25/10/2017

LA PARTIE D'ÉCHECS LA PLUS IMPORTANTE DE TOUS LES TEMPS -

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« LA PARTIE D’ÉCHECS LA PLUS IMPORTANTE DE TOUS LES TEMPS »

 

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Théroigne – L.G.O. 25 octobre 2017

 

Dans leur dernier chef d’œuvre en date, consacré à l’écrivain italien Curzio Malaparte (Morte come me, on vous en parle en fin de post), Rita Monaldi et Francesco Sorti évoquent la partie d’échecs qui a opposé pendant plusieurs jours de 1908, dans l’île de Capri, Vladimir Ilitch Lénine et Aleksandr Aleksandrovitch Bogdanov, sous l’œil attentif de Maxime Gorki.

Il nous a semblé que vous offrir cette page était une façon comme une autre de célébrer, avec nos très modestes moyens, ce que Malaparte – précisément – a qualifié de « fait de nature », semblable à l’« éruption d’un volcan ».

Dans ce livre du célèbre duo, une jeune poétesse anglaise a été trouvée morte au pied d’une falaise, après une brève rencontre avec Malaparte et un duel qui a opposé l’écrivain au Sturmbannführer SS Helmut Aichinger à propos de la jeune femme. Meurtre ? Suicide ? Accident ? On ne le sait toujours pas aujourd’hui. C’était en 1935. En 1939, certains ont accusé Malaparte de l’avoir tuée. La trame anecdotique de ce roman extraordinaire, fondé sur des événements historiques réels, raconte les efforts du « suspect », poursuivi par l’OVRA (police secrète de Mussolini) qui veut l’embastiller discrètement, dans le but de découvrir la vérité et se sauver ainsi d’une arrestation qu’il redoute définitive. Dans le chapitre ci-dessous, il va interroger Axel Munthe, médecin et romancier suédois, qui vit en solitaire à Capri, réputé aveugle, mais Malaparte sait que, derrière ses lunettes noires, le vieil homme y voit très bien. Malaparte a trouvé, dan sa « Maison comme moi » en construction - celle-là même où Jean-Luc Godard a tourné Le Mépris – un mystérieux échiquier sur lequel sont gravés les mots « Qui est comme Dieu » et « PAM ». Le Febo (Phoebus en français), dont il est ici question, est le célèbre chien de l’écrivain toscan.]


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« Casa come me » - Cap Massullo, Capri,

léguée à la République Populaire de Chine mais captée par les héritiers de l’écrivain, à la suite d’un procès qui ne grandit ni la famille Suckert-Perelli ni les tribunaux italiens.

 

[…]

10. Axel Munthe.jpgMais, dites-moi, Malaparte, que puis-je faire pour vous ?

– Il y a quelques années, ici, à Anacapri, est morte une jeune fille anglaise, Pam Reynolds. Il semble qu’elle se soit suicidée en se jetant dans un précipice.

– Je m’en souviens. Ce fut une bien triste chose. On dit qu’elle s’est jetée de la falaise d’Orrico.

– Je voudrais vous confier quelque chose de très délicat, docteur Munthe. Mais j’aimerais avoir votre parole que vous n’en soufflerez mot à personne.

– Vous avez ma parole, Malaparte. N’oubliez pas que je suis un médecin. J’ai l’habitude du secret.

– Eh bien, quelqu’un essaie de monter un coup contre moi. On dit que j’ai quelque chose à voir dans la mort de Pam. Que peut-être même c’est moi qui l’ai tuée.

– Vous n’êtes pas sérieux ? Mais c’est horrible ! Comment puis-je vous aider ?

Je pris, sur une petite table octogonale, un des livres poussiéreux qui s’y trouvaient. C’était la traduction anglaise des mémoires de Munthe, intitulé Le livre de San Michele, parce qu’elles racontaient l’histoire de la construction de la villa San Michele.

– La villa San Michele… Que voulez-vous savoir ? C’est un morceau de ma vie. Je l’ai construite de mes propres mains, mais je n’y habite plus. Même les domestiques, maintenant, je les fais dormir ici. J’y vais de temps en temps.

Je lui montrai l’échiquier avec ses graffiti, que, jusqu’à présent, j’avais laissé emballé dans du papier. Je lui expliquai l’équivalence « Qui est comme Dieu = saint Michel ».

– Je ne comprends pas qui a voulu m’envoyer cet étrange message, dis-je pour conclure. Vous, qu’est-ce que vous en dites ? Peut-être la mort de Pam Reynolds a-t-elle quelque chose à voir avec la villa San Michele ?

Munthe se tut quelques instants. Je l’entendis frémir un peu, comme pour réprimer un éternuement. Puis, je me rendis compte qu’il riait. Nous étions tous les deux assis dans l’obscurité en train de parler d’un homicide dont j’étais accusé, et Munthe riait poliment, gentiment, comme seul peut le faire un cher, vieux médecin suédois.

– Mon pauvre Malaparte, mais vous ne comprenez pas ! L’allusion contenue dans cet échiquier est des plus claires et n’a rien à voir avec la villa San Michele.

– Et qu’est-ce qu’elle signifie, alors ?

– Vous savez ce qu’est la Construction de Dieu ?

 

Le bonhomme Lénine

Sans attendre ma réponse, il me conduisit dehors.

– C’est l’heure où les oiseaux chantent. Mes oiseaux, dit Munthe, d’une voix extatique, de prophète.

Nous sortîmes de la tour, dans la propriété de Munthe. La clarté du jour me blessa les yeux. Munthe, en revanche, passa de l’obscurité à la lumière comme si de rien n’était ; il était entraîné à rester des après-midi entiers dans l’obscurité, à recevoir ses visiteurs dans l’ombre, à percevoir courants et vibrations comme une chauve-souris, puis à sortir tout à coup avec ses chiens et ses oiseaux. Le parfum de la mer et de la résine des pins m’ôta des narines l’odeur douce et grasse du médecin suédois et de son faux musée. Nous fîmes quatre pas dans les pins et les arbustes, Munthe s’appuyant sur son bâton. Febo nous suivait en remuant la queue.

– Malaparte, vous êtes jeune. Vous ne connaissez pas Capri comme le petit vieux que vous avez devant vous. Ceux de mon âge ont vécu une période entre 1908 et 1910, quand vous étiez encore un enfant, où l’Europe était pleine de Russes. C’étaient des errants clandestins, qui avaient pris le maquis depuis des années, qui s’étaient enfuis de la mère patrie parce que la révolution de 1905, par laquelle ils avaient tenté de renverser le tsar, avait échoué. Ils cherchaient à tirer, depuis l’étranger, les fils d’une nouvelle révolution qui n’allait se réaliser que dix ou douze ans plus tard. Un de leurs chefs spirituels, pour ainsi dire, était le grand écrivain Maxime Gorki. Et Gorki, comme vous devez le savoir, vivait ici, à Capri.

Naples et l’Italie, à cette époque, grouillaient d’exilés russes, dit Munthe, et aussi de socialistes italiens, de nature plus ou moins subversive. La police italienne les contrôlait tous, mais ne pouvait avoir la main trop lourde, parce que les socialistes étaient fortement représentés au Parlement et dans la presse. Quand Gorki était arrivé à Capri, en novembre 1906, on avait vu, sur le mole, des centaines de Napolitains et de Caprais venus l’applaudir.

– J’ai rencontré Gorki. À Moscou, il y a sept ans, dis-je.

