17/04/2011

Que sont devenus les gens de bien ?

 

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Que sont devenus les gens de bien ?

Lettre au Grand Soir



Aujourd’hui, l’envie me prend de vous mettre sous les yeux, pour commencer, un  texte de Viktor Dedaj, parce que c’est à lui et à son camarade et co-fondateur du Grand Soir Maxime Vivas, entre autres, que je me propose d’adresser cette bafouille, et parce que je souscris à ce qu’il dit à presque 100%. « Presque », car jamais je ne pourrais écrire «J’ai même ma page sur Facebook où j’attends encore des amis », allergique que je suis aux bacs à sable où veulent me faire jouer ceux qui tiennent le tourniquet du garrot qui m’étrangle. Qu’ils y jouent entre eux, sans moi.

Donc, voyons d’abord cette réflexion désenchantée de Viktor Dedaj :



mardi 12 avril 2011

Que sont devenus les gens de bien ?

Viktor DEDAJ


« 66% des français soutiennent l’intervention en Libye » - les sondages, il paraît.

Lorsque tout semble perdu, je m’invente parfois des consolations. Des consolations qui deviennent avec le temps comme des raccourcis saisissants vers une certaine réalité. Le genre de réflexion où je me dis, après coup, « finalement, ce n’est pas si bête que ça. »  Comme celle-ci, par exemple :

« L’humanité a de la chance que la Chine ne soit pas dirigée par un Obama, ou un Sarkozy. Parce qu’avec 66% de 1,5 milliard, les tambours de guerre feraient un sacré boucan. »

* * *

Il fut un temps, un temps lointain, où le camp progressiste pouvait mobiliser un million de manifestants à Paris (...selon les organisateurs, et zéro selon la presse de l’époque) contre la présence de missiles en Europe. Le temps est passé et désormais la gauche applaudit aux tirs de missiles pour des raisons « humanitaires ».

Il fut un temps, un temps lointain, où la gauche s’opposait aux aventures militaro-colonialistes de la France. Pouvait-il en être autrement ? Je ne pensais pas vivre le jour où la réponse serait «oui» : la France, au moment de la rédaction de ces lignes, est impliquée dans 3 conflits armés (Afghanistan, Côte d’Ivoire et Libye) dans une sorte de consensus mou.

Il fut pourtant un temps, un temps très proche, à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, un certain Tribunal de Nuremberg avait conclu, édicté et gravé dans la pierre que faire une guerre «non provoquée» était le crime par excellence, le crime des crimes, celui qui englobe et entraîne tous les autres crimes. Sur ces bases-là, certains notables d’un régime belliqueux de l’époque furent pendus. Et aucun « je ne faisais qu’obéir aux ordres » ne réussit à attendrir le coeur des juges. Mieux : le Tribunal en profita pour préciser que l’argument ne sera jamais recevable. Jamais, ont dit les juges. Et le Droit International et aussi le sens commun général y adhéra (le respect ou non de ce principe étant un autre débat).

Bien sûr, aucune guerre, aucune, n’a été menée sous un prétexte du genre « j’ai perdu le ticket de vestiaire de mon manteau et ils ne veulent pas me le rendre, allons le chercher ». Toutes les guerres, toutes, ont été déclenchées au nom des principes les plus sacrés, au nom de valeurs humaines les plus nobles, au nom de l’épuisement de toutes les autres options, au nom des cas de force les plus majeurs (*). Toutes ont été précédées, accompagnées et suivies par des rhétoriques adaptées à leurs époques et aux publics visés. Et toutes, 20, 30 ou 50 ans plus tard, se sont révélées pour ce qu’elles étaient.

Puisque tel a toujours été le cas, quelqu’un pourrait-il m’expliquer pourquoi quelque chose aurait subitement changé ? Y’aurait-il eu un mystérieux déplacement massif des plaques tectoniques de la géopolitique que je n’aurais pas remarqué ? Aurions-nous vu arriver une nouvelle génération de dirigeants, plus respectable et respectueuse que la précédente ? Ceux qui proposaient encore il y a peu le «savoir-faire français» en matière de répression au dictateur Ben Ali, auraient-ils été pris d’un soudain remords ? Les grands médias ont-ils fait l’objet d’une épuration de tous ceux qui prétendaient, et prétendent encore, nous informer ? Nous serions-nous couchés avec un régime dont un ministre en exercice a été condamné deux fois pour propos racistes et réveillés avec une nouvelle équipe oeuvrant pour la paix dans le monde et l’amitié entre les peuples ?

