24/03/2013

Lux Æterna

1. LUX - Bateau .jpg

 

CARTE BLANCHE

A EDOUARD LECEDRE

 

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Fin 2012 ont été décernés les prix d’un concours de nouvelles « sur le cinéma », organisé par l’AFCAE (Association française des cinémas d’art et d’essai).

http://www.passeursdimages.fr/Prix-Jean-Lescure-concours-de

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Notre ami Edouard Lecèdre, qui n’est pas un inconnu pour les familiers de ce blog, y a obtenu – pour la deuxième fois ! -  le prix de la ville d’Antony. A l’occasion de cette carte blanche, Les Grosses Orchades vous en offrent la primeur.

 

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Lux Æterna

Tu dormais profondément, assis près de la fenêtre, la tête penchée contre la vitre, dans le doux balancement du train qui fonçait droit sur la fermeture éclair des rails rayant l’immense plaine jusqu’à l’horizon. Ce n’est pas la radio dans le compartiment voisin qui t’a réveillé, mais l’arrêt du train en plaine. La surprise a reflué lentement de ton esprit et c’est cet instant que tu choisis pour te lever et descendre du wagon.

 

2. Lux - Train en plaine .jpg


Tu as mis ton costume noir, ta chemise blanche, une cravate, noire aussi, qui oscille dans un vent du sud et de liberté qui t’invite à faire quelques pas droit devant, foulant l’herbe sèche qui bientôt deviendra un vaste champ qu’il faudra moissonner sous un ciel lumineux. Un long panoramique a achevé de te convaincre que nulle habitation n’avait germé du sol et tu te demandes bien ce que tu fais ici au milieu de cette lande déserte. Le soleil brille plein ciel, aucun bruit… le temps est comme immobile, et tu es là.

Tu pourrais commencer à angoisser pour peu qu’une musique à la Angelo B., celle qui noue ton estomac à chaque film de David Lynch, se mette à envahir progressivement la scène ; mais tu te rappelles que tu as décidé de mener un reportage, une sorte d’enquête un peu spéciale sur la nature profonde du cinéma et que tu ne dois t’étonner de rien. Même pas de la raison qui t’as poussé à entreprendre ce voyage, que tu sembles avoir oubliée de toute façon. Pourtant, te retrouver seul, ici, te semble bien étrange et tu aimerais t’appuyer sur tes talents critiques pour analyser rationnellement la situation. Aussi, un tourbillon de pensées s’empare-t-il de toi, car les mots te semblent malhabiles pour nommer quoi que ce soit en ce moment. Ça t’agace, toi un homme de mots. Alors tu convoques tes souvenirs professionnels à grands renforts d’anecdotes de la salle de rédaction de « 7ème art », ton journal depuis vingt ans.

Ça t’aide un peu, mais tu pressens que tes connaissances techniques ne pourraient pas t’aider. Inadaptées. Certes, elles sont éprouvées, mais les utiliser ici fait trop cliché. Et ça te fait rire ce mot, cliché, alors que tu baignes jusqu’au cou dans une réflexion sur l’art du mouvement.

C’est à ce moment-là que tes certitudes deviennent cette citadelle de verre qui s’écroule dans ton esprit. Tu es comme dénudé. Vierge du fatras de concepts qui t’avaient déguisé en enquêteur-explorateur, tu envisages timidement l’insolite et acceptes finalement l’idée que tu te trouves dans une autre dimension.      

-« Aaah ! » râles-tu bien fort pour te soulager. L’air est toujours aussi doux. Le train par quoi tout commença il y a plus d’un siècle, est toujours derrière ton dos. Tu es soulagé, tu respires, tu vas mieux et tu dis :

– « Une rencontre, peut-on m’accorder juste une simple rencontre ? » 

Il faudrait, à ce moment précis, un personnage à qui parler, là tout de suite, parce que tu viens d’acquérir une sérénité nouvelle, cette sorte de poésie de l’instant qui te rend un peu fébrile. Tu as une furieuse envie d’assommer quelqu’un en lui postillonnant au visage pour lui expliquer pendant des heures tout ce que tu ressens là, à l’instant, mais tu restes muet car tu penses que tu es le seul passager dans ce coin de désert.

Mais tu as tort.

Un simple crissement de gravier te fait retourner aussi vite qu’un éclair.

 

-« Vous avez donc pu venir jusqu’ici ? » - lance soudain un homme, debout à la place du train qui a disparu. Il est comme toi, habillé plus clair, le visage plus tranquille et porte des lunettes.

-« Vous êtes chargé de me guider n’est-ce pas ? »

-« Ou d’autres, nous verrons. »

Tu évalues cet instant particulier en apesanteur et acceptes l’évidence du silence relatif qui s’installe. Cependant, comme l’homme ne bouge pas, tu te sens obligé de le rompre. – « Je… » - commences-tu sans terminer, cherchant la suite dans le vague de l’horizon lointain. – « Je suis… »

-« Je sais qui vous êtes – t’interrompt-il. Vous êtes l’Ecrivain. »

On ne t’avait encore jamais affublé de ce titre éloquent à moins qu’on ne cherchât, comme à tes débuts, à te pervertir en te flattant grossièrement pour obtenir ta présence sur les plateaux TV, en faire-valoir d’un quelconque saltimbanque animateur  d’émission grotesque.   

-« Et vous ? » demandes-tu à ton tour.

-« Je suis graphiste - répond-il. Cinématographiste. »

Passé un bref moment de surprise, tu dis spontanément - « Nous sommes donc de la même famille ! Des cousins, oui… des sortes de cousins, c’est le mot qui me vient à l’esprit »

-« Si vous voulez. On peut le dire comme ça » répond-il d’un ton suave.

 

L’homme harmonieux te regarde, comme s’il lisait dans tes pensées. Il s’en amuse. Il faut dire que tu offres à cet instant un florilège de questions et d’interrogations propres à auréoler ta tête à la façon des peintures byzantines, tellement ton crâne est chaud et lumineux. Il n’a pas dit scénariste, ni metteur en scène, ni cinéaste, te dis-tu, car tu as une bonne mémoire. Il y a longtemps que ton imaginaire n’a pas été aussi déployé. Ce mot de cinématographiste, tu le dégustes comme un fruit tropical plein de jus, en le mâchant et le faisant tourner dans tous les sens. Tu savoures l’enchevêtrement de sens qu’il t’oblige à comprendre, à saisir et à découvrir, parmi tout ce que tu connais et tout ce que tu peux imaginer. Son odeur d’artisanat, de bois mouillé, de colle et de papier te fait apparaître Méliès et sa lune borgne. Tu entends le cliquetis de la manivelle d’une caméra énorme sur un trépied massif, cachée sous un drap épais. Tu imagines assister à un tournage, à la naissance d’un film et tu ne peux éviter de dénombrer les multiples appareils techniques mobilisés que tu t’amuses à reconnaître un par un, en bon critique que tu es, laissant divaguer ton esprit et ton regard tracer des lignes parallèles, en va-et-vient dans le ciel jusqu’à s’approcher lentement du sol pour s’attarder sur l’homme toujours immobile face à toi, le fixer, focaliser son regard, s’approcher de lui jusqu’à s’engouffrer dans la prunelle de ses yeux, lui que tu situes au centre de ce que tu cherches.

-« Vous souhaitez donc les rencontrer ? »

Il a lâché cela comme une évidence et au lieu de dire tout de suite oui, tu dis - « Est-ce possible ? »

-« Bien sûr ! Venez donc, suivez-moi, elles sont là-bas. »

Tu hésites et tu te trouves d’un seul coup rudement empoté.

-« Venez, venez, suivez-moi, n’ayez pas peur. »

-« Mais où m’emmenez-vous ? »

-« Là où elles sont bien sûr. Venez, vous dis-je. »

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Le fait qu’il fasse subitement nuit noire te paraît normal. Par contre, tu trouves curieux que le cinématographiste, qui trottine allègrement devant, soit beaucoup plus doué que toi pour éviter les obstacles du terrain que tu as l’air d’adorer, puisque lorsque tu ne te fiches pas le nez dans une branche, tu te tords les chevilles dans les ornières du chemin. Tu sais que tu es un piètre randonneur mais à ce point-là, tu t’étonnes. Tu progresses malgré tout et… Argh ! cette fois-ci c’est un caillou pointu qui s’infiltre dans ta chaussure. Le temps de sautiller et tu accroches ta manche à un branchage aussi inopportun qu’épineux.

-« Où êtes-vous ? » lance ton guide à la volée.

-« Ici, en bas, dans le trou ! » arrives-tu à dire sur un ton flûté.

-«  Ne faites pas l’enfant, venez, suivez-moi. Elles veulent bien vous rencontrer, mais, vous savez, elles sont si imprévisibles. Elles sont tellement sollicitées ! Vous les verrez peut être toutes à la fois, qui sait ? »

-« Moonff » réponds-tu recrachant la touffe d’herbe, à plat ventre sur le talus. 

Cette nuit noire comme l’encre te fascine. Pas tellement parce que malgré tes chutes et tes cabrioles, tu n’as jamais perdu de vue ton cicérone, mais l’impression de te déplacer dans un espace familier devient de plus en plus tenace. Le terrain est devenu plus doux. L’odeur, tiède, ne t’est pas étrangère. L’air sans souffle, presque palpable, tout cela te fait penser à …. non, pas à un théâtre, à… – « Mais bien sûr ! » cries-tu comme un savant heureux. – « Bien sûr, bien sûr, bien sûr ! » répètes-tu comme un idiot. - Une salle de cinéma, une immense salle de cinéma ! Et pourtant je suis dehors ! » Et tu exultes en dansant et en levant les bras – « Youpi ! » lances-tu à la nuit étoilée dans un saut extravagant. 

-« Humm ! »

Le cinématographiste, que tu avais oublié, se tient devant toi. Tu te figes aussitôt, un peu disloqué, et remets rapidement tout en toi, un peu en vrac, ce qui donne cette grimace en guise de sourire que tu lui offres faute de mieux.

-« Vous voulez toujours les voir ? Alors avancez, elles sont là. » - dit-il après que tu aies hoché plusieurs fois la tête.

 

Tu interrogeras plus tard ton ami car tu viens de comprendre que tu ne pourrais pas entendre ses réponses dans le vacarme qui tient maintenant lieu de décor. Comme une houle invisible, une immense clameur déferle régulièrement, pleine de cris, de vagissements, de murmures et de gazouillis, soufflant de partout à la fois des vents chargés de rumeurs, de cris d’extase et de ravissement, tels d’éternels ressacs hurlant et mugissant des multitudes de rires et de pleurs confondus en un gigantesque hourvari. Tu imagines des assemblées entières rire aux éclats, en même temps que des cortèges de plaintes étouffées. Tu perçois de timides gargouillis comme des cris étouffés mêlés à des râles de plaisirs. Tant de clameurs comme provenant de la Terre entière.

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Fasciné, tu ne vois pas l’étrange lueur changeante qui s’avance vers toi, qui s’approche, te frôle, t’envahit et te demande – « C’est donc vous l’Ecrivain ? »

-« Bonjour, oui, euh…, mais tous ces bruits… »

-« Tous ces bruits comme vous dites, ils vous font peur ? »

-« Oh non pas du tout ! Mais d’où viennent-ils ? »

-« Mais de vous…. et de tous vos semblables. »

-« Comment ça ? »

-« Ce sont les émotions, toutes les émotions humaines qui naissent dans les salles obscures. C’est nous qui provoquons tous ces merveilleux sentiments à chaque fois que nous nous offrons à vous, les humains, et c’est grâce aussi à cela que nous existons. Certaines d’entre nous sont tristes et vous pleurez ; d’autres sont amusantes et vous riez. C’est un tout, vous comprenez ? »

-« Mais qui êtes-vous ? »

-« Comment cela ? Vous, monsieur l’Ecrivain, vous n’avez toujours pas deviné ? Petit plaisantin ! Mais je suis I.A. »

-« Hya ? »

-« Non. I.A. »

-« I.A. comme Intelligence Artificielle ? »

-« Ah Ah ! Comme vous êtes drôle ! Non I.A. comme Image Analogique. Vous vouliez nous rencontrer n’est-ce pas, eh bien voilà, moi je suis une image historique. Oh, ne m’interrompez pas avant que je vous dise que je suis aussi, à la fois, toutes les images de ce que vous appelez le cinéma et qui ont été créées jusqu’à maintenant. Vous voyez, j’étais il y a un instant ce vaste panoramique d’un coucher de soleil sur une mer céruléenne et je suis maintenant ce joli profil de femme accoudée à son balcon. Qu’en dites-vous ? »

Evidemment tu es un peu sonné. Complètement ahuri, corriges-tu aussitôt par honnêteté intellectuelle. Finalement non, tu trouves que tu es ab-so-lu-ment abasourdi. Mais en même temps joyeux.

-« Tous ces bruits comme vous dites sont l’expression de vos cœurs humains lorsqu’ils nous voient dans ce que vous appelez un film. C’est fou la variété d’émotions que nous faisons naître, parfois sans le vouloir d’ailleurs. Nous sommes des images, des images de cinéma. »

-« Mais il a bien fallu vous créer ? »

-« Bien sûr ! Nous sommes nées en même temps que vous. »

-« C'est-à-dire ? »

-« Eh bien, vous savez, il y a bien longtemps, les images ont d’abord été fixes. Monsieur l’Ecrivain, ne me dites pas que vous ne connaissez pas cette histoire qui remonte aux premiers âges, de Lascaux, à la Renaissance, la peinture, puis la photographie… »

-« Et le cinéma ! »

-« Oui, vous les humains, vous êtes très inventifs. Il y a un peu plus d’un siècle, vous créâtes cet art merveilleux qui continue de vous envoûter. Savez-vous pourquoi ? »

Là, tu veux impressionner et marquer un point car tu viens de te rappeler que tu es un fameux critique de cinéma. Et tu dis : « le mouvement ? »

-« Bien plus que cela ! La vie ! La vie recréée mais en mieux. Une sur-vie en quelque sorte, surréelle, idéale et universelle. Des histoires que tout le monde comprend, ressent et veut vivre, comme si elles dévoilaient la pure vérité de la condition humaine. Je suis, nous sommes, des images éternelles. Vous comprenez ? »

 

Oui, tu commences à comprendre, mais l’émotion t’envahit à ton tour et tu ne peux rien dire. I.A. est maintenant un petit garçon qui rentre pour la première fois à l’école. Il a cinq ans et il est terrifié par tous les enfants qui courent en hurlant dans la cour de récréation. Personne ne lui a expliqué ce qu’il devait faire. Il attend et cherche désespérément un autre enfant perdu comme lui à qui il pourra prendre la main pour être moins seul. Tu ne sais plus si ce défilement d’images provient d’un film que tu aurais vu il y a des années mais tu es obligé d’admettre qu’elles ont une drôle de résonance avec une partie de ta vie. I.A. continue de parler et tu vois deux braves mecs, assez empotés, qui s’apprêtent à disperser les cendres d’un de leurs amis. Ils sont sur le bord d’une falaise qui domine la mer et il fait un vent du tonnerre. Celui qui porte l’urne funéraire se tient au bord du précipice et se met à déclamer une ode au défunt. Une ode complètement hors sujet par rapport aux circonstances. L’autre, qui est venu à reculons à cette cérémonie, porte un beau costume neuf, campe les bras croisés quelques pas en arrière et ronge son frein. Le vent lui arrive en pleine face. Il y a longtemps qu’on peut deviner ce qui va se passer, mais quand il reçoit le nuage de cendres en pleine poire, tu éclates de rire à t’en rouler par terre.

-« Vous voyez, je peux faire rire et faire pleurer le monde entier ! » - continue imperturbablement I.A.

-« Mais ce que vous me montrez là s’appelle un film, du cinéma ! »

-« Oui et non. De quoi est fait un film d’après vous ? »

-« D’images, d’images successives… »

-« Eh bien considérez que l’image dans un film est un peu comme l’ADN dans un corps humain. Un élément fondamental. Enlevez cette molécule et le corps n’existe plus. »

I.A. se métamorphose sans cesse et la tempête de clameurs commence à t’enivrer. Toi qui voulais une enquête spéciale, tu es servi ; mais surtout émerveillé, joyeux et excité comme si tu étais amoureux. Ton esprit rationnel ne se relâche pas pour autant et tu poses cette question : - « qui vous crée au juste ? »

-« Un petit peu vous Monsieur l’Ecrivain – répond I.A. électrique et espiègle. Puisque vous révélez l’imaginaire, d’autres après vous exploitent les mondes que vous avez créés. En particulier votre ami qui vous a conduit ici, le cinématographiste. C’est lui qui nous entraîne à chaque fois dans des histoires. Nous l’aimons beaucoup »

-« Il y a aussi tous les autres. Je veux parler des acteurs, des actrices, des…

-« Oh, n’allez pas plus loin, je les connais – rétorque I.A. en t’offrant une vue kaléidoscopique des stars hollywoodiennes.