– Alors, il vous aura peut-être parlé de l’École de Capri, ou peut-être pas. Ce sont là des choses, cher Malaparte, que, dans le fond, tout le monde connaît, mais dont personne aujourd’hui ne bavarde volontiers. Et un jour viendra où on ne s’en souviendra plus. Ce n’est pas sans raison que Staline a fait tuer Gorki, comme tant d’autres.

À Capri, poursuivit Munthe, Gorki et d’autres exilés avaient fondé une véritable école révolutionnaire. Ils voulaient former les cadres dirigeants du parti qui organiseraient la révolution, celle qui devait être définitive, qui a fini par éclater en 1917. L’île devait servir de base stratégique, de centre de sélection du personnel politique et d’école de formation idéologique. Elle s’appelait, justement, École de Capri.

– Et excusez-moi, cher Malaparte, si je vous raconte encore des choses que vous savez peut-être déjà, mais un souvenir en amène un autre. Qu’est-ce qui reste à un pauvre aveugle comme moi ? Des souvenirs, rien d’autre que des souvenirs.

L’École de Capri n’était pas qu’un point de ralliement organisationnel. Gorki voulait créer une nouvelle culture, un nouveau savoir ouvrier et prolétaire, une idée du monde, de l’art, de la littérature, de la musique faite sur mesure pour les ouvriers, les paysans, les pauvres et les exploités. Il ne s’agissait pas seulement de les faire se rebeller, de les faire s’emparer des richesses des bourgeois et des aristocrates, il fallait créer une nouvelle idée du monde, de sorte que les révolutionnaires se voient, eux et les autres hommes et tout l’univers, de façon très différente et inédite.

– Cette opération s’appelait en russe bogostroitel’stvo, « Construction de Dieu ». Une idée perverse, mais très russe. Les hommes modernes, les constructeurs du futur, étaient destinés à avoir une religion de l’avant-garde, mais une religion terrestre, une religion athée qui ne se réalisât pas par la connaissance de Dieu mais par la formation de la société communiste. Vous comprenez ce que je dis quand je parle de religion athée, mon bon ami ?

– Oui, je le comprends, dis-je.

Je le comprenais parce que, à Moscou, j’avais connu des communistes comme Demyian Bedny, l’Ennemi de Dieu, le chef de la Ligue des besbojniki, les Sansdieu, qui écrivait des évangiles blasphématoires pour complaire à Staline.

– Gorki était le premier inspirateur de cette théorie, poursuivit Munthe, mais il y en avait d’autres avec lui. Le plus important était Alekzandr Bogdanov.

– Bogdanov était un grand cerveau. Scélérat peut-être, mais grand, dis-je.

– Oui, c’était un grand cerveau, répéta Munthe, le cerveau théorique de l’École de Capri. C’était un ennemi de la religion évidemment, parce qu’il restait toujours un communiste, donc un athée, un mécréant. Mais il voulait introduire la Construction de Dieu, l’Antireligion. C’était le moment exact pour le faire. Les Russes étaient affamés de révélations extraordinaires, le pouvoir les y avait habitués. En 1914, pour annoncer au peuple naïf qu’il allait y avoir la guerre, les militaires russes envoyaient tous azimuts des soldats habillés en archanges, avec des ailes en plumes et en carton attachées aux épaules, sur des chevaux blancs, attifés eux aussi de fausses ailes. Les Russes sont ainsi, à mi-chemin entre la morbidité, l’exaltation et le calcul politique.

Gorki était galvanisé par les idées de Bogdanov, dit Munthe. Il l’appela à Capri pour fonder l’École et lancer le nouveau marxisme, antiautoritaire, humanitaire, nourri par la littérature, par la philosophie et par la science. C’étaient des idées confuses mais proches de celles de la fameuse Fabian Society* anglaise, qui avait prospéré justement à cette époque. Petit à petit arrivèrent de Russie des douzaines de peintres, d’écrivains, de musiciens, de sculpteurs, d’hommes de sciences, mais aussi de simples ouvriers. Sur l’île, ils étaient accueillis, logés, nourris, soignés. Ils disposaient même d’une cantine et d’une infirmerie à eux.

– Ils se réunissaient chez Gorki, à la villa Behring, mais aussi à l’extérieur, au grand air, sur les plages, dans les grottes. Ils étaient souriants, détendus, enchantés par la beauté de l’île, de la mer, de Capri. Ils avaient presque l’air d’un groupe de joyeux touristes. Ils montaient des comédies dans les grottes de Capri, sur les plages, ils chantaient des chansons, composaient des bouts rimés et des charades en russe, en italien et même en anglais. Mais, bien à l’abri de leurs chambres, ils préparaient le bain de sang de la révolution, les attentats, les pillages, les vols à main armée, les mutineries, les massacres. Je sais que vous, Malaparte, avez écrit des livres sur Lénine et sur la révolution russe.

– J’en ai écrit trois, et plusieurs articles de Russie. Je connais aussi assez bien le russe.

– Donc, vous savez parfaitement que Gorki et Bogdanov faisaient partie des bolcheviques, majoritaires dans le parti, où montait depuis peu l’astre de Lénine. Mais, entre eux, il y avait une inimitié puissante. Et cette inimitié était aussi causée par l’École de Capri. Lénine s’inquiétait du projet de Bogdanov. Sa ligne politique avait un bien autre but que la Construction de Dieu. Pour lui, c’était une sottise bourgeoise, une déviation du projet révolutionnaire.

Munthe s’interrompit, regarda vers le haut et commença à siffloter, d’une façon inimitable qui lui était propre, à mi-chemin entre un ocarina, une flûte et une pendule à coucou. J’allais presque me mettre à rire quand, des arbres, s’éleva un chœur qui lui répondait. Les oiseaux répondaient à Munthe et non par deux ou trois, mais par douzaines. Lui les appelait, eux répondaient. L’incroyable dialogue se poursuivit pendant quelques minutes, puis Munthe me demanda : « J’adore parler avec les oiseaux. Vous ne parlez jamais avec les animaux, Malaparte ? »

– Parfois, oui. Je parle avec Febo.

Febo remua la queue, me regardant tout fier, il montra qu’il avait compris.

– Ah, bien, dit Munthe, un peu vexé de ne pas être le seul homme de Capri à communiquer avec les bêtes, et il poursuivit son récit.

Bogdanov était plein d’imagination et ardent, un feu de joie purificateur. Lénine, en revanche, était froid et coupant comme le nom de son journal clandestin, Iskra, « L’Étincelle ». Lénine méprisait Bogdanov. Il le prenait pour un utopiste et un hérétique. Il lui rappelait les socialistes anglais de la Fabian Society, qui disaient vouloir secourir les pauvres par esprit humanitaire et qui, pour Lénine, étaient des opportunistes, des espions de la bourgeoisie. Bogdanov, pour sa part, jugeait Lénine froid et incapable de soulever les foules, de les entraîner dans la lutte, de faire véritablement la révolution.

Puis, il y avait le problème de l’argent. Pour financer la révolution, Lénine manœuvrait des gangsters, des proxénètes, des trafiquants d’armes, des assassins, dont Staline lui-même, et l’argent affluait en abondance, au point que Lénine se permettait des voitures, des appartements de luxe à Paris, des hôtels et des vacances. Il pouvait se payer ses maîtresses et se rattraper ainsi de sa femme, très fidèles au parti mais froide et pédante.

– Tout de même, le groupe concurrent, de Bogdanov, dit Munthe, réussissait à accumuler lui aussi un beau paquet d’argent. Gorki, ici, à Capri, recevait de riches mécènes, des artistes, des armateurs. Des sommes énormes passaient par ses mains.