Ou est-ce tout simplement que les salauds ont investi toutes les espaces de la vie publique française, politique, médiatique, économique et même culturelle ?

Nous sommes ici au sommet de la pyramide des crimes. Le crime de tous les crimes, le crime duquel découlent tous les autres et au-dessus duquel on ne trouve ni «terrorisme», ni  «génocide», ni «pogrom», ni «lapidation», ni «nationalisation des ressources», ni «antisémitisme», ni «la volonté de rayer Israël de la carte», ni «rouge-brunisme», ni «dictature», ni même la version de Comme d’Habitude par Claude François, ou toute autre raison inventée et/ou évoquée. Parce que l’Histoire a tranché, même si l’Occident fait semblant de ne pas le savoir.

Accepter le crime des crimes, c’est accepter tous les crimes qui en découlent, en découleront et donc tous les prochains. Accepter le crime des crimes, au nom d’une intervention humanitaire, d’une opération de sauvetage de bébés dans des couveuses ou pour instaurer une démocratie constitue l’oxymoron le plus absolu.

S’agissant du plus abominable des crimes, le premier réflexe d’une personne ayant conservé quelques qualités morales et éthiques, est évidemment de se placer du côté du «refus», et le plus éloigné possible. En langage clair : s’agissant du crime des crimes, le point de position le plus «humanitaire» qui soit est celle d’une opposition déterminée et totale. Alors comment arrive-t-on à convaincre une population occidentale que le crime des crimes est une opération humanitaire ? La réponse, vous la connaissez, puisque vous l’avez vécu.

Aujourd’hui, des pans entiers des discours d’Adolf Hitler pourraient être subrepticement glissés dans les discours des dirigeants occidentaux actuels et on n’y verrait probablement que du feu. Mieux encore : on pourra bientôt les glisser en VO, sans même prendre la peine de les traduire, car la transition d’une des dernières interventions de Barack Obama sur la Libye (« Il y aura toutefois des occasions où, même si notre sécurité n’est pas directement menacée, nos intérêts et nos valeurs le seront. ») au plus laconique « Amerika Über Alles » ne va pas tarder à se produire et offrira aux linguistes du futur un passionnant cas d’étude.

Le champion, toutes catégories et de loin, du crime des crimes qu’est la «guerre non provoquée» sont les Etats-Unis d’Amérique. Et ce n’est pas l’antiaméricain qui fait ce constat, mais au contraire ce constat qui fait l’antiaméricain – d’un antiaméricanisme non pas «primaire» mais revendiqué, raisonné, justifié, serein, assumé et total. Le deuxième du classement du crime des crimes est l’état d’Israël. Et ce n’est pas l’antisioniste qui fait ce constant, mais au contraire ce constat qui fait l’antisioniste – d’un antisionisme non pas «primaire» mais revendiqué, raisonné, justifié, serein, assumé et total. (Au fait, quand est-ce que le cri de ralliement «Non à l’Apartheid» a-t-il été supplanté par «vous ne seriez pas antisémite, des fois ?»).

Il fut un temps, un temps lointain, où la gauche s’appelait, et se faisait appeler dans les médias, «la gauche». Une époque où la droite n’osait pas se qualifier ainsi et préférait s’appeler, et se faire appeler dans les médias, «la majorité». Aujourd’hui, la droite revancharde s’appelle «la droite» et la droite libérale préfère s’appeler, et se faire appeler dans les médias, «la gauche». A destination des plus vieux d’entre nous qui ont encore la mémoire de ce temps jadis, on emploiera plus volontiers le terme de «gauche moderne» pour expliciter à ces retardés que «les temps changent, faut s’adapter, quoi».