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La fanfare des rires et des pleurs humains ne cesse de tourbillonner comme d’énormes volutes de mille sonorités. Tu veux la remercier pour ce voyage unique qu’elle te permet de vivre et tu penses évidemment à l’enlacer et l’embrasser, mais tu ne peux rien faire car elle n’est nulle part et partout à la fois, si changeante, si abstraite et bien là pourtant, si datée et si universelle. Tu te laisses bercer dans cet univers que tu as décidé de ne plus quitter. Tu planes comme après t’être empiffré de pâtisseries orientales et tu te tournes lentement vers elle.

-« Oui I.A. Que disiez-vous ? »

-« Je ne suis pas I.A. Je suis sa sœur »

-« Hein ! Mais qui êtes-vous ? »

-« Je m’appelle I. N. »

-« Hyène ? »

-« Non I.N. pour Image Numérique. Mais appelez-moi Noum, c’est plus joli »

-« Mais où est passée I.A. ? »

-« Elle est toujours là, ne vous inquiétez pas. D’ailleurs la voici. »

-« Oui je serai toujours là ma chère sœur, malgré les inventions et les trouvailles du génie humain. »

-« Pfft ! Rien ne vaut la netteté et la précision. »

-« Fi donc, rien n’égalera le grain ni la nostalgie. »

L’arrivée de Noum n’a pas fait varier le moins du monde le déferlement continuel des vagues de soupirs et de clameurs. Tu entends autant de cris d’épouvante que d’explosions de rires, de vrombissements sourds que de gloussements coquins. Noum t’éblouit. Elle est aussi… belle, dirais-tu, que I.A ? Non ce n’est pas ça. Tu cherches un mot plus adapté et tu te dis que tu manques terriblement d’inspiration. Envoûtante ? Bof ! Non. Tu penses finalement que numérique ou analogique, ce sont des images et peu importe, c’est la même chose.

-« Oui, peu importe c’est la même chose. » - leur lances-tu.

-« Qu’est-ce qui est la même chose ? » demandent en chœur les deux sœurs.

-« Eh bien, vous voyez, vous parlez en même temps ! Que vous soyez analogique ou numérique, vous êtes avant tout des images, et le rêve continue. »

 

Tu remarques aussitôt que ton intelligente répartie a provoqué un conciliabule secret entre Noum et I.A. Le tumulte environnant est devenu pour toi une sorte de musique de l’âme humaine. Tu attends patiemment, mais tu voudrais bien qu’elles t’associent à leur parlotte mystérieuse. Elles se démultiplient à l’infini, en couleur, en noir et blanc, parfois en sépia. Tu les regardes et tu es pris dans une tornade de souvenirs, de fantasmes, d’angoisse, d’allégresse selon que tu reconnais en elles des souvenirs heureux ou pénibles ou des idéaux romantiques, gardiens éternels de tes inspirations. Ton cœur chavire à chaque seconde comme un frêle esquif pris dans un typhon symphonique.

 

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-« Monsieur l’Ecrivain, Monsieur l’Ecrivain, atterrissez et venez, suivez-nous. Elle veut vous voir elle aussi. »[JC1] 

-« Qui donc ? »

-« Notre nouvelle sœur. »

-« Comment ça une autre sœur ? »

-« Oui, vous allez voir, la voici. »

-« Bonjour Monsieur l’Ecrivain. Je m’appelle Dédée. Dédée tout court, pas d’Anvers »

-« Dédée ? »

-« En réalité mon vrai nom est D.D.D. ou 3D. Je suis une image 3D, en relief comme vous dites. Mais 3D c’est tellement disgracieux que je vous demande de m’appeler Dédée. La grâce, vous comprenez, c’est pour nous comme une nature profonde, immuable. »

Tu balbuties quelque chose qui ressemble à un mâchouillis incompréhensible pendant qu’une tornade d’images t’engloutit. Les montagnes russes ne sont rien à côté des plongées que tu dessines. Tu as l’impression d’être la tête en bas mais ce n’est qu’une illusion car une seconde après, droit comme un piquet et maître de tes sens, tu  dis à Dédée qu’elle paraît bien timide face à ses deux sœurs.

-« Oui c’est vrai. C’est parce qu’elles savent porter le subtil, montrer la beauté. Elles sont d’une puissance inégalée pour exposer l’indicible d’une impression, l’atmosphère délicate d’une situation. I.A. et Noum sont imbattables pour vous montrer la tendresse d’un visage, l’amour d’une femme, la honte d’un repenti, ou l’aube se levant sur la mer. »

-« Et vous non ? »

-« Non. Ou pas encore. »

Tu es intrigué d’autant que tu ne peux t’empêcher de contempler la sarabande hallucinée que forment à cet instant Noum et I.A., comme dansant ensemble en un tourbillon multicolore. Tu te demandes si tu peux te permettre de lui demander pourquoi.

-« Euh…et pourquoi ? »

-« Tout simplement parce qu’on m’a créée pour montrer avant tout l’angoisse et la frayeur. Ne sont-elles pas aussi d’intéressantes émotions ? Et sur ce chapitre, je suis la meilleure, n’en déplaise à mes chères sœurs, n’est-ce pas mes petites chéries ? » 

-« Tout est relatif. Tu devrais le savoir ma chère Dédée. »

-« Et rien ne dépassera dans le cœur des gens ma beauté analogique ! »

-« Parle pour toi, rien ne pourra remplacer la pureté et la netteté de mes lignes ! »

-« Ah Ah Ah, Laissez-moi rire ! », roucoule Dédée tout en virevoltant.

 

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Décidemment l’image est facétieuse et tu t’apprêtes encore une fois à jouer les arbitres en disant qu’une image…..

-« Est une image, oui on sait – t’apostrophent-elles. Mais quand même, il y a des différences. Venez, je vais vous montrer quelque chose » gazouille Dédée.

 

Tes oreilles semblent se transformer en feuilles de chou géantes au surgissement d’une énorme vague de hurlements titanesques qui enveloppe tout ce qui était encore de la musique auparavant. Un flot d’images s’abat sur toi et te transperce de part en part. Les trois sœurs t’offrent la même image d’un clown hilare.

-« C’est malin ! Quelle bourrasque ! Qu’est-ce que c’était ? » - souffles-tu.

-« Le retour de l’abominable monstre vert de l’espace – me répond Dédée. Je suis très fière de cette image en relief. Elle fait partie d’un film qui va bientôt sortir comme vous dites. Vous verrez, quand la tête fumante du monstre vous arrivera droit dessus, vous ne pourrez pas longtemps rester muet. Comme je vous l’ai dit, le relief, la frayeur, la peur, sont mes spécialités. Mais je dois vous avouer que j’envie beaucoup mes sœurs lorsqu’elles sont le vent qui souffle sur le blé irlandais, ou l’odyssée de l’espace sidéral. »

 

Ton voyage dans ce monde enchanté t’emporte ailleurs. Tu sembles flotter mais c’est une impression. Tu  avances parmi les sons et les images dans un large couloir sans parois et tu vois au-dessus de toi la nuit étoilée. I.A., Noum et Dédée émettent leur flux de panoramas, de visages, d’objets, et, de-ci de-là, une image de dessin animé ; elles tournoient maintenant autour d’une ombre qui t’intrigue assez pour t’approcher un peu. Une sorte de silhouette se tient debout au centre comme le pivot de leur maelström. On dirait un homme qui semble leur parler et…mais oui, tu retrouves le cinématographiste que tu avais totalement oublié. Il te voit et te sourit. 

-« Etes-vous heureux de les avoir rencontrées ? »

-« Grâce à vous j’ai vu le monde entier. Ce monde est tout entier rassemblé ici et je ne souhaite plus en sortir. »

-« Dans ce cas, il vous faut voir tout le monde. Venez les rejoindre. Elles sont autour de leurs sœurs »

-« Encore une autre sœur ? »

-« En fait deux sœurs, mais irrémédiablement unies. Elles sont siamoises. Ne faites pas attention, elles se chamaillent sans cesse. »

De toutes façons, plus rien ne t’étonne. Ton cœur a rejoint ton esprit comme dans une fête perpétuelle. S’avance alors vers toi dans un bouillonnement de couleurs irradiantes, un spectre qui glisse en virevoltant comme une valse, montrant ce que tu nommes une face et un dos, comme le verso et le recto d’une insaisissable et immense carte à jouer.

-« Nous sommes des sœurs jumelles… » chantent-elles en double.

-« Je suis B.A. » dit le verso.

-« Je suis PUB » dit le recto.

 

Comme tu es devenu familier des lieux, c’est avec aisance que tu t’engouffres dans leur tourbillon et dans les tours de l’ample valse qu’elles t’offrent. Tu as deviné leur identité puisque tu les vois à chaque séance de cinéma.

-« B.A. comme Bande Annonce, n’est-ce pas ? »

-« Oui mais appelez moi Béa c’est plus charmant. »

-« Et vous PUB, avez-vous un petit nom également charmant ? »

-« Vous savez que c’est déjà un diminutif et je m’en contenterais. » 

-« Ne faites pas attention Monsieur l’Ecrivain, ma sœur a mauvais caractère car elle est jalouse de mon statut diplomatique, alors qu’elle se considère comme un simple agent commercial, si vous voyez ce que je veux dire, -me susurre Béa dans une spirale baroque. – Je représente les films à venir et mon rôle d’émissaire fait de moi un important ambassadeur »

-« Que nenni ! - tempête vivement PUB qui écoutait patiemment jusque là. – C’est moi qui suis l’ambassadrice des marques et des produits, que vous, les humains, n’arrêtez pas d’inventer. Et c’est ma sœur qui n’est en réalité qu’un simple agent commercial pour vendre les films à venir ! »

-« Mais non ! »

-« Mais si ! »

 

Tu toupilles ainsi de pirouettes en pirouettes, tantôt dans l’aura de Béa, tantôt dans le halo de PUB, quand le flux d’images et de sons s’agrandit encore à la venue des trois autres qui t’aspirent et t’entourent dans leur farandole effrénée. La vaste clameur est une cataracte infinie qui te berce autant qu’elle t’exalte.

-« Mes amies – déclames-tu comme enivré – mes chères amies, vous êtes toutes des images divines. »

-« Divines je ne sais pas – proclament-elles d’une seule voix. C’est tout de même vous qui nous avez créées ! »

-« Oui, bien sûr, je voulais dire extraordinaires, éternelles, universelles, que sais-je encore. Vous comprenez, dire image est un peu plat. Je voudrais nommer ce que je ressens au plus profond de moi quand je vous vois toutes à la fois… »

-« Vous avez dit éternité, vous pouvez aussi ajouter lumière » te glisse Noum au-dessus de toi.

-« Luminescence » chuchote I.A.

-« Image éternelle… oui, c’est cela. » - balbuties-tu.

-« Nous sommes une lumière éternelle. Lux æterna. Oui, Monsieur l’Ecrivain, appelez-nous Lux æterna. »

 

Et te voilà transbahuté dans une explosion de lumières, d’images et de musique. Tu es comme ton guide tout à l’heure, droit au milieu des images-sœurs qui tournent autour de toi à donner le vertige. Elles t’entraînent, t’embrassent, t’enveloppent

-« Arrêtez, vous me chatouillez ! Ah Ah ! Non Dédée, pas sous les aisselles ! Ouaah Ah Ah ! Arrêtez, pas non plus ici Béa, pas la plante des pieds ! Ouaaah arrêtez de me chatouiller, Ah Ah Ah ! Pas les cinq à la fois ! Noum ! Voyons ! Ouaaaargh !  J’en peux plus ! »

-« Monsieur… »

-« Ouah Ah Ah ! Arrêtez, j’en peux plus ! »

-« Monsieur ! »

-« Ouh Ouh Ouh !

-« Monsieur ! Réveillez-vous. »

-« ?!... »

-« Réveillez-vous Monsieur, nous sommes arrivés. »

-« Hein ! Quoi ! Que dites-vous ? »

-« Nous sommes arrivés à destination Monsieur. »

-« Comment ça ? Où sommes-nous ? »

-« A Cannes. C’est le terminus. »

 

L’air encore complètement ahuri, tu zigzagues vers la sortie alors que, farfouillant dans tes poches, tu sors cette drôle de carte de visite, blanche d’un côté, noire de l’autre, où deux mots minuscules aspirent tes yeux grands ouverts de stupeur : Lux Aeterna.  


Edouard Lecèdre

Août 2012

 

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ou

Une nouvelle illustration de la fable de David contre Goliath

Lors d’un récent voyage dans la blogosphère, je découvris qu’on avait écrit que Hollywood était une industrie qui, comme son ancêtre Moloch, soumettait à ses lois - celles du marché et de la propagande - tous les cinéastes, même les plus talentueux. C’était vrai ; presque vrai. Au moment où, vêtu de noir, je m’apprêtais à rejoindre le  long cortège funèbre de la mort du 7ème art, abattu par cette irréparable disparition, le téléphone sonna dans le vestibule.

« Allo ? C’est Stanley. Stanley Kubrick »

« ….. ? »

« Allo, vous m’entendez ? »

« Euh oui, mais je croyais que… »

« Je n’ai hélas pas le temps de vous expliquer. Enlevez tout de suite ces vêtements funestes ! Il n’y a pas de funérailles ! C’est un mensonge, c’est un coup de la propagande ! »

Inexplicablement, comme envouté par une évidence, je savais que c’était bien Stanley Kubrick qui me parlait. Le temps pressait, je le sentais. J’allai donc à l’essentiel, le cinéma, et laissai les questions métaphysiques pour plus tard (même si une telle occasion d’en savoir un peu plus sur l’après ne se présenterait pas de si tôt). 

« Mais…. Stanley, le cinéma est mal en point, vous le savez bien ! »

« Mal en point mais pas mort. Deux films vont sortir ce mois-ci, qui vont vous le prouver. Notez que ce sont deux films américains, réalisés par des américains. Deux grands seigneurs qui ont mis le système à genoux. »

« Ils sortent en mars ? Un rapport avec votre mort en mars 1999 ? »

« J’ai effectivement voulu que ces sorties aient lieu au mois de mars »

« Je vois que vous continuez à n‘en faire qu’à votre tête ! Puis-je savoir comment vous faites ? »

« Simplement je ne me laisse pas faire. La différence, là où je suis maintenant, est que j’embête beaucoup plus de monde qu’auparavant….Bon, je n’ai plus beaucoup de temps et je vais devoir vous quitter. Allez voir ces deux films et vous comprendrez que la résistance est possible. Soyez attentif car il y en aura d’autres… Au revoir »

Un bip interminable fut le point final de cette conversation.

Quelques jours plus tard, le premier OVNI sortait sur les écrans : A la merveille (To the wonder) de Terrence Malick. La semaine d’après, ressortait après trente trois ans de purgatoire, le film maudit qui coula la major United Artists : Heaven's Gate (La porte du paradis) de Michael Cimino.

Deux films américains, totalement hors normes, très différents l’un de l’autre, mais dont, parmi leurs points communs, l’audace s’impose tout de suite. L’audace de s’être opposé au colosse hollywoodien. D’avoir osé s’opposer sonnerait même plus juste. Puis le courage d’avoir tenu bon dans la durée malgré l’infernale pression. Enfin la détermination, l’indéfectible ténacité qui permit à Cimino et à Malick, d’aller jusqu’au bout de leur œuvre, de leur désir, de leur vision. Deux artistes.

10. Lux - MichaelCimino directing Heaven's Gate.jpg

La porte du paradis est sorti en 1980. Western de plus de trois heures et demi, dont le tournage dans le Montana s’éternisa des mois et des mois, sans scénario précis, avec une héroïne (Isabelle Huppert, 27 ans, dans le rôle de Ella Watson, une prostituée française) inconnue des producteurs américains qui firent tout pour la rejeter (n’hésitant pas à l’appeler des States en pleine nuit pour sonder son niveau d’anglais), mais que Cimino imposa contre vents et marées, chantage, pressions en tout genre, ce film-monstre pour les esprits américains provoqua la faillite de la major United Artists. Ce fut un bide en Amérique, mais un succès critique en France. Un échec moins à cause de son format inhabituel (surtout pour un western), qu’en raison de son propos, de son esthétique, de sa musique, bref de son écriture cinématographique. Si, selon les codes en vigueur, c’est un western, La porte du paradis est surtout un film politique qui a mis KO l’establishment US et ses mythes fondateurs. Point d’Indiens, ni de duel où le bon s’en sort seulement blessé (au bras le plus souvent), ni de hold up qui tourne mal (le bon vieux toubib, ou la jeune fiancée, reçoit une balle dans le front), ni de saloon avec les pochards, les joueurs de poker qui finiront pas s’entretuer, ni de cavalerie (au triple galop au son du clairon).