On ne pouvait pas continuer ainsi. Il fallait résoudre la fracture et se mettre d’accord sur l’avenir de la révolution, y compris sur la question essentielle des fonds, de la caisse commune. Gorki invita Lénine à Capri, où l’avait rejoint depuis un moment déjà Bogdanov, qui s’était installé à la villa Monacone, une des plus belles et panoramiques de l’île. Lénine tout d’abord hésita, puis accepta. L’objectif de Gorki était de réconcilier les deux âmes du parti, la léniniste et la bogdanoviste, en vue de la révolution. Mais comment s’y prendre ? Lénine était privé de sens de l’humour, rigide, pointilleux et méfiant. Bogdanov était un animal à sang chaud, impulsif, ardent. Dans une discussion face à face, on risquait l’irréparable. Gorki, alors, eut une idée : ne les faisons pas se parler mais jouer.

Lénine aimait les échecs Il se considérait comme un excellent joueur. Il avait appris les échecs en famille et continuait d’y jouer parce que cela le détendait. Dans la maison de Bogdanov, la villa Monacone, il y avait un échiquier (et quelle maison de villégiature n’en a pas ?), un bel échiquier de bois avec toutes les pièces prêtes pour la bataille. À vrai dire, il n’existe pas de sport plus agressif que les échecs. Bogdanov et Lénine pourraient se déchaîner à leur guise sans pour autant se déclarer ennemis et faire capoter la médiation de Gorki.

 

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Sur la terrasse de la villa Blaesus, de gauche à droite : Aleksandr Bogdanov, Maxime Gorki et Vladimir Lénine

 

La partie se tint en présence d’un grand nombre de révolutionnaires russes, élèves de l’École de Capri. Qui, pendant des jours, assistèrent à l’interminable rencontre entre les deux âmes du parti, sur la terrasse de la villa. De nombreuses photos en furent prises, pour célébrer l’importance de l’événement.

 

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Bogdanov (à droite) jouant avec Lénine (à gauche) sous le regard de Gorki (chapeau de travers) et de Lounatcharski (assis à côté de Lénine).

 

– Et comment a-t-elle fini, demandai-je ?

– Lénine a gagné.

– Et la médiation de Gorki

– Il n’avait pas été explicitement prévu que la partie d’échecs déciderait aussi de la partie politique, mais, de fait, il en fut ainsi. Dans le mouvement marxiste, c’est la ligne de Lénine qui prévalut, et Gorki s’aligna. L’École de Capri, lentement, se dépeupla. En 1913, Bogdanov retourna en Russie, profitant de l’amnistie accordée par le tsar. En 1917 éclata la révolution, et le tsar fut renversé. Mais Bogdanov n’adhéra pas à la révolte, parce qu’il était opposé aux crimes commis par les léninistes. Après la chute du régime tsariste, il fut mis à l’écart pour un certain temps et finit même en prison. En 1924, Lénine mourut et le pouvoir passa à Staline. Gorki se vendit au régime, dont il justifia tous les crimes. Pour toute récompense, Staline le fit tuer avec une bactérie fournie par les services secrets. Et nous en arrivons ainsi à trois ans d’ici à peine : 1936.

– Comment pouvez-vous dire que c’est Staline qui a tué Gorki ?

– Gorki est mort d’une étrange pneumonie et, étrangement, son fils aussi, que Staline détestait, est mort de pneumonie. Deux semaines auparavant, tous les domestiques de Gorki, jeunes et sains, avaient été frappés de pneumonie. Curieux, vous ne trouvez pas ? Je suis médecin, et je me méfie des situations aussi anormales. En outre, Lénine est venu à Capri deux fois, la première, en 1909, la seconde en 1910. La seconde fois, il y est venu avec Staline, qui était incognito, sûrement pour prendre quelque accord secret avec Gorki aux dépens de Bogdanov.

 

13. Staline en 1910 - Dossier criminel après arrestation à Bakou, Azerbaïdjan.jpg

Staline en 1910… prisonnier – Dossier criminel établi lors de son arrestation à Bakou, Azerbaïdjan.

 

– Alors, c’est vrai ce qu’ont écrit les journaux, même Staline est venu ici ?

– Bien sûr. Il savait que, pour mettre fin à l’École de Capri, il fallait venir sur les lieux, parler avec Gorki.

Mais Gorki, vieux, était désormais inutile. C’était devenu un romancier frustré et fatigué, célébré par le régime mais sans liberté et, tous comptes faits, malheureux. Il avait fini par approuver publiquement la haine de classe, la répression, les massacres.

– Il avait été le spectateur incommode de trop de choses. Un héros mort leur convenait mieux qu’un témoin vivant. Et ils l’ont fait éliminer, dit Munthe.

– Il y a sept ans, à Moscou, outre Gorki, j’ai rencontré un grand nombre de gros bonnets, Lounatcharski, Maïakovski…, j’ai côtoyé des agitateurs et des bureaucrates, je suis allé au théâtre avec Karakhan, avec Florenski, avec Kalinine… Mais personne ne m’a jamais rien dit de cette histoire de partie d’échecs.

– Évidemment. Elle ne devait pas arriver à trop d’oreilles. Vous doutez de ma parole, Malaparte, Allez, allez le demander aux Caprais. Et vous verrez qu’ils vous confirmeront tout.

– Donc, l’inscription « Qui est comme Dieu » se rapporte aux discussions qui ont eu lieu à Capri entre Lénine et Bogdanov : la révolution froide et impitoyable de Lénine contre celle, humanisée, chaude, de la Construction de Dieu de Bogdanov et de Lounatcharski ? C’est ainsi, docteur Munthe ?

– Cette phrase, à mon avis, n’est qu’une simple remarque écrite par quelque bon à rien. Ou peut-être, qui sait, par Gorki lui-même. Mais elle a été écrite sur l’échiquier du grand défi Lénine-Bogdanov. Votre échiquier, cher Malaparte.

– Un moment. Vous, comment expliquez-vous la présence du nom de Pam Reynolds sur l’échiquier ?

– Malaparte, vous me décevez. Vous savez le russe et vous vous noyez dans un verre d’eau ! Ce mot PAM confirme précisément ma conjecture. N’oubliez pas que ces révolutionnaires étaient russes, qu’ils parlaient russe et qu’ils écrivaient en russe, c’est-à-dire en alphabet cyrillique. Donc, PAM ne signifie pas Pamela. Parce que, en cyrillique, le r majuscule s’écrit P.

Je sursautai. Je retirai l’échiquier de son enveloppe de papier.

– Votre homme mystérieux, cher Malaparte, n’a pas écrit pam, mais ram. Mot anglais, certes, mais qui équivaut à l’italien capro. Au pluriel Capri. Par conséquent notre mystérieux scribe a tout simplement écrit Capri en anglais, mais en caractères russes. Cela confirme bien que celui qui écrivait était un Russe, pas un Italien ou un Anglais. Il s’agit d’une plaisanterie, d’un jeu de mots. Je ne vous l’ai pas dit que ceux de l’École de Capri s’amusaient à faire des chansons et des charades dans toutes les langues ? C’était un groupe bariolé et plutôt gai qui n’avait pas eu trop de mal à remplacer la vodka par le vin de Capri. Demandez confirmation à qui vous voulez : beaucoup, ici, s’en souviennent. Au milieu des jeux de mots, et entre deux verres, il sera venu à l’esprit de l’un ou l’autre d’entre eux ce stupide petit jeu de mots RAM/Capri. Et il l’a gravé sur l’échiquier. Voilà tout.