S’adapter, je n’ai rien contre. J’ai un téléphone portable, un ordinateur. J’ai même ma page Facebook où j’attends encore des amis. J’écoute du rap pour avoir un sujet de conversation avec mon fils. J’ai décroché le portrait de Lénine et remplacé par une litho signée «Ben» (nan, j’déconne). J’ai même fait la paix avec certains militants de Lutte Ouvrière. Et j’ai bien compris que la classe ouvrière avait disparu (quoique) et que nous sommes au temps du «tertiaire», les services, les services, rien que les services (à qui ? sera la question posée probablement un chouia trop tard).

Que leur faut-il de plus ? Que j’applaudisse à l’intelligence de leurs bombes ?

D’un autre côté, comment être encore «de gauche» lorsqu’on se contente d’observer le monde à travers les filtres des médias les plus réactionnaires, monopolistiques, influentes et «désinformantes» qui soient ? L’illusion de la «liberté» de l’Internet montre encore ses tristes limites. L’information est à portée de click mais l’explication demeure hors de portée pour aboutir à une sorte de «tout savoir et ne rien comprendre».

Il n’en a pas toujours été ainsi. Les médias de masse, ces chevaux de Troie de la bêtise, pouvaient encore être contrés par mille et une petites astuces et actes de résistance. La «culture ouvrière» qui concrétisait les réalités économiques abstraites, quelques médias dignes de ce nom (en gros, la «presse communiste», mais pas que...), et même les expériences vécues (ces fameuses choses « une fois vues qu’on ne peut plus dévoir » dixit Arundhati Roy). Et surtout la voix, le courage et l’exemple de tous ces gens de bien que nous côtoyions tous les jours, tous ceux dont on pensait «arriverons-nous à leur ressembler un jour ? ».

Ne soyez pas étonnés par ce léger malaise qui vous saisit, ce n’est que l’effet produit par ces milliers et milliers de camarades qui se retournent dans leurs tombes. Alors quitte à les avoir réveillés, autant leur donner la parole :



    « Citoyens,

    Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne consultent que leur propre intérêt et finissent toujours par se considérer comme indispensables. Défiez-vous également des parleurs, incapables de passer à l’action ; ils sacrifieront tout à un beau discours, à un effet oratoire ou à mot spirituel. Evitez également ceux que la fortune a trop favorisés, car trop rarement celui qui possède la fortune est disposé à regarder le travailleur comme un frère. Enfin, cherchez des hommes aux convictions sincères, des hommes du peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue. Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à choisir leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter. Citoyens, Nous sommes convaincus que si vous tenez compte de ces observations, vous aurez enfin inauguré la véritable représentation populaire, vous aurez trouvé des mandataires qui ne se considèrent jamais comme vos maîtres.

    Le Comité Central de la Garde Nationale »

    Texte de l’affiche apposée avant l’élection de la Commune de Paris, 25 mars 1871.



Car il fut un temps, un temps oublié, où les progressistes comprenaient assez naturellement pas mal de choses.

Viktor Dedaj
« pourquoi "vieux jeu" ? Les règles du jeu ont changé depuis ? »

________________   
(*) Pour un homme, il est admis de considérer comme un cas de force majeure le fait d’envoyer une armée pour aller récupérer une gonzesse à Troie. On dit d’ailleurs que c’est probablement de cette époque que vient l’expression « elle est canon ». (n’allez surtout pas rajouter ça dans Wikipédia. Ou alors faites-le sans me citer.)

URL de cet article 13379
http://www.legrandsoir.info/Que-sont-devenus-les-gens-de-bien.html




*



Feu Henri Guillemin avait coutume de dire que, pour la bourgeoisie, « gens de bien » sous-entendait toujours « gens de biens ». N’étant pas des bourgeois, nous nous en tiendrons à l’acception de l’auteur.

Qu’est-ce qui a provoqué cette réflexion ? La guerre de Libye, bien sûr, et les 66% de Français qui, paraît-il, y souscrivent (qui ne sont pas les seuls, on n’a pas fait le sondage ailleurs, et quelqu’un a rappelé à bon escient les chiffres de la fameuse expérience Milgram). Mais aussi, du moins je le pense, une attaque dont vient d’être la cible l’agence d’information alternative qu’il anime avec Maxime Vivas.