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A la place, il y a des miséreux arrivés tout droit d’Ukraine, de Bulgarie, de Roumanie, de Hongrie, bref d’Europe Centrale, qui ayant fui la misère européenne, essaient de survivre dans une autre, celle de l’Ouest américain, en cherchant à s’installer dans les grandes plaines. Ils poussent et tirent d’énormes charrettes, où s’entassent leurs affaires; femmes et enfants poussant jusqu’à l’épuisement, l’homme devant, tirant comme une bête. Seulement voilà : les WASP éleveurs ne veulent pas de ces gueux, ne veulent pas partager la terre ; ne veulent surtout pas que ce nouveau monde rende ces concurrents prospères. Ces patriciens vont donc les exterminer en louant les services de mercenaires avec l’accord des politiques et même du Président des Etats-Unis. Une boucherie ; mais les gueux se défendront avec pugnacité et ruse (aidé par le héros blanc – Kris Kristofferson-, un brillant sujet de West Point en rupture de classe, qui reniera cet ordre et finira sa vie en solitaire). L’ordre blanc doit perdurer ! On pense aux Roms d’aujourd’hui, à tous les Africains qui s’échouent sur les côtes de l’Europe du Sud. 

 

Il y a aussi un bordel et des prostituées, filmées avec grâce. Elles seront tuées par les soudards puritains. Il y a ce peuple, filmé comme un documentaire, qui évoque incontestablement l’esthétique russe des films de Eisenstein ou de Tarkovski ; un peuple qui ne sait pas se battre, est inorganisé, dont les chefs ont la bêtise de défendre leurs oppresseurs par docilité et obéissance à la loi (allusion claire aux dirigeants juifs de Varsovie et d’ailleurs qui servirent les intérêts nazi en croyant agir pour leur sauvegarde) mais dont la majorité se soulèvent pour vivre et survivre. Il y a la musique d’Europe Centrale, ce morceau d’anthologie du bal en patins à roulettes. 

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Des esprits chagrins pourraient me rétorquer qu’en 1980, il était encore possible de faire un tel film aux Etats-Unis et que, malgré tout, Cimino a su habilement exploiter les libéralités de la décade des années 70 qui fut prodigue en films critiques de la société américaine (car effectivement après, l’ère reaganienne et les rejetons qui suivirent mirent tout le monde au pas). Eh bien j’affirme que non. D’abord il n’y eut pas tant de films critiques que cela. Mais ceux qui le furent employèrent rarement la forme quasi sacrée du western, qui est le logos fondateur américain et qui est devenue rapidement la figure esthétique légendaire qu’on n’ose plus égratigner. Et parmi les westerns critiques ou démythifiants, Cimino est allé à l’essentiel, au noyau dur de la société américaine, celui des rapports historiques de classe, très crus et très violents, de cette Amérique, et ce, à travers une écriture filmique éblouissante, sachant réunir sans dogmatisme ni dispersion la grande et la petite histoire, le sublime des panoramas et la précision des scènes de genre, sachant montrer, malgré tout, les ambiguïtés tant chez les miséreux que chez les dominants sans perdre la réalité des rapports sociaux, et sachant conjuguer grandes séquences cinétiques d’ample dramaturgie (les valses, les chevauchées circulaires..) avec tableaux statiques d’ensemble tels des peintures classiques.

 

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Mais qu’en est-il en 2013 dans un système hollywoodien plus impérial que jamais ? Trouve-t-on encore des francs-tireurs ?

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 Deux ans après Tree of life, film assez kubrickien, du moins dans sa fresque diachronique de l’histoire du monde, (de la création à nos jours) et qui en sidéra plus d’un, le mystérieux Terrence Malick sort son nouvel opus sous le titre To the Wonder, traduit par A la merveille, un titre qu’il eût mieux valu laisser en anglais (imaginez «l’arbre de vie » et on croira que c’est un film publicitaire pour recruter chez les cathos, ou plutôt chez les adeptes de sectes à la Coelho).

Sur le plan du mystère, Malick est au cinéma ce que Thomas Pynchon est à la littérature. Nul ne sait réellement où il vit. Il n’apparaît jamais en public, évidemment pas dans les medias. Son futur biographe aura bien du mal à nous resituer sa vie, à moins qu’il en reçoive les éléments de la bouche même de ce cinéaste hors du commun. Universitaire brillant, auteur d’une thèse sur Heidegger, il tourne La ballade sauvage (Badlands), son premier film à l’âge de 30 ans en 1973, suivi cinq ans plus tard du stupéfiant Les moissons du ciel (Days of Heaven), un tournage halluciné qui surprend encore aujourd’hui. Puis Malick disparaît pendant vingt ans sans donner de nouvelles. Personne ne sait aujourd’hui ce qu’il a entrepris pendant cette période. Ce fut donc un événement quand, en 1998, il sortit son troisième film : La ligne rouge (The Thin Red Line) magnifique fresque humaine sur la boucherie de la bataille de Guadalcanal. Ce film ouvre un nouveau cycle de recherche formelle et de sujet qui va se prolonger avec Le nouveau monde (The New world, 2005), Tree of life (2011) et aujourd’hui A la merveille.  

Terrence Malick est le seul cinéaste qui, à l’instar de Stanley Kubrick, peut réaliser des films-monde, à gros budget, non commerciaux, totalement en dehors des modes du moment, faisant fi du marketing pourtant roi dans ce secteur, tout en soumettant le système de production à sa volonté. Ainsi, il impose dans ses contrats qu’aucune photographie de tournage ne sera prise ; qu’il ne donnera aucune interview avant, pendant et après. Pareillement pour les acteurs. Avec lui, les délais de tournage sont plutôt élastiques, ne dépendant que de sa création. C’est pour cela qu’il fait immédiatement penser à Kubrick. 

Avec A la merveille, Malick, comme les grands artistes, poursuit son travail de recherche sur le même thème depuis des années : celui de la brisure, de l’égarement, de l’errance existentielle, de la discontinuité relationnelle qui caractérisent la vie des êtres d’ici-bas. Celui, parallèlement, de leur quête aveugle et éperdue pour y trouver un sens. Par rapport à Bergman, dont on le rapproche assez vite, Malick oriente sa recherche sur le plan métaphysique. Si Tree of life était empreint d’un mysticisme animiste hésitant entre délivrance ou réconciliation et entre pessimisme de la destinée humaine, le film A la merveille est franchement nihiliste quant au sens de la vie sur Terre. Les personnages (un couple, un prêtre), se comportent comme des êtres perdus, non pas à la recherche de l’amour, mais plus cruellement, comme des personnes dotées d’amour mais qui ne savent pas quoi en faire. L’amour, ce sentiment immense, est trop grand pour elles. L’homme, la femme l’ont reçu comme en héritage d’un Créateur qui les a abandonnés et qui est parti il y a très longtemps. Ils pataugent dans un quotidien insipide, à la recherche d’un sens de la vie qui les dépasserait, mais tournent en rond, insatisfaits. Le prêtre a perdu la foi et se sent abandonné.

Cette Amérique, Malick la filme sans détour, mais avec beaucoup de grâce, ce qui fait d’autant ressortir la misère de ce pays. Le rêve américain tel qu’on nous bassine depuis des décennies ? : les maisons éventrées, les exclus, les malades, les gens floués par les mensonges publics, toutes les victimes du système capitaliste ; les paysages vides, les supermarchés, les lotissements mortifères, au bout de nulle part, où on hésiterait entre se saouler sans cesse ou se tirer une balle pour en finir plus vite. L’amour est donc là mais en vain. Pourquoi ? La faute à nous même, à la manière dont nous nous organisons pour vivre. Seule subsiste la beauté de la Nature, les animaux, les arbres, l’herbe, l’eau, le vent.

Et regarder par exemple la femme cueillir du bout de la langue une simple goutte de pluie suspendue au bout d’une branche, dans une lande pleine de brume hivernale, ou la voir s’extasier au contact de ses mains sur le gravier d’un chemin, sur fond de la musique lancinante et si évocatrice du compositeur polonais Henryk Görecki est terriblement émouvant.  

« Allo ! C’est Stanley. Alors, vous les avez vus ? »

« Oui. Sacrés films ! Je viens d’écrire un article pour le blog d’une amie »

« Bon. Très bien. Sachez qu’il y a d’autres résistants dans le cinéma que ces deux là, plein d’autres qui sont tombés dans l’oubli ou qui peinent à exister, comme mon ami Elia Suleiman »

« Où dois-je chercher ? »

« Regardez du coté des Russes, de l’Asie. D’une manière générale vous ne vous étonnerez pas d’en trouver dans les pays de la périphérie. Mais attention ! Là aussi, il y a de la propagande et des produits avariés, plus qu’on ne pourrait le penser. Ah oui, avant de vous quitter, regardez aussi du côté des documentaires, un genre qui n’existait pas de façon aussi militante de mon temps. Comme quoi…. »

« Stanley ? »

« Oui »

« Votre prochain film ? »

« Eh bien, je pense que je vais… »

Un crachouillis. Puis une voix métallique : « pour des raisons de saturation du réseau, nous nous excusons de cette interruption momentanée du son »

 

 Edouard LECEDRE

Mars 2013



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Bandes-annonces

en ordre chronologique

 

La porte du paradis

 

Vu l’importance historique du film, nous prenons sur nous d’y ajouter :

Une critique… de 2007 (et alors ?) sur Citizen Poulpe

http://www.citizenpoulpe.com/la-porte-du-paradis-michael-cimino/

Et une autre, du 3 mars dernier, sur  Il a osé

http://ilaose.blogspot.be/2013/03/la-porte-du-paradis.html

 

Tree of life

 

A la merveille

 

 

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Note des Grosses orchades 

par Catherine

Que notre ami Lecèdre me pardonne, mais il me semble qu’en défendant avec chaleur une œuvre qui mérite certainement de l’être tant pour le fond que pour la forme (Heaven’s Gate), il donne implicitement raison aux contempteurs d’Hollywood auxquels il fait allusion au début de son article. (C’était il y a peu, sur le blog de Georges Stanechy, à propos du Django Unchained de Quentin Tarantino,  porté aux nues par l’animateur du blog : http://stanechy.over-blog.com/article-mali-afrique-tarentino-vous-l-explique-115470331.html ).

Les mots « Le second et dernier chef d’œuvre de Cimino » (critique d’Il a osé), ne sont pas moins définitifs qu’un couteau de guillotine ! Car ce n’est hélas pas Cimino qui a vaincu Hollywood, mais bien Hollywood qui a réduit Cimino pour toujours au silence.

Quant aux distributeurs en France de Tree of Life, qui n’ont pas traduit ce titre, ils n’ont jamais dû entendre parler de l’« Arbre de vie », un des plus anciens symboles de l’humanité, toutes civilisations confondues.

Enfin, à propos du film de Malick La ligne rouge, puis-je me permettre de rappeler que le roman dont il est tiré avait été inspiré en 1962 à son auteur James Jones par une autre bataille célèbre, celle de la Balaclava (Guerre de Crimée) qui a vu, le 25 octobre 1854, le 93e régiment des Sutherland Highlanders (vêtus de rouge), soutenu par un petit corps de Royal Marines et un autre de fantassins turcs, mettre en déroute la cavalerie du tsar au prix d’une indescriptible boucherie.

L’événement, monté en épingle par la presse britannique, s’est transformé en référence iconique aux qualités de l’uniforme rouge (ô propagande), dans une guerre conduite en dépit du bon sens, de plus en plus impopulaire.

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The Thin Red Line, tableau de Robert Gibb

« La fine ligne rouge» a inspiré un poème à Rudyard Kipling et, à George McDonald Frazer, un de ses romans historico-satiriques de la série des « Flashman » - dont deux sur douze ont été traduits en français, of course - : l’irrésistible Flashman at the Charge.

Et c’est en 1968 que Tony Richardson (pour United Artists !) a tourné le très peu conventionnel film anti-guerre The Charge of the Light Brigade, avec Trevor Howard, John Gielgud et Harry Andrews (excusez du peu) dans le rôle des inoubliables ganaches Lord Cardigan, Lord Raglan et Lord Lucan, ainsi que la belle Vanessa Redgraves, David Hemmings et une flopée d’autres, dont Laurence Harvey en prince russe. Ce film d’une actualité si brûlante – c’est la raison de ce grain de sel – mériterait certes un deuxième triomphal tour d’Europe. Mais si c’est Hollywood qui organise la distribution…


La charge de la brigade légère

 

 

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Voulez-vous tester vos connaissances cinématographiques ?

Une des lumineuses apparitions d’Edouard Lecèdre est sortie tout droit d’un film célèbre. Saurez-vous le reconnaître ?

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ET CARTE COUPE-FILE

AUX GROSSES ORCHADES 

(pour cause d’actualité non cinématographique)

 

 

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Nouvelles d’Orient et d’Occident

 

 

Rencontre entre Vladimir Poutine et le nouveau président chinois :


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IRIB- 22 mars 2013 - Le président russe Vladimir Poutine et son homologue chinois Xi Jinping ont affiché des relations au beau fixe entre les deux pays, qui devraient conclure des accords économiques, pour le premier déplacement à l'étranger du chef de l'Etat chinois depuis son investiture. Le chef de l'Etat chinois, accompagné par son épouse Peng Liyuan, a entamé une visite de trois jours en Russie en se rendant au Kremlin. « Nous sommes reconnaissants de votre décision d'avoir choisi notre pays pour votre première visite à l'étranger », a déclaré M. Poutine au début des entretiens. « Vous êtes le premier chef d'Etat que je rencontre », a indiqué de son côté M. Xi, investi la semaine dernière à la présidence de la République populaire après avoir pris les rênes du Parti communiste en novembre. « Nous sommes de bons amis, les relations entre la Russie et la Chine n'ont jamais été aussi bonnes », a-t-il souligné.

Source :

http://french.irib.ir/info/international/item/248482-rencontre-entre-poutine-et-le-nouveau-président-chinois

 

En relation avec ce qui précède, voir ou revoir pendant qu’on y est, l’article de Philippe Grasset : « Grande muraille souterraine en Chine et Red Scare US » sur notre post du 2 février dernier.

 

 

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Un peu de cancans pipoles, il faut avoir tout essayé :

L’épouse du président chinois, Peng Lyuan (49 ans) est une chanteuse immensément populaire dans son pays. 

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Contrairement à Carla Bruni, elle était célèbre bien avant l’ascension politique de son époux, et l’est restée davantage que lui jusqu’à son accession au sommet de la hiérarchie du pays.

Contrairement à Jiang Qing (Mme Mao Tse Toung), elle ne se mêle pas des affaires de l’état, quoique major-général de l’Armée de Libération Populaire. Elle chante principalement des airs traditionnels (chez les anglo-saxons on dirait du folk) mais ne dédaigne pas les chansons d’amour. Elle ne dédaigne pas non plus de chanter en costume national de l’une ou l’autre ethnie chinoise.

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Peng Liyuan et Xi Jinping ont une fille , Xi Mingze.

Agée de 21 ans, Xi Mingze a commencé ses études de traductrice à l’Université des Langues Etrangères de Hangzhou et les poursuit, depuis 2010, à l’Université de Harvard (USA).

 

Quelques tubes de la Présidente

 

Ma patrie (littéralement : Ma matrée)

Route céleste

Décor kitsch garanti made in China.

 

Et pour les deux suivantes, comme dirait le camarade Averty :  « A vos dictzionnaires ! »

 




 

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Nicolas Sarkozy et la justice

Ce vendredi 22 mars, l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, a été mis en examen « pour abus de faiblesse » dans l’affaire Bettencourt.

Quid des autres affaires ? Du meurtre d’un de ses bailleurs de fonds de campagne ? De crimes contre l’humanité dans la guerre de Libye ?. Il n’est question pour l’instant que de cette inculpation, dite « mise en examen », dans une affaire privée.

Sur le blog justice.be, des catholiques traditionalistes de droite (pléonasme) nostalgiques d’une certaine Allemagne et nantis de maîtres à penser qui ne sont pas les nôtres, se fendent quelquefois (assez souvent même) d’articles intéressants per se. Comme disent nos amis  du Cercle des Volontaires : « ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise » ?  Espérons-le toujours. En voici un :

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MISES EN EXAMEN :  APRES DSK, SARKO

Sarkozy est mis en examen. Normal, c'est un voyou ! Cela lui pendait au nez, comme elle pend au nez de tous ceux qui pour satisfaire leur addiction sont prêts à tout. Après DSK, voici Sarko et, croyez-le, c'est le plus dangereux des deux !

Lire la suite…

 

 

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Perquisition à Paris au domicile de la directrice générale du FMI, Christine Lagarde

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20 mars 2013 –

Des policiers ont perquisitionné ce mercredi le domicile parisien de Christine Lagarde, ex-ministre de l’Economie, des Finances et de l’Emploi du gouvernement Fillon (II) de 2007 à 2011, actuellement directrice générale du Fonds Monétaire International (FMI) en remplacement de Dominique Strauss Kahn, dans le cadre d’une enquête sur la vente de l’équipementier sportif Adidas à la banque Crédit Lyonnais.

« Mme Lagarde n’a rien à cacher », a déclaré son avocat Yves Repiquet précisant que sa cliente n’avait pas été entendue en l’état de l’enquête.