Munthe dut lire la déception sur mon visage, parce qu’il se dépêcha d’ajouter : « Je vais vous confier un secret que je dois à ma longue expérience de médecin : ne posez jamais de diagnostic compliqué si ce n’est pas absolument nécessaire ».

– Et alors, qui m’a mis cet échiquier dans la maison ? dis-je.

– Peut-être un de vos ouvriers qui ne s’attendait pas à vous voir débarquer de Rome, qui croit que vous aurez envie de l’acheter comme objet d’antiquité et qui l’a déposé là en attendant. Peut-être même que, dans les jours qui viennent, il va vous le proposer. Ou peut-être l’échiquier a-t-il été volé par quelque ouvrier à la villa Monacone où habitait Bogdanov, et pour un moment cachée dans un lieu très isolé comme l’est la pointe Massullo. Il peut y avoir diverses explications toutes valides. Vous, Malaparte, vous êtes un écrivain, et vous êtes habitué à vous servir de votre imagination. Mais, d’après ce que vous m’avez dit, vous êtes aussi dans un sérieux pétrin. Ne perdez pas de temps avec cette histoire d’échiquier, croyez-moi. Et si vous avez encore besoin de moi, je suis à votre disposition.

Je retournai l’échiquier entre mes doigts.

­– Et puis, consolez-vous, dit Munthe. Vous avez en mains un objet qui a fait l’histoire. Vous vous rendez compte ? L’échiquier de la fameuse partie entre Lénine et Bogdanov… Si Bogdanov l’avait gagnée, il n’y aurait peut-être pas eu de révolution russe … aujourd’hui, le tsar serait encore là et toute l’histoire du monde aurait été différente. Moi, à votre place, je ne montrerais cet échiquier qu’à des amis très sûrs, qui soient capables d’en comprendre l’énorme valeur historique. Mais maintenant, excusez-moi, il faut que j’aille donner à manger à mes chiens, ils doivent avoir une faim du diable. Vous reviendrez me voir, promis ?

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* On se rappellera peut-être que c’est après avoir assisté, sur l’invitation de Bernard Shaw, à une séance de cette Fabian Society, qu’Oscar Wilde a écrit son texte trop peu connu : L’âme de l’homme sous le socialisme.

 

Monaldi et Sorti, Malaparte : Morte come meMilan, Baldini & Castaldi 2016 - pp. 138-147.

Traduction : c.l. pour Les Grosses Orchades

 

Bien entendu, Malaparte se fait ici somptueusement mener en bateau par un Munthe qui saupoudre allègrement des détails et des faits historiques indiscutables de carabistouilles de son cru, tels que les béliers qui deviennent des boucs en passant de l’anglais à l’italien via le russe, alors que Capri, comme on le sait, ne vient même pas du bouc latin mais du sanglier grec.

Malaparte, pourtant un monstre de lucidité dans la vraie vie, sauf quand il se plantait en politique, avale l’hameçon et la ligne avec, car, s’il savait que Munthe était un faux aveugle, il ne savait pas – l’a-t-il jamais su ? - que le bon docteur a été, du début du siècle jusqu’à son retour définitif en Suède (1942) l’agent du MI6 dans ce repaire du fascisme, du nazisme et de la jet set internationale qu’était son île d’élection.

 

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Avant que Capri ne devienne une colonie grecque…

Ajax et Achille jouant aux échecs sous les murs de Troie – Amphore attique à figures noires attribuée à Exchias (v. 540-530 av. J.-C.) – Musée du Vatican

 

Quant à savoir ce qui serait arrivé si Bogdanov avait gagné la partie ? Ce qui est arrivé dans la réalité. Bogdanov était un esprit encyclopédique. Lénine aussi, mais assujetti à un but unique dont il ne dévia jamais, alors que Bogdanov n’a cessé de se démultiplier dans tous les sens. Quand a-t-on vu, dans un duel entre un éventail et un fer de lance, gagner l’éventail ?

Il n’en reste pas moins que Bogdanov (ce n’est là qu’un de ses trente pseudos) est un des pères de la culture soviétique et même de la révolution qu’il n’a pas faite (parce que Lénine, s’apercevant que les menchéviques se servaient de la philosophie de Bogdanov pour marginaliser les bolcheviques, l’a fait exclure du parti). En Italie, il avait aussi fondé et animé l’École de Bologne, où enseigna Trotski. Son apport culturel est immense. Ses livres théoriques d’économie, de politique et de science, ont été lus et discutés dans les soviets à l’égal du « Que faire ? » de Lénine. Il a traduit Le Capital en russe, mais il est aussi – entre autres choses - le plus important auteur de science fiction d’avant 1917 (cf. L’étoile rouge et L’ingénieur Menni). Philosophe d’inspiration nietzschéenne, il voulait intégrer la philosophie dans la science et eût préféré sans doute faire la révolution « par la culture », en évitant les affrontements à sang coulant. Il a aussi été médecin psychiatre et s’est enfin jeté à corps perdu dans les recherches sur la transfusion sanguine. En 1926, c’est sous sa direction que fut fondé le premier institut soviétique spécialisé dans la transfusion du sang (qui porte d’ailleurs son nom depuis sa mort). En mars 1928, Bogdanov fit l’expérience de se transfuser le sang d’un étudiant atteint de malaria et d’une forme bénigne de tuberculose. Quinze jours plus tard, au terme d’une longue agonie, qu’il observa et décrivit lui-même avec lucidité et le plus grand scrupule professionnel, il mourut.

Sur le plan des coïncidences, il est étrange de constater l’importance du sang dans l’œuvre de Malaparte, qui eut, sur ce fluide vital, des idées si arrêtées qu’au cours de son agonie à lui (en 1957, à Rome) il refusa farouchement toute transfusion, comme allant à l’encontre de la notion quasi magique qu’il en avait.

La fiche Wikipedia la plus complète et objective sur Aleksandr Bodganov est, de loin, celle en italien  : https://it.wikipedia.org/wiki/Aleksandr_Aleksandrovi%C4%8...

 

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Note des auteurs

(Extrait)

 

La partie d’échecs entre Lénine et Bogdanov s’est déroulée en 1908, à Capri, sur la terrasse de la villa Blaesus [Aujourd’hui villa Krupp, ben oui, ndt]. Beaucoup de gens seraient aujourd’hui intéressés à retrouver l’échiquier sur lequel se joua la partie d’échecs la plus importante de tous les temps. Malheureusement, on en a perdu la trace.

Sur la confrontation Bogdanov-Lénine, il y a la brillante analyse de Vittorio Strada, L’altra rivoluzione, Gorki, Lunacharski, Bogdanov [« L’autre révolution : Gorki, Lounatcharski, Bogdanov »], La Conchiglia, Capri, 1994. En 1909 ou 1910, suivant les témoignages, se situerait la visite de Staline à Capri en compagnie de Lénine. Elle a été excellemment traitée dans le bel essai de Gennaro Sangiuliano, Scacco allo tsar 1908-1910 : Lenin a Capri, genesi della rivoluzione [« Échec au tsar 1908-1910 : Lénine à Capri, genèse de la révolution »], Milan, Mondadori, 2012.

Le rôle d’organisateur du défi Lénine-Bogdanov et de fondateur de l’École de Capri n’a pas porté chance à Maxime Gorki : d’après certains historiens, l’écrivain fut tué par Staline en 1936, au moyen d’une arme bactériologique fournie par les services secrets de la Loubianka.

