire, les horreurs les plus abominables, les plus dégradantes et les plus persistantes de son temps, comme l’ont fait avant lui les Swift, les Molière, les Dac, les Coluche, les Yanne et les Desproges, c’est son droit le plus absolu, et merci à lui.
Jugement (à Liège) le 25 novembre.
Ceux d’entre vous qui désirent apporter leur soutien moral à M. le Procureur du Roi sont (encore) libres de le faire. C’est là : Damien.Leboutte@just.fgov.be
Sources :
http://www.lavenir.net/cnt/DMF20151014_00719375
http://allainjules.com/la-blague-belge-dieudonne-condamne...
II.
Zoïle sur la Butte
Faute de pouvoir s’en prendre à Homère et à Platon, un qui se dit écrivain, d’origine belge mais sévissant à Paris, s’en prend à Georges Simenon. Son nom : Patrick Roegiers. Prononcez Roû-jota-îrs (pour la jota, voyez Devos), bien qu’il insiste pour qu’on le prononce « à la française ». Dans le temps, parler pointu (voyez Pagnol) se disait par ici « fransquillonner ». Maintenant, ils parlent tous comme à la télé.
Donc, M. Roegiers, après avoir pompé un de ses titres à Blavier - ce qui est à toi est à moi et personne n’a eu le mauvais goût de le lui reprocher - a naguère commis un livre qu’il a modestement intitulé Le bonheur des Belges, titre et personnage principal pompés à Claus, car à quoi bon lésiner. Où irait-on, si les gloires nationales ne pouvaient pas servir à quelque chose ? D’aucuns qui croient savoir lire en avaient même dit du bien. Des goûts et des couleurs…
Pourquoi changer une recette qui gagne ? Le même « homme de lettres » (bien notre tour d’user des guillemets) vient de récidiver, avec un L’autre Simenon, qu’on dit sur les rangs pour le Renaudot. Inutile d’ergoter sur ce qu’on pense des prix, puisqu’aussi bien Simenon lui-même l’a fait à propos de Festival de Cannes. Allez-y voir.
Le hic, cette fois, c’est que non content de se parer des plumes du paon, l’auteur se laisse aller à le diffamer, voire à un petit peu quand même le calomnier. En se servant d’un frère cadet mauvais sujet comme prétexte et, bien entendu, comme tremplin.
Ce n’est un secret pour personne que Christian Simenon, nullité pathétique et néanmoins favori de sa mère a aboyé avec les (très nombreuses partout) meutes de chiens de son époque et fricoté avec les pro-nazis. Ce dont se prévaut notre Zoïle pour tenter de diminuer autant qu’il est en lui la gloire de l’aîné. S’il était anglais, il reprocherait à Shakespeare les frasques (nazillonnes aussi) du duc de Windsor. Shakespeare l’a échappé belle.
Remarquez que… lui-même – William – en son temps a calomnié des gens. Pour complaire à ses puissants protecteurs, certes, mais quand même. La différence, c’est qu’il avait du talent. Certains disent même du génie. Quand il brosse le portrait d’un usurpateur sanguinaire, ce n’est pas juste un personnage qu’il crée, c’est un type. Sa faute, c’est de l’avoir appelé Macbeth. Pour les mêmes raisons, Molière a, de son côté, peu glorieusement ridiculisé des femmes qui le valaient bien. Ce sont là des choses dont Simenon ne s’est jamais rendu coupable.
On ne peut pas classer Patrick Roegiers parmi les fous littéraires : puisqu’il a trouvé des Grasset pour le publier, il ne répond pas aux critères. Mais comment ne pas le classer parmi les malades ? Car ne pouvoir écrire qu’en se parant des dépouilles de qui vous porte ombrage, tout en se donnant un mal de chien pour le diminuer, est une maladie. L’artiste véritable, occupé à créer, n’a pas de temps pour ces pathologies.