Cette attaque est venue d’un autre site (qui se dit de gauche) : ARTICLE XI, et de deux « journalistes » qui, si j’ai bien compris tout, ont jadis fait bénéficier de leur prose des endroits aussi respectables qu’ACRIMED et CQFD. Y sont-ils toujours ? Autrement dit, ces deux endroits où, théoriquement, « on pense à gauche » approuvent-ils (s’associent-ils à) l’attaque lancée contre LE GRAND SOIR ? J’avoue que je l’ignore. Au point de confusion volontaire des valeurs où on en est arrivés, plus rien ne peut étonner.

Laissons de côté ACRIMED et CQFD, et concentrons-nous sur les auteurs pas tout à fait anonymes mais presque de l’attaque. LE GRAND SOIR a publié leur texte. À mon avis, il a eu tort, mais ce qui est fait est fait. Qu’on ne compte pas sur moi pour l’imiter.

Ceux qui veulent savoir de quoi il retourne trouveront le machin sur son lieu d’origine, qui aurait dû ne pouvoir compter que sur ses propres forces mais tant pis. C’est ici :

http://www.article11.info/spip/Le-Grand-soir-analyse-des-derives

Si vous voulez le voir tel que reproduit donquichottesquement par LE GRAND SOIR, c’est là :

http://www.legrandsoir.info/Le-Grand-soir-analyse-des-derives-droitieres-d-un-site-alter.html

Et c’est ici que commence ma lettre à VD, à MV et à tout le monde au GS :

 

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Chers tous,

Eh, on ne peut pas à la fois plaire à tout le monde et au Betar !

Vous voulez vraiment l’opinion de vos lecteurs ? Voici la mienne : je ne comprends pas que vous ramassiez dans le ruisseau, même avec des pincettes et sans trier, tous les détritus qui s’y trouvent. Éboueurs ou journalistes, il faut choisir.

Surtout, je trouve que vous posez mal le problème. Il ne s’agit pas de savoir ce qui, dans les accusations qu’«ils» vous portent est vrai ou faux. Il s’agit de savoir s’ils ont le droit d’accuser quiconque de quoi que ce soit.

D’abord, qui sont-« ils » ? Des nègres à Botul ? Vous acceptez d’eux le mot polémique ! Il est totalement hors de propos. Vous voulez savoir si vos lecteurs vont découvrir leurs mensonges ? Mais quels mensonges ? Quelles opinions même différentes des vôtres ? Il s’agit – et vous le savez - de propagande. Salariée. À laquelle vous offrez une tribune. Est-ce que vous êtes tombés sur la tête ?

Vous les avez peut-être connus ailleurs qu’à ARTICLE XI vos corbeaux, mais depuis quand avoir collaboré à ACRIMED ou à CQFD est-il un talisman qui préserve de la tentation d’accepter quelques émoluments inodores en échange de vieilles calomnies pré-cuites qu’on n’a qu’à réchauffer avant de servir ? Polémique mon cul ! (citation). Il s’agit d’un rapport de police – trop informé pour n'être pas de la grande maison – et ce que je ne comprends pas, c’est que vous vous amusiez à gaspiller du temps et des énergies qui seraient mieux employés et surtout plus utiles ailleurs, à répondre, que dis-je, à vous justifier devant des sous-Javert pour Versaillais globaux. Vous ne pouviez pas les laisser fricoter entre eux dans leur coin ? Qui se serait aperçu qu’ils existaient sans votre aide ? Qui d’intéressant, je veux dire ?

Nous y voilà ! Vous déplorez que certains de vos lecteurs gobent ces mouches et s’en aillent grossir les rangs des cocus. Eh bien, s’ils le font, TANT PIS POUR EUX. Vous n’êtes pas là pour porter à bout de bras tout l’infantilisme et toute l’impéritie du monde. Vous ne pouvez pas raisonner chaque mouton avant qu’il saute à la mer. Ceux qui voudront sauter ne vous écouteront pas et tout ce que vous gagnerez sera de vous y faire emporter par leur piétinement d’ilotes asservis et fiers de l’être.