Pour solder un contentieux qui opposait la banque française Crédit lyonnais à l’homme d’affaires, patron de presse et ancien ministre Bernard Tapie, Christine Lagarde avait choisi de recourir à un arbitrage.

Le tribunal arbitral - une juridiction privée - avait condamné en juillet 2008 le Consortium de réalisation (CDR) - structure publique gérant le passif du Crédit lyonnais - à verser à Bernard Tapie 285 millions d’euros d’indemnités (400 millions avec les intérêts).

C’est sur cet arbitrage qu’enquête à présent la justice française, et dans le cadre de cette enquête que des perquisitions ont été menées non seulement chez Christine Lagarde, mais aussi au domicile et au bureau de l’ancien secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, de l’homme d’affaires Bernard Tapie et de Stéphane Richard, qui était directeur de cabinet de Christine Lagarde au moment de l’arbitrage.

A la fin janvier, les policiers s'étaient déjà rendus aux cabinets de l'avocat de Bernard Tapie, Me Maurice Lantourne, et d'un des avocats du CDR, Me Gilles August. Ils ont également perquisitionné les domiciles des trois juges arbitraux ayant soldé le contentieux, en l'occurrence l'avocat Jean-Denis Bredin, le magistrat à la retraite Pierre Estoup et l'ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud.

A suivre.

 

 

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Le racket général sur les comptes bancaires à Chypre crée un précédent qui pourra servir dans d'autres pays de l'Eurozone

Sur le site UPR de François Asselineau

Le 17 mars 2013

Le racket général sur les comptes bancaires à Chypre crée un précédent qui pourra servir dans d’autres pays de l’Eurozone

Voici 4 mois, le 15 novembre 2012, j’avais alerté mes lecteurs sur l’inquiétante situation financière de Chypre. Je l’avais même qualifiée de « nouveau cadavre dans le placard »  et j’avais souligné qu’elle  constituait « une redoutable quadrature du cercle pour les dirigeants de l’UE ».

Eh bien l’on vient d’apprendre, le 16 mars 2013 au matin, que les dirigeants de l’Union européenne, en concertation avec les dirigeants chypriotes et le FMI, ont fini par trouver une solution. Et quelle solution !

En fait d’aide, les bailleurs de fonds (Union européenne, Banque centrale européenne et FMI) sont en réalité convenus d’un plan de secours de 10 milliards d’euros dont le volet essentiel consiste en un véritable racket sur les comptes bancaires détenus par des particuliers à Chypre.

UN RACKET SANS PRÉCÉDENT SUR LES COMPTES BANCAIRES DES PARTICULIERS

Le racket, qualifié de « prélèvement » ou de « taxe exceptionnelle » dans la langue de bois des dictateurs qui ont mis la main sur le continent européen, va être opéré directement par les banques chypriotes sur chaque compte bancaire de particulier. C’est-à-dire sur à peu près chaque Chypriote adulte et chaque étranger disposant d’un compte bancaire dans l’île.

 

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 Source :

http://www.u-p.-r.fr/

 

 

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Et ce n'est pas fini...

 

Chypre et le moment russe

Jacques Sapir

23/03/13

La crise chypriote est en train de tourner au psychodrame tant pour la zone Euro que pour la Russie et ses relations avec cette zone Euro. On peut se demander comment on en est arrivé là, et comment un pays, dont le PIB ne représente que 0,3% du PIB de la zone Euro, a-t-il pu provoquer une telle émotion.

En fait, cette dernière est largement le produit de l’action de l’Eurogroupe, l’instance intergouvernementale des 17 pays de la zone Euro, dont les décisions inadaptées ont transformé ce qui n’était qu’un simple problème de recapitalisation bancaire en une crise d’une particulière gravité.

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Source .

http://www.toutsaufsarkozy.com/

 

 

 

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Mis en ligne par Catherine, le 24 mars 2013

 

 

 


 [JC1]

20:15 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Musique, Web | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

21/03/2013

Chasse au sorcier

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«  Poussez pas,  M’sieur McCarthy !... »

Nestor Burma, 1957

 

 

Chasse au sorcier

 

Sachez-le, bonnes gens, étourdis téléspectateurs : Vous n’avez pas le droit de regarder ni d’écouter, sous peine des flammes de l’enfer et du CRIF, les Bezébuth, Azazal, Maufé, Asmodée, Bélial, Shaïtan, Méphisto, Béhémot and C°, qui s’appellent

 

Dieudonné, Soral, Ramadan et Nabe

 

Arrière, maudits !

Vite un goupillon et de l’eau bénite !

Et vade retro Taddei !

Croiriez-vous que cet hérétique a le front de les montrer, et même de les laisser parler devant ses caméras ? Horreur et damnation… dehors !

 

Il faut que cette histoire fasse du bruit pour que nous, qui ne possédons pas d’étranges lucarnes, en ayons eu vent. Il faut dire que, auditeurs de France Inter blanchis sous le harnois, nous n’avions plus ouvert ce « poste » depuis le lourdage de Didier Porte et de Stéphane Guillon par les deux frères fouettards de la Sainte Hermandad du PAF, Hees et Val. Et nous ignorions – nous ignorons toujours – tout de ce qui se passe dans les talk shows à la française. Mais nous avons succombé à Internet et Internet charrie des vidéos qui ne sont pas toujours tristes

 

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Frederic Taddei, ici avec Stephane Guillon.

 

C’est ainsi que votre servante a découvert que de pieux batraciens de bénitier qu’elle ne connaît ni d’Eve ni d’Adam, viennent de vertueusement dénoncer urbi et orbi, le dénommé Taddei, qu’elle ne connaît pas non plus, pour avoir invité, sur son plateau, des gens qui leur déplaisent fort, notamment MM. Dieudonné, Soral, Ramadan et Nabe, qu’elle ne connaît pas assez pour que son opinion sur leur compte ait quelque valeur, contrairement à l’innommable BHL, qu’elle connaît hélas mieux, qu’il invite aussi, mais là, ils n’ont rien dit.

C’est donc en toute ignorance de cause  mais solidement à califourchon sur ses principes qu’elle (votre servante) va faire le tour de ce qui s’en dit et s’en écrit dans les toutes petites lucarnes du Net.

 

 

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mercredi 20 mars 2013

sur Le Grand Soir :

 

Le fusil en bandoulière et le cerveau dans la bétaillère...

Hanouna et Bidochon font de la télé en meute

Vladimir MARCIAC


                                          Regardez cet extrait  http://www.youtube.com/watch?v=AGCfUKGERpE de l’émission « Touche pas à mon poste » sur D8.
C’est un collector. Une avalanche de conneries satisfaites, de hargne (haine), onze minutes d’hostilité affichée à la culture et aux intellectuels, une chasse à l’homme, un appel à supprimer une émission où l’animateur laisse parler, une invitation à virer cet animateur, à reléguer toute émission vaguement culturelle à minuit. Ecoutez la définition du bon animateur (c’est celui qui coupe la parole !), la morgue d’une hyène manageant une bande de loups chassant en meute, le mépris du public, trop con, trop fatigué le vendredi soir pour qu’on lui impose une émission qui ne soit pas conçue pour des abrutis.

 

 3. Hanouna - .jpg.pngCyril Hanouna (photo) et ses comparses, dans une ambiance hystérique (trop de cafés ?) mènent l’hallali contre Frédéric Taddéï et son émission de France 2 « Ce soir ou jamais ». Taddéï, ils savent tous, ou presque, qu’il est nul, qu’il ne sait pas animer, qu’il invite (horreur !) des sociologues (textuel !). Et par conséquent, on ne comprend rien. Cyril Hanouna, pétant de suffisance, fait « du bruit avec sa bouche » et applique sur D8 la recette de Patrick Le Lay de TF1 sur le cerveau à garder disponible pour la pub.

Etrangement surexcité (fumé un bout de moquette ?), répétant à l’envi « Arrêtez ! », confondant audimat et qualité, animateur et censeur, exposés et saccades, sérieux et ennui, Cyril Hanouna demande à plusieurs reprises le licenciement de Frédéric Taddéï et propose même des lieux de reconversion. Cyril Hanouna, c’est M. Pôle emploi, le spécialiste des reconversions, apte à mettre Taddéï sur la bonne voie (spécialiste en rails, Hanouna ?)

Si vous voulez savoir exactement dans quel tiroir de l’Histoire de la télé sera placé Cyril Hanouna, c’est celui de la BD « Les Bidochon téléspectateurs » (achetez-là, ou feuilletez-là en librairie). Vous y verrez ce que vous venez de voir dans cette vidéo. Un producteur de télé qui engueule ses animateurs qui ne font pas assez d’audience avec leurs émissions de qualité et qui leur demande de s’inspirer d’autres chaînes : « C’est de la merde, c’est sur une autre chaîne, mais le plus important, c’est que ça marche ! » (page 22) » et qui hurle « Je veux de la merde, de la merde, et encore de la merde ! » (page 24).

Cyril Hanouna, c’est Robert Bidochon à qui l’on aurait eu l’étrange idée de confier une émission débile à une heure de grande écoute. Sans l’invention de la télé, Hanouna aurait réussi dans la vente des cravates dans un parapluie retourné sur les grands boulevards. C’est un bonimenteur creux, un baratineur ignare, inculte et fier de l’être. Il vous saoûle d’une voix de fausset, rit à se taper la tête (vrai, il le fait) à ses propres blagues qui n’arracheraient pas un sourire si son hilarité n’était relayée par son équipe sur le plateau et les invités, briefés, choisis au physique et à la docilité, mais pas au diplôme (de sociologue, mais quelle horreur, vraiment !).

« Arrêtez, avec votre culture ! Arrêtez ! »hurle Cyril Bidochon. Textuel !

Et de revenir, pour les mal-comprenants qui n’auraient pas pigé alors qu’il l’a répété dix fois déjà : « 4,3% des parts des marchés ! » c’est un échec, un désaveu. Arrêtez « Ce soir ou jamais ». Bref : expulsez Taddéï du Service public.

Et dans un brouhaha où les plus grandes gueules de ses invités font assaut d’une connerie si grasse qu’elle ferait honte aux pochtrons du café du Commerce, une voix s’élève, juste, minoritaire, celle d’une belle blonde (comme quoi…) qui dit :

« On ne va pas mettre que des nains qui crachent du feu et qui se sodomisent ».

Elle s’appelle Enora Malagré, c’est une comparse chargée de jouer le rôle d’opposante, c’est une amie de Bidochon-Hanouna dans la vie, mais, peu importe, elle a dit juste. Et on a envie de croire qu’elle y croit.

Elle a marqué les limites indépassables à cause du cahier des charges de D8. Limites qui brident l’audimat et les recettes publicitaires.

Ah ! que vienne le temps ou le JT de 20 h de France 2 sera présenté par un couple nu qui terminera par une fornication. Et la honte soit alors sur TF1 largué par les téléspectateurs. Et contraint de répliquer par un enculage de nains.

Ah ! regardez ce collector, ce ramassis de cancres déglinguant le prof, ces miliciens en attente d’huile de ricin, cette vengeance de la bêtise contre l’intelligence, ce triomphe entre soi de l’ignorance contre le savoir.

Ah, observez les pitres à qui le pitre en chef a fait distribuer de petites pancartes, comme naguère à « L’école des fans » de Jacques Martin (mais lui, c’était à des enfants de 6 ans), et qui dégoisent, leur petite pancarte en main (« zappe » ou « mate » l’émission de Taddéï), il ne faut pas la lâcher, le téléspectateur doit pouvoir suivre. Et ils ne la lâchent pas trop, pendant tout le débat. C’était entendu à la répèt. Vous donnez votre avis sur une émission culturelle, sur les qualités attendues d’un animateur, sur l’opportunité de laisser parler des sociologues sur une chaîne de service public, mais sans lâcher votre petite pancarte, c’est important ! Et alors, observez bien : certains ont conscience de leur infantilisation ; ils jouent avec leur pancarte, parfois la posent. D’autres, stoïques, toute honte bue, la tiennent bien droite. L’excité N° 2, un clone d’Hanouna, éructe ses débilités en la brandissant comme une pique sur laquelle il manque une tête, et on devine laquelle.

4. zappe-830c0.png

Ah ! que soit viré Taddéï, cette honte de la France et que prenne sa place Nabila, qui, sans emmerder quiconque, en une minute, fait péter l’audimat dans le monde entier avec son « Allô, t’es une fille et t’as pas de shampoing ». Qu’elle remplace aussi Hanouna puisqu’elle le pulvérise à l’audimat, par son génie.

http://www.youtube.com/watch?v=ukxq9INHudc

Mes amis lecteurs, achetez donc « Les Bidochon téléspectateurs ». Vous y rencontrerez Hanouna (pp 22 et 24, je l’ai déjà signalé), sa bande et son public dans tout l’album.

« À mort l’intelligence ! », lança un militaire espagnol en octobre 1936 contre un philosophe de l’université de Salamanque.

Hermann Göring (ou Joseph Goebbels, la source est controversée) s’est écrié : « Quand j’entends le mot “culture”, je sors mon revolver ».

Cyril Bidochon et sa troupe sont dans le ton : « A mort “ Ce soir où jamais !”» et « Quand j’entends le mot culture (ou sociologue), j’ouvre la grille de la cellule (une autre “case” dit Hanouna), celle du fond de la nuit. Taddéï, les intellectuels : arrêtez !, arrêtez !, arrêtez ! »

Ces lignes étant écrites, à chaud, sur le coup de l’indignation, un mystère demeure que je n’ai pas élucidé : pourquoi cette tentative d’assassinat contre une émission, peu suivie, et sur une autre chaîne ?

Quel est le mobile ? La connerie pure ? Hum !

Patrick Cohen avait déjà attaqué Frédéric Taddéï (de quoi il se mêle ?). Est-ce le début d’une offensive qui s’arrêtera quand les derniers lambeaux d’intelligence et de liberté auront été éradiqués, pour que, comme l’aurait dit Desproges, le QI moyen de la télé ne dépasse plus le chiffre de la température anale ? Et que la bien-pensance soit unanime sur tous les sujets ?

Vladimir Marciac.

Source :

http://www.legrandsoir.info/hanouna-et-bidochon-font-de-la-tele-en-meute.html

 

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Les choses avaient commencé ainsi :


 

 

 

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Daniel Schneiderman  (« Arrêt sur image »)  avait aussitôt réagi dans Libération :

 

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La liste de Patrick Cohen

Par DANIEL SCHNEIDERMANN

17 mars 2013

Eh bien, c’est dit. Il existe une liste noire d’invités sur France Inter. C’est l’animateur de la Matinale, Patrick Cohen, qui a benoîtement mangé le morceau. Cela se passe au micro de l’émission C’est à vous (France 5). Chroniqueur de cette émission, Patrick Cohen reçoit son collègue Frédéric Taddéï, animateur de Ce soir ou jamais, qui vient d’être transférée de France 3 à France 2. Et Cohen ne va pas le rater, Taddéï. A présent qu’il est passé sur France 2, chaîne amiral, Taddéï continuera-t-il d’inviter les maudits, comme il le faisait à l’abri de la (relative) confidentialité de France 3 ? «Vous invitez des gens que l’on n’entend pas ailleurs, mais aussi des gens que les autres médias n’ont pas forcément envie d’entendre, que vous êtes le seul à inviter.» Et Cohen cite quatre noms : Tariq Ramadan, Dieudonné, Alain Soral et Marc-Edouard Nabe.

Un théologien, un humoriste, un publiciste inclassable, un écrivain : voici la liste des proscrits, des interdits, des bannis, dressée pour la première fois, tranquillement, sur un plateau de télé convivial et sympathique. Instant de vérité. Deux quinquas se font face, deux animateurs professionnels, au sommet de leur carrière, que tout pourrait réunir, et dont on réalise en une seconde tout ce qui les sépare. Cohen : «Moi, j’ai pas envie d’inviter Tariq Ramadan.» Taddéï : «Libre à vous. Pour moi, y a pas de liste noire, des gens que je refuse a priori d’inviter parce que je ne les aime pas. Le service public, c’est pas à moi.» «On a une responsabilité. Par exemple de ne pas propager les thèses complotistes, de ne pas donner la parole à des cerveaux malades. S’il y a des gens qui pensent que les chambres à gaz n’ont pas existé.» «Qui ?» «Kassovitz sur le 11 Septembre.» «Si je dis "j’ai des doutes sur le fait que Lee Harvey Oswald ait été le seul tireur de l’assassinat de Kennedy à Dallas", vous m’arrêtez ?» «Evidemment pas.» «Quelle différence ? Tout ce qui n’est pas défendu est autorisé. Je m’interdis de censurer qui que ce soit, à partir du moment où il respecte la loi.»

Même si la liste Cohen mélange tout (quoi de commun entre les quatre ? Et pourquoi Kassovitz ne figurait-il pas dans la liste initiale ?) chacun en entend bien le point commun : les quatre proscrits, sous une forme ou une autre, ont dit des choses désagréables sur les juifs, Israël, ou le sionisme.