Cela dit, pourquoi cette tempête dans une jatte de café fait-elle tant de vagues ? Parce que les éditeurs habitués des prix littéraires s’y entendent à les provoquer et n’hésitent pas à en rajouter une couche dans les merdias si cela peut leur être utile. Astuce mercantile vieille comme l’imprimerie.
Résultat : dès les premières complaisantes attaques, le sang de M. Jean-Baptiste Baronian n’a fait qu’un tour. Et de foncer comme on l'espérait sur la muleta.
Jean-Baptiste Baronian est un écrivain belge de langue française, d’origine arménienne par ses parents, auteur prolifique à multiples facettes, ex- directeur de collections dans plusieurs maisons prestigieuses et membre de l’Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique, mais aussi Président des Amis de Georges Simenon. Pas pour occuper un créneau honorifique de plus, mais par conviction.
M. Baronian, donc, a estimé que trop c’était trop, et il l’a fait savoir dans les colonnes du quotidien Le Soir. Qui a fait paraître sa « Carte blanche »… face à la réponse de M. Roegiers. On ne saurait trop conseiller au Swar de continuer dans cette voie pionnière et de publier désormais les droits de réponse avant les réquisitoires. M. Roegiers, égal à lui-même, y traite élégamment son critique de divers noms d'oiseaux (il a du goût pour le calembourbeux).
Du coup, M. Jacques De Decker, pourtant son admirateur mais président de l’Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique citée plus haut et, soit dit entre parenthèses, seul auteur belge à écrire dans les trois langues nationales, a cru de son devoir de rompre une lance en défense de son co-académicien en remettant quelque peu M. Roegiers à sa place. Gros raffût dans Landerneau, qui n’est pourtant pas en Belgique.
On entend d’ici l’attachée de presse du tiers de galligrasseuil : « Mission accomplished. »
Nous eussions aimé vous distraire avec les argumentations diverses mais… nous n’achetons pas les merdias, qui, par ailleurs, ne pratiquent pas la gratuité même sur Internet. Vous devrez donc vous contenter (façon de parler) du commentaire ô combien éclairé de M. Pierre Assouline. Que voilà.
Sale temps pour Simenon
Pierre Assouline – La République des livres – 24 septembre 2015
« Le récit est bourré non d'erreurs mais de contre-vérités. Toutes volontaires, mises en scène à dessein dans l'intention de nuire. »
Que peut faire un écrivain de son héros lorsque celui-ci est un anti-héros ? Une crapule de génie, comme y réussit magnifiquement Javier Cercas dans L’Imposteur. Ou juste une crapule comme y parvient médiocrement Patrick Roegiers. Car le risque avec de tels personnages, c’est qu’ils tirent l’auteur vers le bas et emportent le lecteur dans leur élan. Le cas de L’autre Simenon (Grasset).
Quelle idée de consacrer un livre à un personnage aussi médiocre ! Faut-il être à court d’inspiration. Encore qu’il en est auxquels on peut trouver un certain panache dans l’insignifiance. Mais celui-ci était juste minable. Une vie sans éclat, celle d’un employé de l’administration portuaire à Matadi au Congo Belge dans l’entre-deux-guerres complexé par la réussite de son frère, puis aspiré dans la spirale de l’activisme fasciste du parti Rex en Belgique. Sa seule heure de gloire, selon Patrick Roegiers, est d’avoir pris la tête d’un escadron de la mort pour assassiner froidement à bout portant vingt-sept civils choisis comme otages parmi les notables de la région de Charleroi. Manifestement, il y en a que cela fait encore saliver. Grand bien leur fasse. Ce serait juste sans intérêt si l’on n’en profitait pas pour salir un homme par contre coup : le vrai Simenon, le romancier.