Ibid, p. 493

 

Reste à savoir quel intérêt Staline pouvait avoir à liquider Gorki en 1936, même s’il « ne lui servait plus à rien ». D’autres historiens éclaireront peut-être ce point d’histoire, grâce aux archives de la Loubianka par exemple, en même temps que celui de l’assassinat de Trotski sur un autre continent.

Quant à l’opposition Lénine-Bogdanov, la copie est si conforme à l’opposition Robespierre-Danton que c'est à se demander si les historiens-propagandistes ne trouvent pas leur imagination dans des pochettes-surprise.

Comme dit pertinemment le Pr Faurisson : « Vos preuves ! »

 

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En attendant, les habitants de Capri ont organisé, l’an dernier, leur deuxième tournoi international d’échecs « en souvenir de Lénine ».

 


 

Dont les vainqueurs ont été :

         Dans la catégorie OPEN A :

1er prix : le GM serbe Miroljub Lazic

2e prix : l’IM philippin Virgilio Vuelban

3e prix : la VG italo-russe Olga Zimina

4e prix ex-aequo : le FM italien Maurizio Caposciutti et l’IM serbe Gojko Laketic

         Dans la catégorie OPEN B :

1er prix : le petit Claudio Paduano, de Boscotrecase, âgé de 10 ans, qui est déjà vice-champion européen.

 

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Ils avaient inauguré leur nouvelle vocation de capitale mondiale des échecs en octobre 2015, sur le lieu même de la partie historique :

http://napoli.repubblica.it/cronaca/2015/09/22/news/capri...

 

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Et ils récidivent cette année

 

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Du 26 au 29 octobre 2017 se déroulera, tous les jours, le :

 

TOURNOI D’ÉCHECS INTERNATIONAL « ÎLE DE CAPRI – VLADIMIR LÉNINE »

 

Hotel la Residenza, Capri – Participation : 50 €

 

Torneo valido per variazioni ELO Italia/Fide e per il conseguimento della norma di maestro FSI

Info, costi e iscrizioni: Club Scacchi Capri
Tel. 388 909 1730 - 331 379 6095
www.clubscacchicapri.it

 

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Un des soviétiques avec qui Malaparte est allé au théâtre à Moscou est Pavel Florensky. Théologien, mathématicien, électro-technicien et philosophe russe, mort en 1937, il y a juste 80 ans (devenu saint Pavel Florensky). Il se trouve que ses œuvres ont été largement publiées en français. Il serait dommage de les passer sous silence.

 

 

Publications de Florensky en français :

La colonne et le fondement de la vérité, Lausanne, Suisse, Éditions L’Âge d’Homme, 1994, 508 p.

Le Sel de la terre, Lausanne, Suisse. Éditions l’Âge d’Homme, coll. « Petite bibliothèque slave », 2003.

Souvenirs d’une enfance au Caucase, Lausanne, Suisse, Éditions de L’Âge d’Homme, coll. « Au cœur du monde ».

La Géhenne, Lausanne, Suisse, Éditions de L’Âge d’Homme, coll. « Archipel slave », 2010. Ceci est en fait la lettre VIII de La Colonne.

Stupeur et dialectique, Paris, France, Éditions Payot et Rivages, coll. « Bibliothèque Rivages », 2012, 94 p.

Perspective inversée, iconostase, Lausanne, Suisse, L’Âge d’Homme, 1992

La Perspective inversée, Paris, Éditions Allia, 2013, 111 p.

Lettres de Solovki, Lausanne, Suisse, Éditions de L’Âge d’Homme, coll. « Classiques slaves », 2012, dont la traduction en français par Françoise Lhoest a été récompensée par le Prix Russophonie 2014

Les Imaginaires en géométrie, Bruxelles, Belgique, Éditions Zones sensibles, 2016, traduction de Françoise Lhoest et Pierre Vanhove. Préface de Cédric Villani

 

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Chose promise chose due…

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Rita MONALDI et Francesco SORTI

MALAPARTE – Morte Come Me

Milan, Baldini & Castoldi, 7 juillet 2016

Langue : italien

Couverture rigide

494 pages

 

 

Ce titre fait évidemment référence à la maison que s’était fait construire Malaparte à l’extrême pointe de Capri et qu’il avait baptisée « Maison comme moi », après avoir renvoyé l’architecte et décidé de la finir seul avec de simples maçons de l’île. Mais La Mort comme moi se réfère aussi à un autre livre de l’auteur (« Une femme comme moi », recueil de nouvelles consacrées aux femmes que se rêvait Malaparte)

C’est la première infidélité de Rita et Francesco à leur cher baroque et c’est une infidélité qui s’affiche en fanfare. Leurs raisons nous sont inconnues ­­– il doit y en avoir plusieurs, à commencer par le 60e anniversaire de la mort de Malaparte qui arrivait – mais je parierais qu’il y a aussi le fait qu’ils semblent partager un de ses sentiments les plus forts sur l’Europe, à savoir que le destin de notre continent post-romain catholique est devenu, depuis Luther, un destin anglo-saxon protestant et que cela n’a peut-être pas été pour notre bien.

La « justification » du roman est limpide :

Malaparte, tombé amoureux de la Chine, a dû être rapatrié pour mourir dans son pays d’un cancer des poumons en phase terminale, qu’il voulait, lui, se faire soigner en Chine, car il n’entendait pas mourir et se croyait capable de remporter cette ultime guerre.

Engagé à seize ans dans la légion Garibaldi pour voler au secours de la France, que son pays abandonnait dans la première des deux grandes boucheries du siècle, il avait été gazé au Chemin des Dames et il a jusqu’au bout prétendu mourir de la tuberculose causée par l’ipérite et non du cancer. De l’ipérite, de la tuberculose, du cancer et des cigarettes, comme mon grand père est mort d’un cancer du foie agrémenté d’une cirrhose.

Héros, donc, de ce roman, Curzio Malaparte est un des deux plus grands écrivains italiens du XXe siècle, mais c’est un écrivain maudit – aujourd’hui encore – parce que le choix qu’il a fait, à un certain moment, du fascisme, a sufi à plonger dans le néant tout le reste, comme Louis-Ferdinand Destouches est toujours Céline l’antisémite et non Céline l’écrivain de génie. Dans un pays comme dans l’autre, les médiocres n’en finissent pas de les juger sans essayer de les comprendre. Je ne vais pas le faire ici aujourd’hui, parce qu’il s’agit de vous parler d’abord d’un roman tout neuf assuré de faire date (que vous aurez peut-être la chance de lire en français dans dix ans) et parce qu’on a déjà d’autres maudits sur les bras : Lénine, Staline, etc.

Un peu à la fois !

Kurt Erich Suckert est né à Prato, d’un père allemand (saxon) et d’une mère milanaise. Il se voudra toscan – et pourquoi pas – et changera son nom, y compris pour l’état-civil, en celui de Malaparte, parce que, héritier de Machiavel, il a pris Napoléon pour César Borgia. Première erreur historico-politique et première admiration mal placée.

« Il s’appelait Bonaparte et il a mal fini. Je m’appellerai Malaparte et je finirai bien. »

(Vous le saviez, vous, que la tribu s’appelait en réalité Malaparte et qu’elle avait obtenu d’un pape l’autorisation de s ‘appeler Buonaparte ?)

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a réussi sa sortie.