Mais soudain, Taddéï renvoie la balle. «Vous voulez que je vous fasse la liste des ministres condamnés, y compris pour racisme, que vous avez reçus dans votre émission de radio ?» «Y en a pas beaucoup.» Taddéï ne prononce pas le nom de Hortefeux, mais là aussi tout le monde a entendu pointer son nez l’éternelle concurrence victimaire : il est légitime d’être désagréable aux Arabes, mais pas aux juifs. Qu’on s’entende bien : c’est parfaitement le droit de Cohen, de ne pas inviter Ramadan, Soral, Nabe ou Dieudonné. Aucun cahier des charges du service public ne l’oblige à le faire. On a le droit d’estimer que Dieudonné n’est pas drôle, ou que Nabe n’est pas un grand écrivain. Cohen serait parfaitement fondé à dire «j’estime qu’il existe des théologiens plus pertinents, des humoristes plus drôles». Manchettes, sujets, invités : être journaliste, c’est choisir, trier, hiérarchiser. Mais aucune raison d’en faire une question de principe, et de proclamer que même la baïonnette dans les reins, on n’invitera pas Bidule. En reprochant à Taddéï d’inviter les proscrits, Cohen dit en fait «ce n’est pas parce que je ne les juge pas intéressants, que je leur barre l’accès au micro de France Inter. C’est parce qu’ils ont contrevenu à un dogme».

Se priver d’invités intéressants parce qu’on n’est pas d’accord avec eux est, pour un journaliste payé par le contribuable, une faute professionnelle. Et non seulement c’est indéfendable, mais c’est contre-productif. Aujourd’hui, les dissidents n’ont plus besoin de Cohen et de ses homologues, pour trouver un écho sur Internet. Avant, il était possible de décider qui étaient les «cerveaux malades», et de les condamner pour crime de pensée, comme dans 1984. Mais aujourd’hui, pour un animateur en vue, déclarer qu’il n’invitera pas Bidule, c’est hisser Bidule sur le piédestal de victime de la censure. Le pré carré audiovisuel, s’il veut rester un lieu crédible de débat d’idées, n’a donc plus d’autre choix que de s’ouvrir aux paroles jadis bannies, quitte à leur opposer une contradiction vigoureuse et argumentée, ou à les prendre à leur propre piège de la dialectique. Et de s’en donner les moyens.

Source :

http://www.liberation.fr/medias/2013/03/17/la-liste-de-patrick-cohen_889214

 

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De son côté Laurent Pinsolle (animateur du blog gaullistelibre et porte-parole de Debout la République) y était allé de son commentaire :

 

Taddeï donne une leçon de démocratie à Patrick Cohen

6. diavolo e suora campobasso - toilettes .jpg

Sur le plateau de "C à vous", Frédéric Taddeï et Patrick Cohen se sont écharpés sur la politique éditoriale de l'émission "Ce soir (ou jamais !)", désormais diffusée chaque vendredi soir sur France 2.

Ayatollahs médiatiques

 

C’est une vidéo qui fait du bruit sur les réseaux sociauxavec des dizaines de milliers de vues en quelques heures : Frédéric Taddeï et Patrick Cohen ont confronté leur vision du débat d’opinion dans une passe d’arme qui s’est soldée par un KO du premier sur le second.

Patrick Cohen, orwellien censeur de la pensée

Le débat a démarré sur les chapeaux de roue avec un Patrick Cohen affirmant que "vous invitez des gens que l’on n’entend pas ailleurs et que les autres médias n’ont pas forcément envie d’entendre" citant Tariq Ramadan, Alain Soral et Dieudonné. Taddeï a répondu : "libre à vous de ne pas les inviter (…) pour moi, il n’y a pas de liste noire, ce n’est pas à moi d’inviter les gens en fonction de mes sympathies ou de mes antipathies (…) si j’étais sur Fox News, je ferais comme vous".

 Lire la suite…

Source :

http://www.gaullistelibre.com/2013/03/frederic-taddei-don...

 

 

 

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Mais la police de la pensée avait peur que l’impie bouge encore. Un autre ulcéré du PAF monta alors au créneau : Claude Askolovitch.

 

7. Police de la pensée . jpg.jpg

 

Journaliste sportif à l’origine, Claude Askolovitch, est rédacteur en chef au JDD ( Journal du Dimanche), éditorialiste à Europe I, chroniqueur chez Itélé, et, si j’en crois Wikipedia, chroniqueur dans Avant-Premières, les jeudis soirs sur France 2.  Il est aussi l’auteur d’une biographie de Lionel Jospin et devait en écrire une de DSK quand les événements qu’on sait se produisirent… Il a aussi publié un pamphlet contre Ségolène Royal, sous forme d’entretien avec Eric Besson. Bref, c’est un apparatchik du PS. Ses avis et il les partage (sur Twitter paraît-il) :

« On dira que Taddei valide des salauds que d’autres émissions ne valident pas, ou pas encore. Un éclaireur de la perversité innocente … »

(Innocente mais néanmoins promise au bûcher. Pour son bien.)

« En même temps, d’autres salauds ont leur rond de serviette dans le PAF, parfois en cool chroniqueurs »

« Evidemment, Patrick Cohen a raison et Taddei valide en les invitant quelques salauds. »

Ah les braves gens ! Ah les trotskistes engraissés par la CIA ! Ou d’autres…

 

 

 

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Un dénommé Haziza (Frédéric, journaliste de la Chaîne parlementaire LCP et radio J) aurait, lui aussi joint ses aboiements à la traque. Sur quel réseau social ? Je n’en sais rien. Ici, par principe, nous ne les fréquentons pas. En revanche, le quidam venait de s’exprimer sur les morts rapprochées de Stéphane Hessel et d’Hugo Chavez. Cela nous a donné une vague idée du niveau. Nous empruntons – une fois n’est pas coutume – les réflexions qu’en a tirées un Atelier d’E & R.

 

Qui se réjouit de la mort d’Hugo Chavez ?

par Jean C.

 

L’utilisation à grande échelle des réseaux sociaux a ceci de particulier qu’elle confère aux personnalités du monde médiatico-politique, aux artistes ainsi qu’aux internautes lambda un sentiment d’impunité. Les conditions d’expression en vigueur sur la toile ont favorisé la mise en place d’un climat étrange où s’imbriquent narcissisme, réactions à l’emporte-pièce et invectives à connotations tribales.

Les réactions qui ont suivi l’annonce du décès d’Hugo Chavez le 5 mars dernier nous l’ont une nouvelle fois illustré. Tout juste remis de leur séance de glaviotage collectif sur le cadavre de Stéphane Hessel [1], les habituels chiens de garde du sionisme radical dans l’hexagone se sont empressés de déverser un flot d’injures et de commentaires orduriers sur la dépouille du leader de la révolution bolivarienne.

 

Lire la suite…

 

 

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Cohen-Askolovitch-Haziza-Hanouna : la curée des rabbins du PAF contre Frédéric Taddéi

A quoi sommes-nous obligés d’assister depuis quelques jours ? Après le clash au sein de « C à vous » [ils le prononcent comme ils l’écrivent ?], sur France 5, entre Patrick Cohen et Frédéric Taddeï, le 12 mars dernier, c’est Cyrille Hanouna, sur D8, de s’en prendre avec violence à l’émission de débat du vendredi de France 2, le 15 mars, et à son animateur.

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Commentaire d’un lecteur du Grand Soir (Yves T.) qui m’évitera d’en faire un moi-même :

Les "controversés" :


Tariq Ramadan, intellectuel "controversé"...


Marc-Edouard Nabe, écrivain "controversé"...


Dieudonné, humoriste "controversé"...


Alain Soral, polémiste "controversé"...


Michel Collon, journaliste "controversé"...


Hugo Chavez, Chef d’état "controversé"...
etc...etc...


Quels points communs entre tous ces "controversés" tels que les nomment les médias ? Ils sont d’extrême-droite ? pas tous. D’extrême-gauche ? non plus. Tous fachos ? ... Je les trouve personnellement extrêmement différents les uns des autres... 
Leur seul tort : avoir publiquement et sévèrement critiqué Israël, sa politique de colonisation et ceux qui la soutiennent. Et ça c’est pas bien... On peut le dire, mais doucement, et eux l’ont dit trop fort et sans prendre de gants.
Taddéï, lui ? son seul tort, oser inviter des "controversés" qui, selon nos médias dominants, devraient être interdits de parole...

 

Et un controversé, un !

 

8. ahmadinejad cornuto.jpg


Les téléspectateurs français et bailleurs de fonds de la télévision « de service public » seront-ils assez pleutres pour laisser brûler la sorcière ou se débrouilleront-ils pour rappeler leurs commis au plus élémentaire des devoirs ? Je ne parierais pas lourd sur cette dernière hypothèse. Qu’en pensent Porte et Guillon ?

 

 

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Réflexion inévitable entraînée par ce qui précède :

 

Qu’en est-il de la double (triple, quadruple) nationalité des « citoyens israéliens » ?

Quel usage en font-il ?

 Est-elle compatible avec nos Constitutions ?

Il fut un temps où quelqu’un qui naissait d’un père, mettons, italien et d’une mère française (ou l’inverse), devait obligatoirement, lorsqu’il atteignait sa majorité, opter pour la nationalité d’un de ses deux parents, à laquelle il devait, s’il était de sexe masculin, un service militaire.

Cela n’a pas été sans créer des situations parfois cruelles : quand les pays des deux parents se faisaient la guerre par exemple. Ou quand le pays qu’on avait choisi était partiellement annexé par l’autre, comme ce fut le cas pour les enfants de parents germano-français ou germano-belges quand l’Allemagne nazie « reprit » l’Alsace et les territoires germanophones belges et incorpora de force les jeunes gens mobilisables dans les armées du Reich (Qui a oublié les « Malgré nous » ?)

Quand, après la Révolution portugaise des Œillets, les vrais maîtres du monde, quels qu’ils soient, conscients du danger que représentaient des conscrits susceptibles de mettre inopportunément la crosse en l’air, supprimèrent d’un coup les armées nationales et revinrent au mercenariat d’antan, la question de loyauté militaire ne se posa plus, mais sans être juriste, je parie que les dispositions relatives à l’option de nationalité n’ont guère dû changer.

Sauf pour Israël, seul pays au monde qui ait unilatéralement décidé que ses ressortissants pouvaient avoir autant de nationalités qu’ils voulaient, en plus de la sienne, étant entendu que la sienne avait la primauté sur les autres. Cela s’appelle de la colonisation sans conquête par les armes. Encore fallait-il que les personnels politiques des pays concernés fussent d’accord. En ce qui nous concerne (Europe de l’Ouest) et en ce qui concerne les Etats-Unis, ils le furent.

C’est ainsi qu’on voit des « citoyens français » aller servir militairement Israël, se livrer à des actes de grand banditisme comme l’arraisonnement avec meurtres de bateaux de pays souverains dans des eaux internationales, déloger, déporter, enfermer des populations civiles, massacrer des enfants au phosphore blanc, etc. etc. etc. et s’en revenir ensuite « chez eux » en France, comme on va aux putes, pour se délasser, faire de la planche à roulettes dans les couloirs de l’Elysée et dicter quelques ordres à leurs présidentiels laquais, avant de retourner casser du bougnoule. Bientôt, on les verra lancer leurs dogues sur les femmes voilées des gourbis et sur les femmes non voilées des pavillons de banlieue, comme déjà ils déversent des pots de peinture sur M. Jacob Cohen : pour le fun. Aujourd’hui, c’est le tour de Taddei.

Avons-nous dit qu’on a les gouvernements, les journalistes et les animateurs de radio-télé qu’on mérite ?

 

Théroigne

 

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Mis en ligne par moi le 21 mars 2013

16:21 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Web | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

10/03/2013

Un interlude mosaïque

00. Déshydratation.jpg

Aline de Diéguez

Interludes

Rencontre avec deux génocidaires

 

1 - L'Elu

2 - Convocation de l'Elu par le Très-Haut

3 - Descente de la montagne

4 - Grosse colère du Tout-Puissant et pulsion génocidaire

5 - Le grand ébranlement

6 - La bête cachée sous les ailes des anges

7 - Lendemains de carnage

 

Dès mon arrivée, il m'a fascinée et terrifiée.

Hiératique et olympien, il trônait au milieu de ses ouailles. Sa bouche aux lèvres serrées, encadrée des boucles soyeuses d'une barbe bien peignée avait le pli amer et hautain qui marque de son sceau l'Elu, le chef, l'homme d'action.

La tête légèrement tournée de côté, le menton imperceptiblement relevé, il siégeait, aussi immobile et colossal qu'une statue de marbre. Des yeux enfoncés dans les orbites et abrités par des sourcils proéminents accentuaient la sévérité du visage. Indifférent aux frôlements d'ailes des silhouettes qui vaquaient gracieusement aux tâches de la société des anges, son regard intense harponnait l'infini.

J'eus le temps de remarquer le bras musculeux que striaient des veines apparentes où le sang avait l'air de palpiter et une main étonnamment fine perdue dans les ondulations de la barbe. Je cueillis au passage l'expression de lassitude d'un regard qui me donna la chair de poule tellement il semblait caverneux.

Je m'attendais à voir un héros au front ceint de lumière, un favori du Tout-Puissant rayonnant d'assurance. Je découvrais un guide à la fois énergique et accablé, volontaire et désillusionné. Toute sa personne reflétait une force contenue, ombrée de souffrance. J'en compris plus tard la raison.

1. Aline Moïse.jpg

Moïse par Michelangelo, situé à San Pietro dans la Basilique de Vincoli.

2 - Convocation de l'Elu par le Très-Haut

Je connaissais ses exploits car aucune bulle n'est si étanche que des informations ne puissent filtrer hors de ses frontières. Je savais que ce grand favori du Tout-Puissant était un athlète aux dons exceptionnels. La puissance de ses biceps et de ses quadrijumeaux conjuguée à la finesse de son oreille avaient joué un rôle éminent dans l'architecture de son paradis.

Le Très-Haut avait des informations capitales à transmettre à son peuple bien-aimé.

Il convoqua son Elu alors que celui-ci errait à la tête de sa horde dans une étendue sableuse et brûlante. Comme Il est toujours aussi espiègle, Il lui fixa un rendez-vous dans un endroit périlleux et très difficile d'accès.

Et voilà le guide contraint de quitter sa troupe et de se muer en alpiniste. Bien que la montagne en question jouisse d'une réputation médiocre auprès des montagnards chevronnés, l'escalade solitaire dura six jours et six nuits.

2. Aline - Djebel Moussa - Sinai3.jpg

Le sommet du Djebel Moussa (2285 mètres) où, selon la tradition, Moïse fut convoqué par Jahvé

Il faut dire, à la décharge de l'athlète céleste, qu'elle s'effectua dans des conditions météorologiques particulièrement défavorables et sans l'aide d'aucun matériel approprié: à la chaleur torride du désert succéda un épais brouillard, sans compter le décryptage ardu du jeu de piste auquel le champion escaladeur dut se livrer pour découvrir le piton du rendez-vous alors qu'il progressait péniblement à mains nues et chaussé de simples sandales.

Le Tout-Puissant a beau être invisible, Il est très bavard. Il tint à son Elu bien-aimé un discours qui dura quarante jours et quarante nuits ! Même le plus doué des lider maximo est incapable d'une telle prouesse. Mais la performance la plus fabuleuse et digne de figurer dans le célèbre livre des records, me parut être celle de l'auguste et patient auditeur: accroché à un rocher, affamé, assoiffé et privé de sommeil pendant mille neuf cent vingt heures, il fut capable d'écouter et d'enregistrer l'équivalent d'un gros in-folio.

Comme tous les puissants monarques, le souverain des astres errants sur la voûte céleste avait été rattrapé par la fièvre bâtisseuse. L'infini monotone l'ennuyait tout à coup. Il rêvait maintenant de la construction d'un édifice mirobolant consacré à son propre culte. Pendant ses longs cycles de solitude et de vagabondage au milieu des myriades de galaxies qu'Il s'était amusé à engendrer d'une pichenette, Il avait eu le temps de ruminer son projet, si bien que son auguste cerveau avait tout prévu, y compris les détails qui auraient semblé insignifiants à un esprit ordinaire.

Pendant ces six longues semaines, le Très-Haut se défoula et sa parole chue du ciel étoilé roula en vagues ininterrompues, telle une pierre qui n'amasse pas mousse. La présence d'un auditeur attentif semblait avoir démultiplié sa faconde. Rien n'avait échappé à sa divine prévoyance et à sa paternelle vigilance.

Ainsi, notre Créateur tout puissant n'avait pas jugé indigne de sa grandeur de disserter sur la composition des huiles selon qu'elles servent à la table ou à l'éclairage des salles.

Son œil divin s'était penché sur la qualité des poutres, leurs dimensions, leur nombre, les intervalles entre elles.