Source : http://larepubliquedeslivres.com/simenon-versus-simenon/
Tirez sur Simenon !
dit-on chez Causeur, où on reproduit – mais, oh, tiens, le voilà – le texte de M. Baronian :
http://www.causeur.fr/tirez-sur-simenon-34748.html
On vous a fait grâce de Baudelaire, dont le Pauvre Belgique ! a été lui aussi pillé et n’en doutons pas corrigé. Par l’« homme de théâtre » cette fois, qui mit naguère en scène un Pauvre B…. « d’après Baudelaire, texte de Patrick Roegiers ».
À qui le « surdoué » va-t-il s’en prendre après cela ? Magritte ? Mais sait-il peindre ? Ah, zut, c’est déjà fait : Magritte et la photographie. Eddy Merckxs ? Encore faut-il savoir couvrir de longues distances à vélo, avaler des amphés sans se faire poisser et arriver avant les autres. N’y comptons pas trop... Verhaeren ? Mais il faut savoir faire des vers… Maeterlinck ?... Ghelderode ?... On sèche.
Intolérable suspense.
Ne quittons pas tout de suite Simenon puisqu’on y est (et nos excuses pour les langues laissées d’origine) :
Louanges d’orfèvres
John Cowper Powys, Henry Miller
« I hope your Book, this autobiography one, will be a long book… Do you know for whose stories (and they are all long short ones like Henry James’ & Theodore’s) I have got now an absolute mania ? The so-called Detective Stories translated from the French of Georges Simenon. Do ask Maurice [Browne] if he knows them. They have given me extraordinary pleasure. The crime part is far the worst part in them. It is badly done – even I who never read detective stories can see that, but for the Milieus (is that the right plural ?) and the neurotic criminals he is better than – well, I’d sooner meet him than any other living writer. And his women are perfect. I do pray Simenon is alive – ask Maurice if he knows anything about him. »
Lettre de JCP à Louis Wilkinson, 5 février 1945.
(Letters to Louis Wilkinson 1935-1956, Villlage Press)
Powys a souvent parlé de Simenon dans sa correspondance. Là, c’était la toute première fois.
Extrait du livre de Maurizio Testa : Maigret e il caso Simenon
Les treize Maigret de Simenon
Devant sa maison d’Épalinges, l’artiste entouré par treize autres, qui ont incarné, chacun avec talent, sa créature. De gauche à droite, en effigies de carton grandeur nature : Albert Préjean, Gino Cervi, Michel Simon, Abel Tarride, Jean Gabin, Rupert Davies, Charles Laughton, Boris Ténine, Pierre Renoir, Harry Baur, Jean Richard, Heinz Ruhmann, Jan Teuling.
Moralité :
L’envie est un vilain défaut.
C’est même un des sept péchés capitaux.
On espère seulement que MM. Leboutte et Roegiers ne sont pas en train de lancer une mode.
Coluche, reviens ! La réalité dépasse ta fiction.
Tout Simenon, bien sûr, dont
Georges Simenon
PEDIGREE
Presses de la Cité, 1948
Édition originale
Liste des rééditions :
http ://www.association-jacques-riviere-alain-fourni...
Georges Simenon
Pedigree – Romans durs
Place des Éditeurs – 2012
489 pages
Mais aussi
Pierre Assouline
SIMENON
Julliard, 1992
756 pages
Federico Fellini & Georges Simenon
Carissimo Simenon – Mon cher Fellini
Cahiers du Cinéma, 2003
96 pages
André Blavier
Le mal du pays ou les travaux forc(en)és
Yellow Now, 1986
136 pages
Hugo Claus
Le chagrin des Belges
Julliard, 1985
606 pages
Actualité
Maurizio DE GIOVANNI
L’automne du commissaire Ricciardi
Payot – Rivages Noir, Septembre 2015
416 pages
49
[Naples] Dimanche 1er novembre [1931]
Le dimanche sous la pluie est une chose particulière.
Il te met dans une situation que tu n’attendais pas, que tu n’avais pas souhaitée. Il t’empêche, dans la rue, de plonger dans la foule, de te rassasier de lumières et de couleurs, de te faire bousculer dans les jardins publics, par des nourrices, ou dans les cafés de la Galleria, par de jeunes couples. Il t’empêche d’aller respirer le parfum de la mer et d’entendre les cris des pêcheurs te proposant leur pêche de nuit.