Ayant légué par testament sa célèbre maison à la République Populaire de Chine, pour qu’y soient accueillis des artistes chinois et que des liens se tissent entre l’Italie et le pays de Mao, il redemanda sa carte du PCI, qui lui avait toujours été refusée. Cette fois, c’est Palmiro lui-même qui la lui apporta sur son lit d’agonie. Et qui dut, en partant, croiser dans les couloirs le père Rotondi, jésuite, venu entendre la confession du mourant et le recevoir dans l’Église, non sans qu’il ait d’abord abjuré La Peau, qu’elle avait mise à l’Index. L’Autre devra de même abjurer sa Trilogie de la vie, et pour les mêmes raisons, puisqu’ils sont partis tous les deux catholico-communistes. À mon avis, ils s’en sont tirés à bon compte. Watteau, lui, avait dû laisser brûler tous ses dessins érotiques, pour ne pas finir en enfer.

L’idée de Monaldi et Sorti est simple, on est le 19 juillet 1957 à Rome, à la clinique Sanatrix. Malaparte va mourir, veillé par une petite Sœur Carmelita qui s’assoupit. La mort arrive sous l’apparence d’une très belle femme qu’il a jadis connue à Capri, escortée de deux assistants. Des anges, évidemment. Elle révèle au moribond qu’elle est « la Justice du ciel » et que, oui, l’Enfer existe – si, si – et le Paradis et tout le reste, et que s’il ne veut pas, lui, Malaparte, finir dans les flammes éternelles, il a intérêt à se repentir avant qu’il ne soit trop tard. Mais comment faire ? « Je suis écrivain, je ne sais rien faire d’autre qu’écrire. » Qu’il fasse comme il veut, un roman s’il veut, mais que son repentir soit sincère, sinon, il sait ce qui l’attend. « Écrire un roman dans un poumon d’acier ? » Qu’à cela ne tienne, il n’a qu’à le dicter. Un des anges installe une Remington et s’assied. L’autre déballe une rame de papier, entrouvre un peu la fenêtre, change l’eau des fleurs, Sœur Carmelita ronflote doucement, et c’est parti. Malaparte n’a plus mal, ses jambes se réchauffent, sa respiration redevient normale, il peut même s’asseoir. N’est-on pas censé voir défiler sa vie quand on meurt ?

Cet examen de conscience in articulo mortis – on peut dire autocritique si on préfère – est écrit à la première personne. C’est Malaparte lui-même qui raconte et qui passe en revue sa vie, ses sentiments, ses opinions, ses jugements et ses choix. Plaidoirie ? Exposé candide ? Demandez à la Justice du ciel. Il faut saluer au passage l’idée de génie des auteurs d’avoir donné à la Mort le visage de cette Mona Williams – la femme la mieux habillée du monde et une des plus belles – qui finira par épouser le neveu homosexuel du Chancelier de Fer et deviendra ainsi Mona von Bismarck. Il n’y a pas une photo de la dame qui ne justifie ce choix.

L’anecdote qui, elle, justifie le roman se situe à Capri, où l’écrivain a rencontré, en 1935, une jeune poétesse anglaise, fille d’un des fondateurs de la Fabian Society (socialiste) et néanmoins courtisée par un Sturmbannführer SS. La rencontre est brève : Malaparte ne faisait que passer. Aussitôt après, la jeune fille trouve une mort tragique au pied d’une falaise.

L’histoire est vraie. Elle n’a jamais été élucidée. Il est vrai aussi qu’en 1939, des bruits ont couru accusant Malaparte d’assassinat et que la police secrète de Mussolini, l’OVRA, a tenté de l’arrêter. Discrètement, vu la société huppée dans laquelle il évoluait. Mais à cause de cette mort de quatre ans plus tôt ou pour une autre raison ? Malaparte n’a jamais eu la langue dans sa poche et il a toujours cru qu’il pouvait tout dire à n’importe qui. C’est ainsi qu’on se fait de nombreux et puissants ennemis.

On n’est pas à proprement parler dans un roman policier (même si les flics y circulent comme chez eux) mais dans un roman à énigme sans aucun doute. Pour échapper à une arrestation secrète et à un plongeon définitif dans les oubliettes, l’écrivain prend le maquis, dort à la belle étoile et essaie en même temps de faire la lumière sur la mort de la jeune fille.

Le grand art des deux sorciers est de mêler à ce qu’ils inventent tant de faits et de détails historiquement indiscutables qu’on a le plus grand mal à démêler ce qui relève de la chronique de ce qui appartient au roman. On passe ainsi, au fil des souvenirs de Malaparte, des tranchées de l’Argonne aux îles Lipari (où il a été deux fois relégué) et des villas de quelques originaux comme Axel Munthe à celles des successeurs de Tibère : milliardaires américains, nobles décadents d’Europe, hiérarques fascisto-nazis étroitement mêlés comme toujours. Malaparte, réputé bourreau des cœurs croise, dans cette histoire, principalement quatre femmes ; la jeune fille, qui disparaît trop tôt pour compter, Edda Ciano, fille du Duce, épouse bafouée du vrai tombeur, et Mona Williams, richissime américaine, qui le traitent toutes les deux fort mal, ainsi qu’une jeune femme qu’il prend pour une institutrice, dont il semble sincèrement s’éprendre, et qui est en réalité une agente de l’OVRA chargée de le faire tomber sans trop d’histoires. Pour Don Juan, on repassera.

J’ai dit ailleurs que les auteurs sont peut-être en train de ré-écrire l’histoire de l’Europe.

Il y a, dans ce roman, une habituelle mais toujours surprenante richesse d’informations (qui n’empêchent nullement l’art) sur de nombreux moments-clés de notre histoire, généralement mal ou pas connus. Sur la vie à Capri au début du siècle, puis sous le fascisme, sur sa population locale incroyablement pauvre et sa population cosmopolite incroyablement riche (remarquable portrait d’Edda Ciano en passant). Sur la guerre 14-18 du jeune caporal Adolf Hitler… et ses suites psychiatriques. Sur celle de Malaparte (la mort du jeune boulanger « de la classe 99 » à Bligny est une des plus grandes pages de roman jamais écrites sur la première guerre mondiale). Sur les autres guerres de Malaparte, en Éthiopie, dans les Balkans, en Ukraine, au siège de Léningrad (côté assiégeants), à la libération de Naples (côté alliés).

Il est dit dans les traditionnelles notes de fin de volume : « La prose de ce roman se réclame intentionnellement des particularités du style de Malaparte (parmi lesquels un goût musical pour la répétition) qui continue à trouver des admirateurs même en dehors d’Italie ». Il ne faudrait quand même pas oublier qu’un des deux auteurs est musicologue. Mais il n’y a pas que le style et pas que les répétitions. On peut, dans ce cas particulier, parler de véritable osmose (rien à voir avec le pastiche !) et pas seulement dans la forme.

Je mentionnerai un autre passage pour finir : s’agissant d’un auteur qui est dans l’enfer des lettres depuis soixante ans, Rita et Francesco se sont payé le luxe de le lui faire promettre et montrer par la mort. Pas celui des lettres : l’autre. Ce vers quoi se sent aspiré le mourant dépasse les visions – un peu enfantines, du coup – de Dante. D’autant plus impressionnant pour le lecteur d’aujourd’hui qu’il court un certain risque de le rencontrer lui-même.