Les gens qu’on vous reproche d’accueillir dans vos colonnes en sont l’honneur, car ce sont ceux dont « on » a peur. Et il faudra bien les revendiquer un jour, ouvertement, une fois pour toutes – non seulement eux mais aussi ceux qu’on leur assimile -, c’est-à-dire mettre un terme au terrorisme intellectuel dont se sert la « pensée » non pas unique mais totalitaire que servent vos censeurs sans vergogne. Je veux dire qu’il est grand temps de remettre le totalitarisme à sa place. Qu’il émane, comme ici, des employés du pouvoir ou des trop nombreux cocos militants de base, pour qui ce qu’ils ne comprennent pas est ipso facto tatoué « fasciste » et « rouge-brun ». (Ah, et « antisémite » !) Avec ceux-là non plus, je ne trouve pas que vous devriez continuer d’argumenter-expliquer-convaincre, parce que leur erreur n’est pas intellectuelle – et donc pas accessible à la raison – elle est affective, ce mot englobant tout ce qu’on ne se risque jamais à nommer (par respect humain ?) : la bêtise assumée, l’ignorance élevée au rang de vertu cardinale, la présomption, etc., mais surtout leurs causes : la paresse, intellectuelle ou autre, l'indifférence, l'égoïsme, la passivité préférée à tout, la servitude volontaire affublée des oripeaux de la rhétorique pseudo révolutionnaire et j’en passe.

Il n’y a rien ni personne, dans ce que vous avez publié jusqu’ici, d’avec qui vous deviez prendre des distances. Au contraire. J’irai même plus loin :

Prenons des exemples aux extrémités qu’on dit infréquentables : je sais que Faurisson est judéophobe et je sais que Reynouard est catho intégriste, et en quoi cela frapperait-il de nullité tout ce qu’ils disent et tout ce qu’ils pensent ? Et qu’est-ce qui m’interdit, à moi qui ne suis – et de très loin – ni l’un ni l’autre, de soumettre ce qu’ils ont à me dire à mon libre examen ? Qui sont ceux qui veulent me l’interdire et m’imposer ainsi le statut d’éternelle mineure ? À quel titre se le permettent-ils ? Qu’ont-ils à faire valoir comme services rendus à l’humanité pour prétendre la mener en lisière ? Ils se prennent pour quoi ? À part la folie des grandeurs, je ne vois aucune justification à pareille outrecuidance (je parle de la folie des grandeurs de leurs maîtres, eux-mêmes n’étant que les gens de maison chargés de dire « Monsieur va vous recevoir » ou «Madame n’est pas là »). Ne serait-il pas temps d’envoyer tout ce beau monde pleurer dans sa cour, ou dans une cellule capitonnée où il ne puisse au moins se faire mal ? Ne serait-il pas temps de se décider à communiquer seulement entre adultes, sans plus faire attention à leurs criailleries de tyranneaux infantiles ?

Oui, voilà ce que je vous reproche : d’y faire attention. Il y a mieux, je le répète, et beaucoup plus urgent sur le feu.

Mais puisqu’on en est à parler de ces choses, l’occasion est aussi bonne qu’une autre de vous faire part d’une ou deux réflexions auxquelles vous êtes mêlés. Après tout, c’est vous qui avez demandé.

J’ai depuis longtemps un gros MONDE DIPLO sur l’estomac, dont ACRIMED, si je n’ai pas perdu le fil, est une extension dans le champ des médias. Il y a lurette – presque six décennies, non ? – que LE MONDE DIPLO nous sert des analyses souvent pertinentes et à tout le moins honnêtes, qui ne débouchent systématiquement sur RIEN. Je ne lui jette pas la pierre. Je sais que s’il s’autorisait ce qu’il faudrait pour bien faire qu’il s’autorise, il ne finirait pas la semaine. LE MONDE DIPLO est donc enfermé dans ce dilemme : se condamner à l’impuissance pour pouvoir durer, pour tout simplement continuer à exister. LE MONDE DIPLO explique, éclaircit, fait prendre conscience, mais ne pousse à rien.