Il avait défini à un liséré près la façon dont les servants de cette bâtisse devaient être habillés selon leur sexe, leur âge, leur condition.

Il avait finement prévu la tenue des domestiques et la qualité de leurs vêtements.

Les bijoux, les décorations luxueuses des rideaux et les fanfreluches destinées à orner les robes des notables ainsi que les divers types de laines destinées au tissage des riches étoffes étaient examinés et scrupuleusement décrits. La forme des rideaux et leurs dimensions, le nombre et le style des meubles avaient été méticuleusement conçus par son esprit clairvoyant.

Il n'avait pas omis de mentionner les différents ustensiles de cuisine dont un habitacle aussi cossu devait être pourvu et avait exposé avec une compétence de chef cuisinier multi étoilé la composition des menus et la présentation des repas.

Il s'était attardé, avec un soin maniaque, à dépeindre la forme des tentes selon qu'elles étaient destinées à abriter le bétail ou les domestiques. Il avait même détaillé le nombre de poils de chèvres à insérer dans le tissu destiné à la fabrication des toiles de ces tentes!

Et surtout, dans sa paternelle bénévolence pour ses zélés serviteurs, Il n'avait pas oublié de régler la délicate question du montant des impôts et des quêtes destinés à entretenir le nombreux clergé chargé du service de son culte.

Je n'évoque que pour mémoire les commandements sur la longueur et l'épaisseur des planches, la forme des tenons, la qualité des tissus et le sens de leur tissage, le dessin des boutons et mille autres détails aussi subtils dont l'importance n'échappera à personne.

C'était fabuleusement pensé!

3 - Descente de la montagne

On comprend que Tout-Autre ait eu des doutes sur la capacité de son ambassadeur de mémoriser et de répéter fidèlement une telle masse de recommandations capitales. Aussi avait-il préféré se mettre lui-même au travail. Comme Il est vraiment autre, c'est de son propre doigt qu'Il avait gravé ses centaines d'informations dans des blocs de pierre. Au sommet d'une montagne, on ne trouve ni papyrus, ni argile, ni stylet - la roche est le seul matériau disponible.

Certains fidèles suspicieux avaient même avancé l'hypothèse audacieuse que le Très-Prudent avait cisaillé la montagne avec son doigt et que les blocs étaient empilés avant que son fidèle intendant achevât son ascension.

D'aucuns prétendent toujours que le Diable se cacherait dans les détails. Cela me fait rire doucement: quand on sait que l'Innommé est tellement tatillon qu'Il est allé jusqu'à indiquer le nombre d'agrafes et de brides qu'exige la fixation de la toile d'une tente et qu'Il a même précisé avec une méticulosité vétilleuse la manière de coudre les brides et d'insérer les agrafes dans les brides, on voit que tout l'espace était déjà archi bondé. Si le Diable se niche quelque part, ce n'est sûrement pas là qu'il faut le chercher.

La seule information manquante - et qui m'a beaucoup intriguée - c'est le nombre de blocs de granit qu'il a fallu utiliser pour consigner toutes ces informations. De nombreuses générations de fidèles perplexes se sont attelées à résoudre cette douloureuse énigme; car même si notre créateur est capable d'écrire tout petit - mais avec un doigt et sur la pierre, il y a des limites - des savants très compétents ont calculé qu'il était impossible de s'en tirer avec moins d'une dizaine de blocs gigantesques.

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Jacques de Letin (1597-1661) , Moïse au Sinaï, huile sur toile, 210 x 232 cm, Musée Saint-Loup, Troyes

 C'est pourquoi l'exploit d'un terrien capable de soulever un seul menhir provoque chez les habitants des espaces azuréens un éclat de rire intergalactique. Je trouve que ce messager du Très Haut est un grand modeste. Il a visiblement voulu éviter de faire des envieux; car personne ne sait comment il a empoigné son fardeau pour dévaler la pente. Pas la moindre information n'a filtré sur la durée du chargement et celle de la descente.

Certains décrivent le héros arrivant lestement au campement, porteur de deux petites feuilles de granit bien lisses avec une dizaine de recommandations gravées au recto et au verso. Or, lors de cette entrevue au sommet d'une montagne, en plein désert, le Très-Haut avait versé dans l'oreille de son élu plus de mille cinq cents informations et recommandations. Les boîtes d'archives en font foi et les verbatim de ce monologue occupent près de la moitié d'un gros in-folio.

Donc, en supposant qu'il ait fallu dix grands blocs pour les consigner, il est presque certain que mon estimation est plus proche de la vérité que tous les prétendus témoignages. Des spécialistes en haltérophilie céleste supposent que le champion aurait saisi deux blocs sous chaque bras et qu'il n'en serait resté que six à charrier sur le dos.

Mais, objection votre honneur! Un problème nouveau s'était alors présenté à mon imagination raisonneuse. Si les blocs avaient été fixés sur son dos en premier, comment ce super Hercule aurait-il pu se baisser pour saisir les blocs restants sans basculer? Personne n'a pu expliquer comment un seul athlète, fût-il un résident du paradis, aurait réussi à fixer six blocs sur son dos alors qu'il avait déjà les deux bras occupés à en maintenir quatre autres.

J'ai vu en note dans mon fascicule que des chercheurs avaient, eux aussi, été interpellés par cet exploit et qu'ils avaient tenté d'analyser les conditions de son exécution. Certains sont parvenus à la conclusion audacieuse que si l'Innommé n'avait pas de visage, Il avait, lui aussi, de solides biceps. C'est lui qui aurait gracieusement fourni des cordes, puis empilé et fixé les blocs sur le dos de son fidèle souleveur de montagne.

4 - Grosse colère du Tout-Puissant et pulsion génocidaire

Pendant que le Très-Haut et son Elu bien-aimé s'occupaient de leurs petites affaires et s'échinaient à trouver le meilleur moyen de harnacher la précieuse cargaison sur le dos de l'alpiniste - quel drame pour l'avenir de l'humanité que se perde la connaissance du nombre de poils de chèvre à insérer dans les toiles de tente! - un coup d'oeil jeté par-dessus l'épaule du porteur de rochers apprit au maître de l'univers que le camp de base était en ébullution, qu'on s'y amusait et qu'on y festoyait bruyamment.

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Alexandre Andreïevitch Ivanov ( 1806-1858) Saint-Pétersbourg, Danse devant le veau d'or

. Voilà qui n'était ni prévu, ni autorisé.

Une colère comme on n'en vit jamais sous la voûte étoilée saisit le créateur des mondes. Les colonnes d'Hercule tremblèrent. Le ciel cracha des éclairs, la terre se fendit et une sombre vapeur s'échappa de la montagne.

- Je vais pulvériser cette vermine, ces cirons, ces tiques - hurlait le tonnerre. Je les ai chassés de mon jardin, j'ai essayé de les écraser en provoquant l'écroulement de la HLM qu'ils s'étaient permis de construire sans mon autorisation, j'ai fini par noyer ces misérables - c'est vrai, j'en ai épargné un, j'ai été trop bon! - et voilà qu'ils se permettent à nouveau de me désobéir. Je vais les broyer, les concasser, les réduire en poussière, en fumée..."

Je vis que le pauvre souleveur de montagne, effondré, eut toutes les peines du monde d'empêcher le roi de l'univers de se livrer sur-le-champ à un génocide général et à carboniser d'une pichenette de son auguste index ou d'un rayon laser ravageur de son oeil divin, la populace en liesse qui gambadait dans la vallée.

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"Que ma colère s'enflamme contre eux et que je les extermine..." (Ex, 32-10)

 Tout ahanant, il réussit à calmer le colérique potentat céleste en faisant appel à un argument qui me stupéfia, tellement il me parut mesquin. En effet, une petite piqûre d'amour-propre habilement décochée suffit à faire renoncer le Créateur à sa pulsion génocidaire: provoquer une éruption volcanique afin d'écraser une punaise, c'était révéler son impuissance, sussura l'Elu. Il allait devenir la risée de ses ennemis!

Je sursautai. Des ennemis? Qu'est-ce à dire? L'Elu n'en dit pas plus, mais ce sous-entendu vicieux calma sur-le-champ l'irascible potentat céleste qui s'était toujours efforcé de cacher qu'il n'était ni seul, ni unique à siéger dans l'éther. Des rivaux se tenaient déjà les côtes de rire en voyant que ce vantard qui prétendait régenter le monde n'était même pas capable de se faire obéir d'une poignée de va-nu-pieds sans domicile fixe.

Colérique, génocidaire, susceptible, orgueilleux, impuissant et mesquin, tel m'apparaissait le souverain auto-proclamé des galaxies et c'était là une bien triste découverte.

Mais ce n'était-là que la première étape de mon douloureux cheminement.

Il paraît qu'un sherpa attendait l'alpiniste et son chargement au camp intermédiaire. Il s'empressa de soulager le messager du Très- Haut de son encombrant fardeau, l'Elu ne conservant par devers lui qu'un petite plaque portant une dizaine d'indications générales et assez banales - une sorte de pense-bête, en somme.

C'est lors du retour de l'Elu au campement de base que se produisit l'événement que beaucoup qualifient de fondateur parce qu'il révéla aux fils d'Adam les souterrains et les labyrinthes de leurs cervelles et de leurs cœurs.

5 - Le grand ébranlement

Voici comment furent dévoilées les choses demeurées cachées depuis le surgissement de la voie lactée. Auprès d'elles, l'épisode de la pomme n'est guère plus qu'un pépin dans une marmite de compote. Les archives en rapportent les péripéties, mais qui lit aujourd'hui les archives? D'ailleurs n'est-il pas écrit que les fils d'Adam ont des oreilles pour ne pas entendre et des yeux pour ne pas voir?

Une liesse bruyante régnait au camp, mais le retour et l'exploit de l'athlète céleste n'y étaient pour rien. Une bacchanale battait son plein autour d'une statue de bovidé que l'un d'entre eux avait bricolée. Des fidèles de tous âges gambadaient à qui mieux mieux, riaient, sautaient, hurlaient, chantaient, se livraient à des gestes obscènes, s'invectivaient, ironisaient sur l'impuissance des chefs et se moquaient comme de leur première auréole du prétentieux escaladeur.

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Nicolas Poussin (1594-1660) L’Adoration du Veau d’Or (vers 1635)Huile sur toile - 153,4 x 211,8 cm Londres, National Gallery

 Le sang monta au cerveau de l'alpiniste divin. Sa vue et sa cervelle se brouillèrent. Il vit rouge, perdit la notion du temps, du lieu et des réalités et…

Dans un hurlement dont l'écho résonna trois fois sur les pentes rocheuses toutes proches, l'Elu assuma la fureur du Créateur. Y ajoutant la sienne propre, il ordonna un massacre général. Tuez, tuez, tuez, vociférait-il. Il lui fallait du sang, beaucoup de sang, le sang d'un frère, le sang d'un fils, le sang d'un ami.

Il lui avait donc suffi d'une absence de quarante jours pour être oublié! Sa vexation, sa déception et sa colère criaient vengeance. Chef et guide de la tribu, le messager du Tout-Puissant n'en avait pas moins été supplanté en quelques jours par un démagogue qui faisait sautiller toute la tribu autour de la piteuse statue d'un jeune bœuf barbouillé de dorures. Honte et malédiction! Tuez, hurlait-il, encourageant les assassins de la voix et du geste!

Tous obéirent, car tous avaient reconnu le chef à sa colère. Sans l'ombre d'une hésitation, chacun quitta la danse, se précipita dans sa tente et se saisit du grand coutelas qui servait à découper le petit bétail. Au milieu des cris, des pleurs, des gémissements, des appels à la miséricorde, des supplications, des ahanements, des piétinements, une gigantesque tuerie se déclencha. Une tuerie indistincte. Chacun avait tous les autres pour ennemis.

Pitié, amour, compassion, fraternité, famille, plus rien n'existait. Pulvérisées les inhibitions. Evaporée la mince pellicule d'angélique nature! La bête tapie en chacun d'eux pointa son museau gourmand. Le soleil aiguisa sa fringale et sa cruauté. La bête s'en donnait à cœur joie, la bête plantait les crocs dans les poitrines, la bête coupait des membres, tranchait des gorges, estropiait tout ce qui passait à sa portée. La bête obéissante et carnassière jouissait de la vue et de l'odeur du sang répandu.

La tuerie ne prit fin qu'avec l'épuisement des tueurs et aboutit à plus de trois mille victimes égorgées, transpercées, décapitées, piétinées. Des générations d'enfants auraient pu construire une ville entière avec les pâtés de sable imbibé du sang qui ruisselait autour des tentes.

Pendant ce temps-là, le vénérable chef à l'ego transformé en cocotte de papier et devenu fou furieux, retourna sa rage contre les blocs qu'il avait si péniblement transportés et les fracassa les uns contre les autres.

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Domenico di Pace Beccafumi (1486 - 1551) , Moïse et le veau d'or

 L'ébullition de sa cervelle apaisée, l'ordonnateur du carnage s'était retiré à l'écart du campement. On l'avait vu méditer, méditer longtemps, la poitrine soulevée de profondes inspirations comme s'il voulait expulser de ses poumons l'odeur écœurante du massacre et de la sueur des tueurs.

Puis il s'était assis, s'était pris la tête à deux mains, l'avait posée sur ses genoux. Accablé. Anéanti. Après de longues minutes, il s'était levé et s'était dirigé vers le campement, lentement, très lentement, la tête toujours baissée.

Osant enfin lever les yeux, le chef avait contemplé le résultat de son commandement. Sa bouche s'était crispée, son front s'était plissé et une grande pitié avait envahi son cœur. Pitié pour les morts, pitié pour les blessés, pitié pour les survivants. Et surtout, pitié pour lui-même, qui avait été capable de donner un ordre aussi insensé.

Et horreur de constater qu'il avait été si bien exécuté.

6 - La bête cachée sous les ailes des anges

Alors qu'il avait réussi à éloigner le génocide du Tout-Puissant, l'Elu se découvrait un assassin sanguinaire. Seul responsable de sa colère, seul responsable de sa décision, seul responsable du massacre, l'Elu se révélait un Adam habité par le meurtre.

Mais son remords ne dura que le temps d'un clignement de paupières. En Tartuffe habile, il secoua la poussière sur ses sandales et s'empressa de maquiller sa pulsion criminelle en offrande au Très-Haut. Imitateur et bras séculier de son génocidaire divin, responsable de l'obéissance de ses troupes, son objectif était atteint.

Quant à l'obéissance des masses à l'autorité d'un chef, je compris qu'elle est au fondement de toutes les tyrannies et de tous les génocides. C'est pourquoi je me disais que l'Elu est l'archétype de la cohorte de tous les génocidaires qui défileront à sa suite dans l'histoire.

Plongée dans ces tristes réflexions, je fus ravie en esprit et j'entendis pleurer le clairon de la sonnerie aux morts.

Je vis l'Elu dans l'éclat éblouissant de sept lampadaires d'or, je vis sa fureur et les cadavres ruisselants du sang de la tuerie qu'il venait d'ordonner.

Je fermais les yeux. La lumière se voila doucement et un gnome gesticulant à petite moustache sous le nez apparut. Je ne comprenais pas ses paroles, mais je vis une foule innombrable d'une nation autrefois chevaleresque lever le bras en signe d'acquiescement. Obéissante, elle acceptait de participer à une industrie de la mort.

Les images se précipitèrent. Je vis de grands massacres tribaux, des corps décapités, éventrés à coups de machette avec une allégresse de carnassiers. Du sang, encore du sang et dans les villes et les campagnes se répandait la fétide odeur de la mort. Des cris, les mêmes que ceux l'Elu "Tuez, tuez, tuez", vociféraient des voix venant de nulle part et de partout. La foule obéissait et les tueurs s'activaient.

Je vis les meurtres, les spoliations, les humiliations, les tortures, infligées aux occupés par les occupants dans les sordides geôles d'anciennes victimes devenues bourreaux. Je vis des immeubles pulvérisés avec tous leurs habitants. Une pluie de bombes et de missiles déchiraient, carbonisaient, lacéraient les chairs d'une population captive. Je tue, je tue, je tue, criait une voix. Je torture et je tue parce que je suis une éternelle victime. J'offre mes supplices, mes meurtres et mes turpitudes à ma divinité la plus secrète : mon MOI de peuple élu.

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Enfant palestinien martyrisé, Torture as official Israeli policy

Je vis le virus du sadisme et de la sauvagerie contaminer si gravement les collaborateurs qu'ils ajoutaient l'ignominie de la trahison à leur lâcheté et rivalisaient de cruauté avec l'occupant dans les sévices qu'ils ingligeaient aux résistants.

Et toujours les meurtriers et les tortionnaires obéissaient, riaient et dansaient.