 

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Un des nombreux ouvrages du héros de leur livre :

 

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Curzio Malaparte

Ces chers Italiens

Paris, Les Belles Lettres, 2013

Coll. Le goût des idées

192 pages

 

 

 

Extrait

[ …] Cette liberté tout italienne, on la retrouve, non seulement dans les coutumes, mais dans l’art, en particulier dans la peinture et la sculpture, pleines de madones seins à l’air (les têtes des chérubins volant autour des bouts dorés comme des oiseaux autour de grains de raisin), de saints, de prophètes, d’apôtres les pudenda à découvert, d’anges blonds avec leur petit derrière rosé et leur petite bouche suce-miel, d’hommes et de femmes vêtus de leur seul poil, tout occupés à regarder les grands personnages de la Bible et leurs faits et gestes, de sorte qu’on ne sait s’ils contemplent le couteau d’Abraham ou les fesses d’Isaac, la verge d’Holopherne ou la chute de reins de Judith. Et ce n’est pas seulement la peinture sacrée, mais aussi la profane qui apparaît aux yeux des Italiens, comme une occasion d’étaler chairs nues, membres virils, héros le derrière en l’ air, héroïnes séchant leur sein au soleil ; sans compter les papes bénissant des foules de pèlerins nus ; des rois, des empereurs, des reines tout nus sur leurs trônes dorés ; des cardinaux à genoux dans de magnifiques églises peuplées de statues nues ; des ambassadeurs, tyrans, courtisans, tribuns du peuple, plébéiens, olives pendantes sous le nombril, haranguer, tenir conseil, pendre les pauvres diables, tramer et ameuter conjurations et séditions, brûler les demeures des seigneurs. Les trompettes sonnent et c’est une confusion d’étendards et de testicules, d’épées et de seins nus ; ce sont Marius et Sylla, César et Brutus, Pompée, Antoine, Auguste, Titus, Constantin qui montent au Capitole les fesses ouvertes ; des guerriers nus à cheval bataillant bourses au vent et jetant bas des ennemis nus, ou poursuivant des bandes nues de fuyards, on ne sait si c’est pour leur trancher la tête ou le sifflet.

Ce n’est pas là impudicité ; c’est une façon de mêler la nature à l’histoire, la chronique des faits naturels à celle des faits politiques ou militaires ; d’entendre l’histoire des hommes et des peuples comme une histoire de la nature. Et cela me semble, à moi, une façon juste et vraie, l’histoire n’étant, en Italie du moins, que l’histoire des faits humains en tant que faits de la nature, alors que l’histoire des Anglais, des Allemands, des Français, des Espagnols n’est que l’histoire des faits humains en tant que faits politiques, étrangers à la nature.

Vouloir tirer de l’histoire d’Italie, à commencer par celle de Rome, des principes d’éthique, une règle morale comme le firent, par exemple, Montaigne et Montesquieu, c’est commettre une erreur. Autant vouloir tirer une règle morale de l’histoire de la nature. Quel principe moral peut-on déduire, mettons, de l’apparition des mammifères sur la terre ? L’histoire de Rome n’est qu’un chapitre de l’histoire naturelle : le chapitre qui rapporte l’origine d’une espèce d’hommes et leur façon de l’emporter sur d’autres espèces d’hommes et non de la supériorité d’un principe moral sur d’autres principes moraux. Et cela est si vrai que, avec le triomphe du christianisme, qui est un fait moral et non un fait de la nature, l’histoire de Rome en tant que chapitre de l’histoire naturelle s’achève.

Voilà la raison pour laquelle les Italiens sont vis-à-vis de l’histoire comme vis-à-vis de la nature et en face des faits historiques comme en face des faits naturels. Ils considèrent l’histoire des hommes comme celle des arbres, des fleuves, des bêtes, des saisons. Ils regardent les peuples naître, croître en âge, en force, en richesse ; combattre, fonder des villes, envoyer des hommes à la mort ; les villes s’effondrer dans les flammes, les royaumes s’écrouler, d’autres nations surgir, d’autres cités, d’autres empires ; la terre se repeupler d’autres hommes, de murs, de palais, de temples et, tout à coup, n’être plus que désert.

Pareillement, ils regardent naître les arbres, les plantes, les herbes ; les fleuves couler et déborder ; le ciel s’abattre sur les champs, les moissons, les troupeaux ; la mer engloutir les vaisseaux ; la terre trembler, s’ouvrir et les villes s’y abîmer, et d’autres arbres, d’autres plantes, d’autres herbes naître, d’autres moissons murir. Les faits historiques se succèdent comme les saisons et se confondent avec les faits naturels au point de nous sembler des faits de la nature. La mort de César équivaut à une crue de fleuve, à un incendie de forêt, au fléau d’une épidémie ; une bataille est comme une tempête ; une invasion est une façon d’inondation ; une révolte évoque l’éruption d’un volcan ; la chute d’un règne rappelle une ville détruite par un tremblement de terre.

C’est la raison pourquoi les Italiens, plus proches de la nature que toute autre espèce d’hommes, ont une si grande familiarité avec les choses du sexe. Ce n’est pas là de l’impudicité, mais simplement une façon de prendre la nature comme elle est, c’est-à-dire comme un fait, non moral, mais physique. Cette familiarité date de leurs plus tendres années. Dès ce moment, ils voient statues et fresques avec hommes et femmes nus, Apollon, Vénus, Madones, Madeleines, martyrs peuplant les places et les églises d’Italie.

C’est chose commune que de voir de petits garçons et petites filles jouer avec les parties viriles d’Hercule, de Cacus, de David, de Goliath, d’Hector et d’Achille, de saint Jean-Baptiste et de saint Georges. Allez après cela plaquer le feuille de vigne sur le David de Michel Ange, ou les Dioscures du Quirinal, ou le Ménélas et le Patrocle de la loge des Lanzi ou sur le Neptune de la Seigneurie à Florence. Tous les gosses, garçons et filles, savent ce qu’il y a dessous, comment c’est fait, combien ça pèse, et à quoi ça sert. Inutile de leur dire que ça ne sert à rien ; ils savent. Et que serait-ce s’ils ne le savaient pas ou croyaient que ça ne sert à rien ? Ils finiraient par croire que ce que les Vénus ont sous la feuille, ça non plus ne sert à rien.

Par bonheur, en Italie, nul ne rougit en regardant ces statues. Et si je dis « par bonheur », c’est que, tout au moins en Italie, les yeux sont faits pour regarder.

J’allai un jour, encore gamin, au Dôme de Prato, voir danser Salomé, avec quelques camarades. Ô grâce de Filippo Lippi, quelle bonne leçon tu m’as donnée en m’apprenant que le nu est chaste ! Pour nous, gamins, assis en silence dans les stalles du chœur, derrière le maître-autel, il n’y avait rien d’étrange à ce que Hérode, Hérodiade, les courtisans, les pages, autour de la longue table luisante de lin candide et scintillante de cristaux, et les serviteurs avec les plateaux chargés de mets et les jarres de vin, rien d’étrange à ce que tous regardassent d’un œil tranquille la jeune danseuse sous ses voiles transparents qui laissaient à nu les tendres chairs, le duvet blond, les ombres secrètes. Que faisaient là de mal Hérode, Hérodiade et les commensaux et les serviteurs ? Ils regardaient cette jeune fille nue, si pudique, avec son pied levé, sa tête légèrement penchée en arrière, ses menus seins rosés et fermes, visibles sous la transparence des voiles. Il n’est pas jusqu’à la tête du baptiste, servie sur un plat d’argent qui n’ouvrît des yeux extasiés, où il n’y avait pas l’ombre de pudeur offensée, ni de désir, ni de reproche, mais uniquement le plaisir que donnent les choses belles et pures. Jusqu’à ce qu’enfin, du haut du beau campanile en pierre grise et marbre vert de Figline, les cloches laissaient tomber leurs appels graves et profonds ; l’onde sonore dérange les voiles de Salomé qui, un instant, dans la pénombre du chœur nous apparaît jusqu’à l’aine. En entendant les voix des chanoines, sortis un à un de la sacristie pour venir chanter les vêpres, nous courions nous blottir au fond du chœur, sous le grand vitrail. Les chanoines s‘asseyaient dans les stalles, fermaient les paupières et se mettaient à chanter, les yeux clos, pour ne pas voir Salomé.