Le dimanche sous la pluie ferme les portes. Il pénètre par les interstices des volets, inonde les murs et le sol, il remonte jusqu’à ton âme, et serre ton cœur dans son poing. Le dimanche sous la pluie est habile à jouer avec l’espérance et la solitude.
Le dimanche sous la pluie te fait désirer autre chose que ce que tu as. Il attire ton regard sur les fenêtres ruisselantes, déformant tout ce que tu vois au travers. Il ne te laisse même pas voir les images de l’extérieur, durant les heures que tu ne peux consacrer à la promenade et aux rencontres.
Si tu es un vieux médecin portant en lui tant de blessures de guerre, le dimanche sous la pluie te trouvera déjà réveillé à l’aube. Tu te lèveras en traînant les pieds dans une maison trop grande pour toi, la chemise de nuit flottant autour de toi, les bas en tire-bouchon. Tu fumeras beaucoup en regardant sans honte mais avec crainte ta solitude et le futur sombre que tu n’auras peut-être pas. Tu penseras aux brouillards lointains et aux pluies de ton adolescence, pleins de jeux et dépourvus de frustrations ; et tu décideras peut-être de t’habiller et de te rendre à l’hôpital, même si tu n’es pas de garde. Parce que les malades et leur souffrance sont tout ce qui te reste.
Le dimanche sous la pluie a ses armes.
Si tu es une jeune fille amoureuse, tu ne verras pas le moment où il pourrait se passer quelque chose ; au contraire, le dimanche sous la pluie suspendra le temps dans une immobilité qui te semblera infinie. Tu liras et reliras une lettre, tu la compareras avec ce que tu espérais et la lumière glacée des fenêtres striées par la pluie te fera craindre le pire. Tu prépareras le déjeûner avec des gestes distants et ta famille ressentira, sans la comprendre, ton agitation, et te regardera inquiète et agacée. Tu ne t’en apercevras pas, tandis que tu t’approcheras sans cesse de la fenêtre, comme le fait un poisson avec les parois de son aquarium, en pensant à un monde dans lequel tu craindrais de ne pas pouvoir respirer.
Le dimanche sous la pluie est rempli de peurs.
Si tu es un homme qui aurait voulu être une femme, tu passeras peut-être la journée à te vernir les ongles et à t’épiler. Tu enrageras de ne pas pouvoir sortir avec une robe à fleurs, pour hurler au monde que tu es belle et forte, en dépit de la nature qui n’a pas voulu t’écouter. Il te reviendra peut-être en mémoire l’enfant que tu étais, dans la rue, rejeté et moqué, maltraité par ceux-là même qui aujourd’hui viennent te chercher, faméliques. Quelqu’un viendra peut-être te trouver en cachette, trempé et essoufflé, et regardera autour de lui dans la crainte d’être vu et reconnu ; mais cela t’est bien égal, parce que même cela c’est de l’amour, et que s’il te prend quelques instants, tôt ou tard il te les rendra.
Le dimanche sous la pluie fait de bien étranges cadeaux.
Si tu es une jolie femme qui vient de t’installer en ces lieux, ta nouvelle vie t’apparaîtra étrange à travers la pluie. Tu penseras que, malgré sa réputation de pays du soleil, il y pleut beaucoup. Mais que la pluie n’y est pas comme ailleurs et que les ondées alternent avec les rayons de soleil pleins de chansons. Tu décideras de sortir tout de même, et tu te promèneras en voiture dans les rues désertes. Tu admireras les immeubles muets du front de mer, l’écume des vagues bondissant jusque sur la chaussée, l’air chargé d’électricité. Tu penseras au seul homme que tu as envie de voir, quand au café une centaine de mains se proposeront pour allumer ta cigarette, faisant pâlir de jalousie les autres femmes ; mais tu as besoin de cet homme-là, pas des autres, et ton esprit cultive une seule espérance à la fois.