Je vis avancer les colonnes vrombissantes de chenilles monstrueuses. Les modernes Attila messianisés et mécanisés étaient en marche. Ils criaient: "Nous sommes la civilisation et la démocratie", mais leurs chenilles meurtrières écrasaient la civilisation et broyaient les hommes. Ils criaient : "Nous sommes des libérateurs, nous sommes purs et innocents" et je les vis dans leurs œuvres de sinistres fonctionnaires du crime se livrer aux tortures les plus répugnantes dans les abjects culs de basse fosse d'Abou Ghraib, de Bagram, de Guantanamo et dans la cinquantaine d'Etats qu'ils étaient parvenus à corrompre et à contaminer.

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Abou Ghraib, GI femelle de l'armée américaine en Irak. La torture corrompt le tortionnaire

C'était donc si facile de tuer, de piétiner, d'humilier!

La fascination pour la force et la volupté de la soumission pouvaient-elles faire de chaque fils d'Adam un tueur et un tortionnaire capable de plonger un couteau dans le cœur de son voisin, dans celui de son père ou dans celui de son fils?

Plus ces pensées tournoyaient dans ma cervelle, plus je me disais que le véritable couteau, c'est le pouvoir et c'est l'obéissance aveugle aux ordres du chef, à n'importe quel ordre issu de la bouche de la "hiérarchie". Le pouvoir rend fou et la soumission aux autorités ainsi que l'abandon de toute responsabilité individuellepeuvent transformer en un instant un paisible père de famille en assassin de son fils, un fils ordinaire en parricide et n'importe quel Adamien obéissant aveuglément aux ordres de son "chef" en bête immonde.

7 - Lendemains de carnage

Je m'attendais à lire le récit d'une cérémonie de funérailles, ou du moins à des pleurs de familles endeuillées, à des scènes de repentir collectif. Mais non, rien. Effacée, la tuerie collective, occulté, gommé, nié le carnage. L'important, disait le récit, c'était d'avoir désobéi aux ordres du Tout-Puissant qui interdisait de danser autour d'un veau. C'était sur cet acte-là que devaient porter les regrets de la horde.

Je vis que le Très-Haut se déclarant solidaire de son fidèle intendant dans l'offense et dans le massacre, lui avait fait connaître les conditions de son pardon: recoller les morceaux de rochers fracassés et apprendre par cœur la liste les directives qui y avaient été consignées. Je compris à quel point le Créateur jugeait capital d'enseigner au peuple l'art et la manière de coudre les brides sur les bords des toiles de tente.

Les survivants ne se le firent pas dire deux fois. Ils applaudirent bruyamment et se mirent au travail. Bannies les frivolités et les gambades autour d'un bovidé. Place à la discipline, à la sélection des poils de chèvre et à la couture des brides.

Une autre question me tourmentait. Je me demandais ce qu'on avait fait de tous les cadavres. Est-ce qu'on avait creusé une fosse commune? Si oui, est-ce que, dans le charnier, on avait soigneusement empilé les corps après les avoir comptés? Les avait-on jetés pêle-mêle, rapidement et honteusement? Chaque famille avait-elle enterré les siens? On avait peut-être entassé les corps sur un gigantesque bûcher. Quelqu'un avait-il eu l'idée de construire un four afin d'assurer une crémation plus complète et transformer plus rapidement les cadavres en cendres et en fumée afin que les narines du Très Haut fussent délicieusement chatouillées par les volutes de ce gigantesque holocauste?

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Lendemain du carnage des "élus" à Gaza, janvier 2009

 Le sable avait bu le sang, mais trois mille cadavres en un seul endroit, c'est une masse encombrante. Sous un climat chaud, les corps se décomposent rapidement et sentent mauvais! Je me surprenais à calculer le volume que représentaient trois mille corps et le cubage de terre déplacée pour les enfouir. Combien de stères de bois aurait-il fallu entasser afin de les carboniser? Mais le massacre s'est déroulé en plein désert, si bien que pas la moindre branchouille n'était visible à l'horizon. Le récit passait ces questions, pourtant capitales, sous silence. Seules étaient fustigées la danse et la désobéissance.

J'en conclus que les cadavres furent purement et simplement abandonnés sur place et qu'avec la bénédiction de l'Elu et du Très-Haut ils servirent à améliorer le repas quotidien des charognards du désert.

Je vis que le plus soulagé de tous était le colérique messager. Les blocs recollés, les cadavres disparus par magie, la vie des survivants reprenait benoîtement son cours. Tout allait de nouveau pour le mieux dans le meilleur des paradis sous le commandement avisé d'un messager du Tout-Puissant d'autant plus vénéré qu'il était redouté.

Le projet de construction de la monumentale bâtisse à la gloire du Créateur occupait désormais des esprits et des corps solidement attachés au piquet de la soumission et étroitement ficelés à un réseau serré de rites, de prières et d'obligations. Le groupe enfin devenu une pâte homogène et obéissante allait avec enthousiasme retrousser les manches d'une tunique de lin toute neuve et immaculée.

Tout en glorifiant le Tout-Puissant, les descendants d'Adam, soumis, domptés et enfin devenus aussi malléables entre les mains de leurs chefsque la cire chauffée, mirent en chantier le gros œuvre de l'édifice selon les plans révélés au sommet de la montagne, le porteur de blocs faisant office de chef de chantier et de gardien de la LOI.

*

Je compris que le Très-Haut et son Elu bien-aimé sont de grands précurseurs de la gestion politique des masses et que le mythe est un théâtre.

 

*

NOTES

Jahvé dit à Moïse : " Monte vers moi à la montagne et restes-y ; je veux te donner les tables de pierre, la loi et le commandement que j'ai écrits pour les instruire ". (Ex 24,12-13).

La nuée le couvrit pendant six jours. Exode, 24,16 Moïse entra au milieu de la nuée et gravit la montagne. Moïse fut sur la montagne quarante jours et quarante nuits. (Exode, 24,18)

" Maintenant, laisse-moi faire, je vais me mettre en colère et je les détruirai " (32.10) Et c'est Moïse qui dissuade Dieu de se laisser emporter" (32.11 à 13), "Exode 34-40

Exode 20-31 Josué entendit la rumeur du peuple avec ses acclamations , et il dit à Moïse : Rumeur de guerre au camp ! Moïse dit : Ce n'est pas une rumeur de chants de victoire, ce n'est pas une rumeur de chants de défaite, c'est une rumeur de chants alternés que j'entends ! Lors donc qu'il approchait du camp , il vit le veau et les danses. La colère de Moïse s'enflamma . " (Ex, 32, 16-19)

" Il (Moïse ) leur dit : Mettez chacun le glaive à la hanche. Passez et repassez dans le camp de porte en porte , et tuez, qui son frère, qui son ami, qui son proche. Les fils de Lévi agirent selon la parole de Moïse ; " (Exode, 32, 27-28)

" et du peuple, il tomba ce jour-là environ trois mille hommes. "

" il jeta de sa main les tables et les brisa au pied de la montagne "

" Moïse dit : Recevez aujourd'hui l'investiture pour Jahvé , qui au prix de son fils, qui au prix de son frère, pour qu'il vous donne aujourd'hui sa bénédiction. " (Exode, 32,29 ; traduction Osty)

Epître de Saint Paul à Tite : " …nous étions , nous aussi, insensés, indociles, égarés, asservis à des convoitises, vivant dans la méchanceté et l'envie, odieux, nous haïssant les uns les autres. " 3,3

Epître de Saint Paul aux Romains : " … remplis qu'ils sont de toute espèce d'injustice, de perversité, de cupidité, de méchanceté ; pleins d'envie, de meurtre, de querelle, de ruse, de perfidie ; rapporteurs, calomniateurs, ennemis de Dieu, insolents, orgueilleux, fanfarons, ingénieux au mal, indociles aux parents, sans intelligence, sans loyauté, sans cœur, sans pitié. " (1-28-31)

Moïse dit au peuple : " Vous avez commis , vous, un grand péché , mais maintenant je vais monter vers Jahvé ; peut-être pourrai-je faire l'expiation pour votre péché. " (ex 32,30)

Que toute personne soit soumise aux pouvoirs établis ; car il n'est de pouvoir que de Dieu. Ainsi, celui qui s'oppose au pouvoir résiste à l'ordre voulu par Dieu, et ceux qui résistent s'attireront la condamnation. Saint Paul, Lettre aux Romains, 13,1-2

Le 4 mars 2013


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BELGIQUE

 

Visite de Shimon Peres à Bruxelles

Le député Laurent Louis interpelle le Premier Ministre Elio di Rupo

 


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SUR UN ENTERREMENT QUI N’EN FUT PAS UN

ET QUI N’AURA PEUT-ÊTRE PAS LIEU

 

Puisque, en effet, le corps embaumé de leur président, sera peut-être exposé par les Vénézuéliens comme le fut celui de Lénine par les Russes.

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« Si vous voulez savoir qui était Chávez, regardez qui pleure sa disparition, et regardez ceux qui s’en réjouissent, là vous aurez votre réponse ! »

Fidel Castro


 

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Feu Hugo Chavez vient de nous rendre post mortem un signalé service, un de plus et sans doute pas le dernier : celui de mettre à nu comme jamais elle ne le fut la guerre des classes.

Quand on pratique avec notre talent l’art d’échapper au déplaisant, c’est-à-dire quand on n’a pas d’étrange lucarne, qu’on n’écoute pas les radios et qu’on ne lit pas les journaux, on ne se rend pas compte des transformations à la Dorian Gray du monde qui nous entoure ; encore moins est-on capable de mesurer le degré de stridence atteint par la cacophonie qui peut monter quelquefois de la meute des chiens de garde occupés à étaler sans vergogne leur ignorance crasse, leur bassesse que plus bas il y a du pétrole, et à gagner leur beefsteak de clabaudeurs mercenaires.

Sans Internet, nous n’en aurions rien su. Mais trop nombreux sont ceux qui, des deux côtés de l’Atlantique, s’en sont émus pour que le plus timide internaute puisse ignorer le phénomène.

Cette basse-cour en folie (pardon les poules !), paniquée à l’idée que les Vénézuéliens pourraient faire école et finir par faire bien voir aux autres canidés (de Pavlov) à quel point les « élites » - c’est-à-dire elle-même – sont à poil et sentent la charogne pas fraîche, nous a remis en mémoire ce que disait, il n’y a pas si longtemps, feu Henri Guillemin, à propos de la métaphore de Victor Hugo, qui comparait le peuple à une cariatide.

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Ah, s’écriait le bouillant H.G., si la cariatide connaissait sa position et sa force !… Ah, si elle avait seulement pour deux sous de jugeote, de volonté d’être libre et de détermination !... comme elle aurait vite fait de mettre à bas tous les puissants de ce monde, qui se gobergent d’ortolans sur sa tête, à qui elle passe les plats fumants à la montée et qu’elle débarrasse des plats sales à la descente, pour les leur laver… Il suffirait qu’elle plie un peu le cou, qu’elle remue un rien les épaules, non, même pas les deux, une seule, qu’elle se dérobe, sans même recourir à la violence – pour quoi faire ? - … S’incliner légèrement pour se gratter le genou suffirait.

C’est ce qu’ont fait Chavez et son peuple. Sans recourir à la moindre violence en effet. Les voyez-vous, tous les parasites tombés du toit, qui gigotent et criaillent dans la poussière ? Le spectacle n’est-il pas ravissant ? Le son a-t-il quelque chose à envier à l’image ?

Les Vénézuéliens et d’autres peuples du continent sud-américain ont fait quelque chose de très simple, de très jeune, de très énergique et courageux, quelque chose digne des chansons de geste de notre passé, dont nous ne voulons plus rien savoir. Ils n’ont pas volé leur liberté, ils ont payé le prix de leur dignité. On a les gouvernements qu’on mérite.

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De la vague d’articles qui déferlent sur le net, nous ne vous en proposons que deux – du même auteur – parce que vous aurez certainement déjà vu les autres et que ceux-ci disent des choses intéressantes sur les "pour" et les "contre", et tentent d'entrouvrir les portes de l'avenir.


Notes sur notre après-Chavez

Philippe Grasset – DeDefensa.org

8 mars 2013 – D’une façon générale, les réactions à la mort d’Hugo Chavez ont été considérables et assez diversifiées. Il ne fait nul doute que, dans cette époque de communication, cet homme simple devenu président et affirmant une forte capacité de communication, est devenu ce qu’on nommerait un “homme d’État” correspondant effectivement à ces temps étranges, lui-même cultivant l’art de la parole nette, de la franchise enjouée, de l’éloquence populaire et du discours interminable et festoyant. (Ne disons pas “populiste” pour qualifier l’éloquence, de crainte de “déraper” dans les salons où l’on veille à débusquer la bête brune au “ventre toujours fécond”.)

Nous sommes également d’un jugement que le comportement de Chavez sur la fin de sa maladie n’a pas été sans témoigner d’une force d’âme remarquable, qui a marqué et marquera les esprits durablement et profondément, même si d’une façon inconsciente. Un homme dans son état de santé, connaissant sans aucun doute l’issue fatale proche pour lui après deux années de soins intensifs et d’une dégradation continue, avec l'épuisement qui va avec, l'affaiblissement de la psychologie, et se lançant dans une campagne présidentielle, et la gagnant comme il l’a fait, pose un acte décisif qui a sans doute accéléré sa fin, qui est aussi un acte politique héroïque de responsabilité qui le dépasse dans la mesure où il assure à ses successeurs une base renouvelée de popularité pour le régime, qui n’a plus rien à voir avec ses propres ambitions. Les réactions soulevées, ainsi que la ferveur populaire accompagnant ce décès n’auraient pas été aussi intenses et aussi “politiques” dans le sens de la ferveur pour son parti, pensons-nous, s’il n’y avait pas eu l’épisode de l’automne dernier.

Lire la suite…

 

 Voir aussi celui qui l’a immédiatement précédé :

L’ultime bataille de Chavez : un “deuil mobilisateur”

Philippe Grasset – DeDefensa.org

 6 mars 2013 - La mort du président vénézuélien Hugo Chavez se place aussitôt sous les auspices d’une crise majeure : non pas seulement une crise intérieure du pays, qui va de soi pour un tel événement et dans les circonstances générales qu’on sait, mais essentiellement une crise également générale opposant le Système aux forces nécessairement antiSystème et se plaçant complètement dans un contexte international. Le gouvernement et d’une façon générale, le “groupe Chavez” mené pour l’instant par le vice-président Maduro, ont immédiatement et exclusivement placé l’événement dans ce contexte, et avec tous les arguments pour le faire.

Deux axes ont aussitôt été choisis pour développer ce contexte de l’agression du Système, essentiellement représenté par les USA et leur processus immémorial d’interférences et d’intervention illégales dans les pays d’Amérique latine. D’une part, les interférences directes des USA, notamment par le biais de fonctionnaires ou militaires de l’ambassade US, avec l’expulsion immédiate de deux officiers de l’USAF travaillant à l’ambassade et qui sont accusés d’avoir proposé à des militaire vénézuéliens des actions subversives ; d’autre part, des doutes sur les causes du cancer dont Chavez est mort. On trouve des détails de ces deux axes dans l’intervention de Maduro, dénonçant un plan de déstabilisation, sur Venezuelanalysis.com, le 5 mars 2013.

Lire la suite…



Mis en ligne par Théroigne, le 10 mars2013

 

[Et s’ils s’étaient aperçus que le Companero Chavez nous a quittés le jour du 60e anniversaire de la mort du camarade Staline, que n’aurions-nous pas entendu, que n’auraient-ils pas éructé les bons apôtres ! Heureusement qu’ils sont ignares. ]


17:49 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Web | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

06/03/2013

Ce n'était pas une vraie bonne nouvelle, finalement.

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Ce n’était pas une vraie bonne nouvelle, finalement.


 HUGO CHAVEZ EST MORT

 

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Depuis quand n’a-t-on plus vu un homme qui sera aussi universellement pleuré ?

Nos condoléances au Vénézuela

 à l’Amérique Latine,

et nos vœux d’invincible courage au président (bien sûr que oui !) Maduro et à tous, pour continuer dans la même voie, sans faiblir et sans se laisser diviser jamais, par rien ni par personne.

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« Tout finit sous six pieds de terre. »

Bonaparte

 

« Bonaparte avait raison. Pour le héros, pour le soldat, pour l’homme du fait et de la matière, tout finit sous six pieds de terre; pour l’homme de l’idée, tout commence là.

La mort est une force.

Pour qui n’a eu d’autre action que celle de l’esprit, la tombe est l’élimination de l’obstacle. Être mort, c’est être tout-puissant.