Or, ce rôle, c’est vous qui l’assumez, avec les moyens du bord et parce qu’Internet vous permet relativement de vous passer de bailleurs de fonds. Vous et quelques autres. maudits. Dont certains viennent d’ailleurs assez souvent faire un tour sur votre site. Que vous vous retrouviez tous sur l’avis de recherche des petites mains des maîtres du monde alors que LE MONDE DIPLO n’y est pas est logique. Vous gênez. Vous faites peur, dans la mesure où ce que vous faites peut déboucher sur du concret. C’est un rôle d’autant plus important qu’aucune formation politique – je dis bien aucune – ne l’assume. Quant aux intellectuels patentés dont c’était jadis le rôle... soyons charitables, passons. Sartre est mort.

Parenthèse : si « faire prendre conscience » était suffisant, il y a longtemps que LE MONDE DIPLO aurait gagné le canard. Ce n’est pas que « les gens » (quand même un peu nous tous) n’ont pas conscience de la m..... dans laquelle ils sont et des abominables tragédies dans lesquelles se débattent tant d’autres, c’est qu’ils s’en foutent. C’est qu’ils préfèrent le confort (transitoire mais ils s’en foutent aussi) de la passivité, de l’égoïsme, bref de l’acceptation du pire pour tout ce qui n’est pas eux, arbres, bêtes et gens. Avoir le courage de regarder cette vérité en face, c’est jeter du lest par-dessus bord, c’est s’interdire l’impuissance, c’est prendre son courage à deux mains pour éduquer.

Ah, éduquer, c'est tout autre chose.

Si on part du principe qu’on n’éduque bien que par l’exemple – c’est ma conviction absolue – vous avez, plus que beaucoup d’autres, contribué à éduquer, rien qu’en relayant avec constance l’exemple cubain. Mettre sous les yeux des bases européennes ce qui se fait (se vit) à Cuba et au Venezuela, pour ne citer que ces deux pays, est ce qui peut se faire de plus constructif en matière d’information. Ce qu’il faut provoquer si on peut, ce n’est donc pas une prise de conscience de telle ou telle vérité dont on continuera à ne rien faire, c'est le sentiment intolérable de ce qui existe ailleurs et n’existe pas ici mais qui pourrait si seulement...  Ce qu'il faut, c’est faire douloureusement ressentir la différence qu’il y a entre leur futur possible, assorti d’un présent au moins digne, et notre no present no future indigne, c’est faire naître le besoin de concrétiser, c’est-à-dire de vivre, ce qu’on ne fait en ce moment que regarder comme si on était au spectacle (ô Debord), c’est pousser au passage à l’acte. C’est aussi rappeler, le plus souvent possible, quelques principes de base en matière de morale publique. Car il y a un sacré fossé entre vivre la révolution cubaine par procuration comme on le faisait dans les années soixante et vivre les guerres de l'OTAN par procuration comme on n'a pas honte de le faire aujourd'hui.

Pousser au passage à l’acte...

C’est par exemple ce que fait Bibeau (dans vos colonnes) quand il exhorte les Canadiens à boycotter les élections. Ce n’est peut-être pas la bonne solution. C’est une solution possible. Il est très important qu’elle soit formulée et discutée par ceux qu’elle concerne, nous tous, et non par des zigotos qui se mêlent de penser à notre place et à faucher dans l’oeuf le moindre élan généreux d’un « fasciste ! » ou d’un « rouge-brun ! » castrateur.

C'est aussi ce que font Hess et Poumier avec leur voyage en Libye et leur Commission d'Enquête. Même s'il n'y a pas besoin d'aller sur place pour savoir,  elles ont eu raison d'y aller, et même si leur Commission ne doit être qu'une voix dans le désert, elles ont raison de la vouloir.

Montaigne trouvait que «C’est mettre ses conjectures à bien haut prix que d’en faire cuire un homme tout vif.» Marat mettait en tête de son journal « Magna est veritas et prevalebit ». C'était déjà plus péremptoire. Il serait peut-être temps que vous mettiez en tête du vôtre « On ne discute plus, on tire. »

Bien à vous.

Catherine
 

 

posté par Catherine L.

le 17 avril 2011.

12:13 Écrit par Theroigne dans Général | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

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