Le dimanche sous la pluie limite les possibilités.
Si tu es un brigadier un jour de fête, tu feras pour une fois la grasse matinée, tandis que la pluie frappe aux volets. Tu feras l’amour de bon matin, calmement, en te perdant dans les cheveux blonds, les yeux bleus et la peau douce de la femme que tu as aimée, que tu aimes encore et que tu aimeras toujours, tant que tu verras clair. Et puis tu accueilleras cinq lutins dans ton lit, tandis qu’elle préparera le petit déjeûner, et tu raconteras à ces yeux écarquillés les fabuleuses aventures de l’héroïque policier qui arrête les bandits. Et tu penseras peut-être à celui qui n’est plus là et tu lui adresseras une larme et un sourire, en lui rappelant que dans ton cœur de père, il y a une grande, belle et lumineuse place pour lui, et qu’il en sera toujours ainsi.
Le dimanche de pluie a ses invités.
Si tu es une vieille nourrice rhumatisante, tu regarderas ton signorino s’habiller pour sortir, même si aujourd’hui c’est dimanche, même si aujourd’hui c’est la fête de tous les saints, même si aujourd’hui il pleut à verse. Tu protesteras, tu te lamenteras mais il ne t’écoutera pas. Il ne t’écoute jamais. Tu observeras ses yeux brillants de fièvre, tu surveilleras sa toux. Ta maladresse te pèsera autant que la crainte de le voir souffrir. Tu nourriras un fol espoir pour l’avoir vu écrire en cachette et garder une feuille froissée dans une poche de sa veste. Sur son cœur, précisément.
Le dimanche sous la pluie glisse tout de même quelques espoirs au fond des pires solitudes.
[…]
ce quatriÈme volume clÔt le cycle des « saisons » du commissaire ricciardi.
Il faudra qu’on vous parle un jour du polar italien, territoire somptueux, le plus souvent très contemporain
Dernière minute
Notre post devait s’arrêter là. Et puis nous est arrivé d’Italie en passant par la Suisse – merci à Silvia Cattori ! – la
Réflexion d’un
Prix Nobel de littérature
Pas d’un qui l’a reçu pour avoir dénigré Poutine ; d’un à qui on l’a donné pour se redorer le blason.
Dario Fo :
Nos intellectuels ineptes, tristes et asservis à la pensée unique
J’ai bien connu Dario Fo à Rome. C’était en 1974. Des affichettes placardées sur la Piazza Navona annonçaient son spectacle le soir même. Fo était un artiste déjà fort célèbre ; sa critique politique et sa défense des militants accusés de terrorisme, dérangeaient le système. Après un long et tortueux périple, où j’ai cru ne jamais arriver, j’ai fini par trouver le quartier pauvre de la banlieue romaine où Dario Fo se produisait. La salle, était bondée, en délire. Son spectacle comique, enthousiasmant, tenait de la Commedia dell’Arte et du meeting politique. Il y avait un climat de radicalisation gauche droite de quasi guerre civile en Italie. C’était les sombres « années de plomb ». Les années Gladio pour ceux qui connaissent l’histoire. A la sortie de ce spectacle si revigorant, le cercle qui entourait Fo m’a approchée. Stupéfait d’apprendre que je venais de Suisse pour atterrir en ce lieu perdu, Fo m’invita à me joindre aux acteurs de sa troupe et amis. Assise à l’arrière du véhicule je découvris que les amis qui accompagnaient Dario Fo assuraient sa protection armés de bâtons. Son épouse, l’actrice Franca Rame avait été séquestrée et violentée pour son engagement politique quelques mois plus tôt par un groupe néo-fasciste. Le souvenir de cette nuit romaine d’un Dario Fo accueillant, généreux, exubérant, préparant lui-même le diner en riant, est resté gravé dans ma mémoire. [Silvia Cattori]
Dario Fo et Franca Rame en d’autres temps