Non, ils ne fermaient pas les yeux, ils faisaient semblant. Ils regardaient Salomé d’en dessous, à travers leurs cils baissés et chantaient. »

Curzio MALAPARTE, Benedetti Italiani [« Bienheureux Italiens », Ces chers Italiens dans l’édition française des Belles Lettres, 2003. Traduction : Mathilde Pomès. Chapitre 3.]

 

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Oh, que les souvenirs sont trompeurs ou l’imagination puissante !

 

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Pour le luxe :

 

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Abbé Atto MELANI

Manuscrit retrouvé et publié par MONALDI & SORTI

Gli intrighi dei Cardinali

Langue : italien

Milan, Baldini & Castoldi, 27 octobre 2016

127 pages

 

 

Ce texte, écrit en français Louis Quatorzième par le célèbre castrat italien Atto Melani (offert par sa noble famille à l’Église) qui fut pendant quarante ans l’agent secret du Roi-Soleil, s’intitulait en réalité Les secrets du conclave et racontait comment Melani, en qualité d’assistant du cardinal Rospigliosi, avait pu participer au conclave qui a porté son protecteur au pontificat sous le nom de Clément IX. Autrement dit que la cour de France avait fait un pape de plus à la barbe de quelques autres puissances.

Rita et Francesco ont découvert l’original autographe – rapport destiné à Louis XIV – dans les archives du Palais Bourbon, où il dormait depuis près de quatre siècles. Atto Melani étant le personnage principal de leur célèbre série baroque, ils ont eu à cœur de le publier.

C’est donc seulement traduit en italien qu’on le trouve, car, en français, il n’a semblé intéressant à personne de le faire imprimer.

 

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Curzio MALAPARTE

Technique du coup d’État

Paris, Grasset, (revu et corrigé, 2008)

Les Cahiers Rouges

224 pages

 

 

 

« Je vous connais bien, M. Malaparte. Et depuis longtemps. Votre Technique du coup d’État est mon livre de chevet. »

Mao Tse Toung

Présentation de l'éditeur

Comment on s’empare d’un État moderne et comment on le défend : à l’aide d’exemples pris dans l’histoire (le 18 Brumaire de Bonaparte) ou dans l’actualité plus proche (le coup d’Etat bolchévique de 1917, la marche sur Rome de Mussolini, l’inexorable montée de Hitler), Malaparte analyse les diverses méthodes d’insurrection moderne. Le Duce lui fit payer la justesse de ses réflexions de plusieurs mois de prison et de cinq ans d’assignation à résidence… À sa sortie en 1931, Technique du coup d’Etat fut salué dans le monde entier comme un « traité de l’art de défendre la liberté ». La fiévreuse clarté de ses théories tactiques, l’art du portrait et la finesse psychologique de l’auteur appliqués au personnel politique et militaire n’ont pas vieilli. Et font de ce livre un classique.

[Notons quand même que Malaparte s’est planté en attribuant à Napoléon le coup du 18 Brumaire, qui fut en réalité l’œuvre de Sieyès assisté de Lucien, tandis que Napoléon se contentait de s’évanouir ou de faire semblant, jusqu’à ce que l’on sût de quel côté le sort avait penché, comme le rapporte avec sa sécheresse de ton coutumière Paul Léautaud (Journal), qui n’aimait pas qu’on raconte n’importe quoi. N.d.GO]

Biographie de l'auteur

Curzio Malaparte (1898-1957) a été journaliste, reporter de guerre sur le front de l’Est pendant la Seconde Guerre Mondiale et écrivain. Il est l’auteur des romans Kaputt (1944) et La Peau (1949), de biographies, comme Le Bonhomme Lénine (Grasset, 1932) et du célèbre Technique du coup d’État (Grasset -1931). Il est considéré comme un des plus grands écrivains italiens du XXe siècle.

 

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Mais pourquoi a-t-il tenu leurs manteaux aux bourreaux qui lapidaient saint Étienne ?

 

Le Malaparte qui s’est engagé à seize ans et a risqué sa vie pendant quatre ans pour défendre une France qu’il adorait, qui a été gazé au Chemin des Dames, qui a été relégué par deux fois aux îles Lipari par un régime qu’il servait pourtant, est le même que celui qui a trouvé la campagne de Russie « romantique » (et pour cela, il faut avoir un grain dans le cerveau qui n’est pas à sa place), qui a tremblé de timidité impressionnée devant Benito Mussolini, assisté de sa plume les assassins de Matteotti, applaudi aux massacres des Baléares et dîné avec Frank, le bourreau de Varsovie. Pour l’interviewer peut-être, mais bon. C’est difficile à concevoir, mais c’est ainsi. C’est lui aussi que les Allemands ont fait réexpédier du front de l’Est, parce que ce qu’il en écrivait dans le Corriere della Sera outrageait le Reich.

Entretemps, il avait fait, en correspondant de guerre mais avec la grade de capitaine, la campagne des Balkans, raté les combattants, Tito et Mikhailovitch, qui tenaient le maquis, mais interviewé Pavelich, l’ogre croate. L’histoire du panier plein d’yeux humains, c’est lui. Histoire dont s’est amèrement plaint l’intéressé dans son exil sud-américain : il se souvenait très bien que, quand Malaparte était venu le voir, on venait de lui faire cadeau d’un panier de groseilles. « Qu’est-ce qu’il voulait que je fasse avec un panier de groseille ?! » s’est exclamé l’auteur de génie à celui qui lui posa la question. « On ne frappe pas l’imagination avec des groseilles.»

On croit presque entendre Jules Michelet, venu questionner Élisabeth Duplay sur ce qu’elle savait des suppliciés de Thermidor, lui promettre : « Vous verrez, Madame, ce sera bien plus beau comme je vais le raconter. »

C’est que l’écrivain français qu’a le plus admiré Malaparte était Chateaubriand, hélas. Pas qu’il écrivît mal, mais enfin, c’était le roi des menteurs dont Michelet était le prince, à moins que ce soit l’inverse. Tous les Bretons sont des virtuoses ès-mensonge. Pardon. Mais si. À commencer par Céline, qui s’est prétendu normand. Mais ceci nous entraînerait vraiment trop loin… Alors, basta pour l’instant.

Il y a cent ans ce jour, un volcan s’éveillait et commençait à cracher des flammes.

 

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Mis en ligne le 25 octobre 2017

 

 

 

21:25 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Musique, Web | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook |

Commentaires

"Louis-Ferdinand Destouches est toujours Céline l’antisémite et non Céline l’écrivain de génie" .

Ce n'est plus tout à fait vrai. Céline est maintenant dans la Pléiade. Gallimard a publié un tome de son oeuvre dans sa collection la plus connue et la plus prestigieuse . Ce n'est évidemment pas la totalité, mais c'est un bon début.

Écrit par : semimi | 29/10/2017

Les commentaires sont fermés.