Remettons les choses à plat : la loi [pour limiter] les écoutes téléphoniques, la réforme du Sénat, les interventions sur la RAI, l’article 18 [du statut du Travailleur] annulé par le Jobs Act* (que c’est moche cette expression, Jobs Act), autant de choses qui, si elles étaient arrivées il y a quinze ans sous le règne du Seigneur d’Arcore (Silvio Berlusconi, NdT) auraient – et ont effectivement – rempli les rues de manifestants, et les pages des journaux. Mais alors, que s’est-il passé, que nous est-il arrivé, pour que s’abatte un silence aussi effrayant ? Pour que se produisent cet assoupissement paradoxal, cette anesthésie générale. Vous rappelez-vous cette vieille fable, « Le joueur de flûte » ? Un joueur de flûte enchante les rats de la ville et les conduit au fleuve où ils se noient, libérant ainsi la cité. Mais comme les gens de la ville … ne tiennent pas parole et ne le paient pas, lui se venge et avec sa flûte il enchante cette fois les enfants de la cité et les emmène avec lui. Voilà, la même chose s’est produite avec les journalistes qui devraient être les premiers à avoir conscience de l’importance de l’information : à force de jouer de la flûte, ils ont endormi trop de gens ! Mais ce n’est pas seulement le problème de la presse écrite. Nous avons aujourd’hui une classe d’intellectuels qui a en grande partie oublié d’utiliser le tambour, un instrument formidable pour réveiller les enfants ahuris. La plupart se taisent, ils n’ont plus de dignité et donc ne s’indignent plus. C’est cela qui est terrible et incroyable : le manque d’indignation. Cela dépasse de loin la trahison du clergé ! Tous pensent la même chose : mais pourquoi donc devrais-je m’exposer ? Peut-être qu’un jour j’aurai besoin de quelque chose, d’une faveur, d’un coup de main de celui que je suis en train de critiquer.
Tout se joue sur la peur du chantage, sur la possibilité d’en tirer un avantage pour soi. Ceux qui font l’information et l’opinion ont compris cela : il faut rester dans le jeu. Si tu te mets à critiquer, ou même à faire des remarques ou des réflexions gênantes, tu es purement et simplement éliminé. Désormais le pli est pris : on aligne sur le tableau le nom de ceux qui se sont « mal comportés ». Celui dont la tête dépasse des rangs est jeté dehors. Et par « dehors » j’entends, mis totalement hors-jeu.
Les conséquences de cette pensée, non pas « unique » mais asservie, conformiste, et opportuniste sont terribles : les anticorps disparaissent peu à peu. Cela crée potentiellement une société d’ineptes, de lèches-culs. Il suffit de regarder les parlementaires qui expliquent leur volte-face par la vieille excuse « J’ai une famille moi », un refrain si souvent entendu au temps du Fascisme. Je vois clairement aujourd’hui un encerclement de la liberté d’expression, et les personnes qui ont le courage de s’exprimer sont marginalisées. Depuis toujours le pouvoir veut faire taire les voix dissidentes : mais dans un système sain, d’habitude il trouve une limite en ceux qui s’opposent à lui. Les intellectuels, un temps, guidaient l’opinion publique. Mais aujourd’hui, qui ose relever la tête ?
Dario Fo, Prix Nobel de littérature
26 sept. 2015 (version imprimée)
Traduction : Christophe/Fatto Quotidiano
Notes de traduction :
(*) Jobs Act : Loi italienne mise en place par le gouvernement de Matteo Renzi réformant en profondeur le marché du travail.
Sources :
http://arretsurinfo.ch/dario-fo-nos-intellectuels-ineptes...
Hiver
Il neige à Moscou depuis le 7 octobre.
Mis en ligne le 18 octobre 2015.
18:51 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Musique, Web | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
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