L’homme de guerre est un vivant redoutable; il est debout, la terre se tait, siluit; il a de l’extermination dans le geste, des millions d’hommes hagards se ruent à sa suite, cohue farouche, quelquefois scélérate; ce n’est plus une tête humaine, c’est un conquérant, c’est un capitaine, c’est un roi des rois, c’est un empereur, c’est une éblouissante couronne de lauriers qui passe jetant des éclairs, et laissant entrevoir sous elle dans une clarté sidérale un vague profil de César; toute cette vision est splendide et foudroyante : vienne un gravier dans le foie ou une écorchure au pylore, six pieds de terre, tout est dit. Ce spectre solaire s’efface. Cette vie en tumulte tombe dans un trou; le genre humain poursuit sa route, laissant derrière lui ce néant. Si cet homme d’orage a fait quelque fracture heureuse, comme Alexandre de l’Inde, Charlemagne de la Scandinavie, et Bonaparte de la vieille Europe, il ne reste de lui que cela. Mais qu’un passant quelconque qui a en lui l’idéal, qu’un pauvre misérable comme Homère laisse tomber dans l’obscurité une parole, et meure, cette parole s’allume dans cette ombre, et devient une étoile.

Ce vaincu chassé d’une ville à l’autre se nomme Dante Alighieri; prenez garde. Cet exilé s’appelle Eschyle, ce prisonnier s’appelle Ezéchiel. Faites attention. Ce manchot est ailé, c’est Michel Cervantès. Savez-vous qui vous voyez cheminer là devant vous ? C’est un infirme, Tyrtée; c’est un esclave, Plaute; c’est un homme de peine, Spinoza; c’est un valet, Rousseau. Eh bien, cet abaissement, cette peine, cette servitude, cette infirmité, c’est la force. La force suprême, l’Esprit.

Sur le fumier comme Job, sous le bâton comme Epictète, sous le mépris comme Molière, l’esprit reste l’esprit. C’est lui qui dira le dernier mot. Le calife Almanzor fait cracher le peuple sur Averroès à la porte de la mosquée de Cordoue, le duc d’York crache en personne sur Milton, un Rohan, quasi prince, duc ne daigne, Rohan suis, essaye d’assassiner Voltaire à coups de bâton, Descartes est chassé de France de par Aristote, Tasse paye un baiser à une princesse de vingt ans de cabanon, Louis XV met Diderot à Vincennes, ce sont là des incidents, ne faut-il pas qu’il y ait des nuages ? Ces apparences qu’on prenait pour des réalités, ces princes, ces rois, se dissipent; il ne demeure que ce qui doit demeurer : l’esprit humain d’un côté, les esprits divins de l’autre; la vraie œuvre et les vrais ouvriers; la sociabilité à compléter et à féconder, la science cherchant le vrai, l’art créant le beau, la soif de pensée, tourment et bonheur de l’homme, la vie inférieure aspirant à la vie supérieure. On a affaire aux questions réelles; au progrès dans l’intelligence et par l’intelligence. On appelle à l’aide les poètes, les prophètes, les philosophes, les inspirés, les penseurs. On s’aperçoit que la philosophie est une nourriture et que la poésie est un besoin. Il faut un autre pain que le pain. Si vous renoncez aux poètes, renoncez à la civilisation. Il vient une heure où le genre humain est tenu de compter avec cet histrion de Shakespeare et ce mendiant d’Isaïe.

Ils sont d’autant plus présents qu’on ne les voit plus. Une fois morts, ces êtres-là vivent.

Comment ont-ils vécu ? Quels hommes étaient-ils ? Que savons-nous d’eux ? Quelquefois peu de chose, comme de Shakespeare; souvent rien, comme de ceux des vieux âges. Job a-t-il existé ? Homère est-il un, ou plusieurs ? Méziriac fait droit Ésope, que Planude fait bossu. Est-il vrai que le prophète Osée, pour montrer son amour de sa patrie, même tombée en opprobre et devenue infâme, ait épousé une prostituée, et ait nommé ses enfants Deuil, Famine, Honte, Peste, et Misère ? Est-il vrai qu’Hésiode doive être partagé entre Cumes en Eolide où il était né et Ascra en Béotie où il aurait été élevé ? Velleius Paterculus le fait postérieur de cent vingt ans à Homère dont Quintilien le fait contemporain; lequel des deux a raison ? Qu’importe ! les poètes sont morts, leur pensée règne. Ayant été, ils sont.

Ils font plus de besogne aujourd’hui parmi nous que lorsqu’ils étaient vivants. Les autres trépassés se reposent, les morts de génie travaillent.

Ils travaillent à quoi ? A nos esprits. Ils font de la civilisation.

Tout finit sous six pieds de terre ! Non, tout y commence. Non, tout y germe. Non, tout y éclôt, et tout y croît, et tout en jaillit, et tout en sort ! C’est bon pour vous autres, gens d’épée, ces maximes-là !

Couchez-vous, disparaissez, gisez, pourrissez. Soit.

Pendant la vie, les dorures, les caparaçons, les tambours et les trompettes, les panoplies, les bannières au vent, les vacarmes, font illusion. La foule admire du côté où est cela. Elle s’imagine voir du grand. Qui a le casque ? qui a la cuirasse ? qui a le ceinturon ? qui est éperonné, morionné, empanaché, armé ? le triomphe à celui-là ! A la mort, les différences éclatent. Juvénal prend Annibal dans le creux de sa main.

(…)

Tels sont les effets de la tombe sur les grands esprits. Cette mystérieuse entrée ailleurs laisse derrière elle de la lumière. Leur disparition resplendit. Leur mort dégage de l’autorité.

Victor Hugo

 

 

 

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Mis en ligne par Catherine le 6 mars 2013

17:10 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Web | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook |

01/03/2013

RIFIFI - SUITES

1. Vyacheslav Kalinin - Nef des fous .jpg

RIFIFI - SUITES

 

L’auteur nous avait promis quelques lignes supplémentaires pour accompagner son article. Nous pensions à tout sauf à… une suite non moins mouvementée. C’est pourtant de cela qu’il s’agit. D’où notre léger retard, puisqu’il nous a fallu traduire ces  aventures nouvelles, qui ne sont peut-être pas les dernières.



Des oligarques se castagnent en direct!

 

Un divertissement

 

par Israel Shamir

 

Qui a dit que les riches n'étaient bons à rien ? Leurs frasques sont follement divertissantes !  Les nouveaux riches ont de tout temps fourni de quoi alimenter la une des journaux, et la nouvelle moisson d'oligarques russes fait passer la génération précédente des requins de la finance pour de pâles amateurs. Les vieilles fortunes s'anémient, divisées et subdivisées par de scrupuleux juristes en un dédale de sociétés. Tandis que les fortunes toutes fraîches, elles, sont beaucoup plus drôles : elles font leurs cascades en public et n'y vont pas de main morte ! Ces nouveaux héros nationaux comblent le vide laissé par les cheikhs et les maharajas, d'une façon jamais atteinte par nos ternes bureaucrates ; ils paradent au volant de leurs jeeps Humvee à travers la foule moscovite, aussi fiers et sûrs d'eux que les rois indiens à l'époque où ils parcouraient la jungle, juchés sur leurs éléphants de guerre.

 

 

Ils sont plus puissants et moins réservés dans leurs actes que ne le furent jamais les parrains de mafias à la Scorsese . Brutaux, sans scrupules ni limites, de vrais personnages pour drames shakespeariens. Ils sont sans lois et piétinent allègrement les autres, jusqu'à ce que quelqu’un les piétine à leur tour. Un jour bandits sanguinaires, l'autre mécènes généreux ou les deux à la fois, le fait d'avoir choisi Londres pour terrain de règlement de leurs différends leur a donné une audience internationale.

Récemment, deux puissants magnats, Berezovsky et Abramovich, se sont affrontés dans un tribunal londonien pour des milliards – dévoilant ainsi au passage la façon dont ils ont dérobé au peuple russe ses biens les plus précieux sous le régime des privatisations de Boris Yelstine. Ces guerriers de salles d'audience n'ont d'ailleurs aucun scrupule à révéler l'origine de leurs crimes pour parvenir à la victoire; dans ce cas précis, un des mythes du néolibéralisme est tombé, et la lumière a été faite sur un des sombres chapitres de l'histoire russe.

Mais le pillage d'un pays, c’est du lourd, et le public avait plutôt envie d’une farce légère. C'est là que l’affaire Polonsky contre Lebedev a déboulé sous les feux de la rampe, bénéficiant d'une médiatisation internationale grâce au système judiciaire londonien. C'est l'histoire hilarante d'un nabab des médias et d'un baron de l'immobilier, qui se sont bigornés au cours d'une émission de télévision en direct. Seule la plume puissante de Nicolas Gogol, l'auteur russe du 19ème siècle qui a écrit La brouille des deux Ivan (voyez le texte ici) aurait pu rendre justice à l’incident. Il aurait pu l'intituler Comment Alexander Lebedevich tomba à bras raccourcis sur Sergei Polonovich, mais vous devrez vous contenter de mes humbles efforts.

 

BelleNews nous livre un compte-rendu coup par coup de la dérouillée à l'antenne.

 

1.  Devant un public médusé, Alexander Lebedev (le nabab russe) assène une série de coups sur la tête de Sergei Polonsky (le baron de l'immobilier), le faisant tomber de sa chaise. Ceci lors d'un débat télévisé sur la crise économique mondiale. 

2.  Les images de la scène postées sur Youtube montrent Lebedev hors de lui, dans une attitude menaçante à l'égard de Polonsky.

3.  Polonsky tente apparemment de le calmer et Lebedev retourne s'asseoir à nouveau. 

4.  Après quelques secondes, sans crier gare, alors que Polonsky lui tapote gentiment le bras, Lebedev sort à nouveau les poings.

5.  Lebedev frappe Polonsky plusieurs fois sur la tête, l'envoyant à terre.

6. Polonsky recule, sans moyen de se défendre, et les deux hommes se regardent rageusement dans les yeux tandis que les larbins du studio tentent de calmer le jeu. 

 

Note :  Alexander Lebedev est l'un des hommes les plus riches du monde; on estime sa fortune aux alentours de 3,1 milliards de dollars.


En fait, Polonsky et Lebedev sont deux magnats russes d'envergure moyenne; aucun d'eux ne pourrait acheter le Minnesota rubis sur l'ongle. Ils auraient pu devenir de super potes, se félicitant mutuellement de leurs succès respectifs, car tous deux sont des promoteurs immobiliers fiers de l’être, tous deux aiment nager, tous deux aiment s'habiller de façon décontractée plutôt que formelle, tous deux sont assez vains et tous deux sont confrontés à un brusque déclin de leur fortune. Mais, au lieu de cela, ils en sont venus aux coups, car leur destin est d’être des personnages qui s’opposent. Qui est le protagoniste? Qui est l’antagoniste ? Aucun des deux.

 

Sergei Polonsky a 40 ans et fait figure de jeune homme parmi les magnats de la première génération post-soviétique d’hommes d’affaires russes. Il est toujours grand et balaise, à l’image du commando de Bérets Bleus qu’il fut jadis, mais la vie tranquille qu’il mène depuis plusieurs années l’a privé de sa ceinture abdominale d’antan; aujourd’hui, il ressemble davantage à un dauphin joyeux et bien nourri. Sa compagne est elle-même une femme d’affaires connue et une championne de natation.

 

Alexander Lebedev a 12 ans de plus. Sa génération à lui est celle qui a privatisé l’URSS. C’est un caméléon; en quelques années, il est passé du look ex-homme du KGB, strict, ultra-musclé et portant des costumes, à celui de joueur de guitare métrosexuel à la séduisante coupe de cheveux, portant des jeans et des chemises légères. Il a troqué sa femme datant de l’ère soviétique contre une nouvelle qui passe beaucoup mieux devant les caméras.


2 - Lebedev.jpgLebedev a élu domicile, au centre-ville de Moscou, dans un ancien club de scouts bâti dans le plus pur style stalinien, avec colonnes et portiques, qu’il a transformé – après sa privatisation – en modeste manoir doté d’une piscine olympique dans laquelle il passe beaucoup de son temps. Chaque automne, il fuit la morosité moscovite pour sa villa de la Côte d’Azur ou son hôtel particulier de Londres.

 

Polonsky vit dans un luxueux appartement, perché comme le pont supérieur d’un bateau sur le toit avec vue à 360° d’un gratte-ciel surplombant Moscou. Architecte de formation et de profession, il a lui-même conçu et fait construire ledit gratte-ciel et son appartement. Il passe ses week-ends sur une péniche reconvertie, amarrée aux confins de la ville, en compagnie d’un raton laveur domestique, pratiquant le qi gong – technique de méditation chinoise - et dévorant des livres choisis au pif. En hiver, il conduit un traîneau high-tech tiré par des huskies blancs aux yeux bleus ; l’été, il parcourt les profondeurs marines en scooter des mers, ou bien pratique le deltaplane au-dessus de magnifiques paysages de collines.

  

Lebedev a bâti une station balnéaire en Crimée. Il a déversé sa générosité sur la ville en restaurant l’hitorique théâtre Tchekov), mais il préfère passer son temps à Londres, où il fraye avec la créatrice de Harry Potter, Mme Rowling, Sir Elton John et autres gens de qualité. Il joue de la guitare, et soutient DDT, un groupe de rock russe. Il possède également le journal britannique The Independentainsi qu’un tabloïd, l’Evening Standard, et la Novaya Gazetaen Russie.

 

3 - Polonsky.jpg

Polonsky, à l’inverse, s’est construit une forteresse de solitude, un palais de verre émergeant des vagues, sur une île au large des côtes de Sihanoukville, non loin de la maison d’Alain Delon, au Cambodge. Il y rencontre des professeurs de soufi, et reçoit l’enseignement de moines zen et d’adeptes du qi gong. Il est également épris d’ésotérisme et d’expériences mystiques.

 

Les deux hommes ont des origines très différentes. Lebedev a eu une enfance privilégiée; son père était professeur au sein de la prestigieuse Ecole des Services Diplomatiques. Jeune homme, il est entré au KGB et au Parti Communiste. Diplômé de l’école où enseignait son père, il a poursuivi ses études au collège du KGB,  puis est entré dans les services diplomatiques. Affecté à l’ambassade soviétique de Kensington, Londres , il avait pour mission d’endiguer les fuites de capitaux russes. En huit ans, il a eu le temps de bien apprendre les ficelles du métier, et avec la chute de l’URSS, le garde-chasse est devenu braconnier. 

 

Le lieutenant-colonel (KGB) Lebedev a quitté ses fonctions en 1992 et utilisé ses connaissances approfondies en matière de dettes soviétiques pour faire fortune et diriger l’argent fugitif vers des lieux sûrs. Peu de russes connaissaient le système bancaire aussi bien que lui. Et il y avait en effet beaucoup d’argent à se faire pour quelqu’un doté d’un bon réseau : il achetait des prêts à taux réduit pour se les faire rembourser à taux plein grâce à un ami employé au Trésor. Il a passé, avec Gazprom, un accord qui a rendu l’État russe plus pauvre de 200 millions et lui-même et ses collaborateurs plus riches d’autant. Il s’est lié d’amitié avec Victor Chernomyrdin, alors Premier ministre, et Chernomyrdin a obligeamment fait transiter les fonds d’Etat vers la banque que Lebedev venait de créer à Londres. Lebedev a usé de ses relations pour se faire adjuger des postes importants dans des entreprises subventionnées par l’état telles qu’Ilyushinet Aeroflot : les profits sont allés à Lebedev et les dépenses à l’Etat.

 

D’origine modeste Polonsky vient de Saint Petersbourg. Il  a grandi alors que l’URSS s’effondrait autour de lui. Il a étudié l’architecture, a travaillé dans le bâtiment et  la construction, a embauché des ouvriers ukrainiens à  l’époque où ils étaient encore peu chers, et est devenu un promoteur immobilier en bonne et due forme. Il est fier d’être un « self-made man » ; il n’a rien obtenu de l’État, et n’a jamais rien demandé à personne dit-il. Il n’a pas non plus privatisé d’usine d’État, préférant établir de bons rapports avec l’Hôtel de Ville de Moscou satisfaire les nouveaux riches moscovites. Il a l’air assez honnête pour qu’on lui achète une voiture d’occasion, bien que ceux qui sont à ce point dignes de confiance ne deviennent jamais milliardaires. Des sources bien informées disent qu’il a dû magouiller avec Mme Baturina, épouse du maire de Moscou et une des femmes les plus riches du monde : pas un seul bâtiment n’a été construit à Moscou sans un signe d’approbation de sa part.

 

Polonsky a essayé de se tenir à l’écart de la politique; il professe ne rien y connaître et ne pas s’y intéresser. Il se dit bâtisseur, pas plus. Il s’investit corps et âme dans d’énormes projets qui vont de Moscou à la Suisse, et de Londres à la Croatie. Il est démocrate à la russe, c'est à dire qu'il peut se mêler à des gens très ordinaires, mais il vaut mieux pour eux qu’ils obéissent à ses ordres, sinon… C’est un tyran au petit pied disent les employés qu’il a licenciés : il interdit l’envoi de textos pendant les réunions du conseil d’administration ! Les contrevenants voient leurs précieux iPhones fracassés contre un mur (fantasme que je n’ai pu moi-même jamais réaliser qu’en rêve...). Ses ambitions se situent dans la sphère spirituelle, et les affaires doivent souvent s'effacer devant sa quête de Dieu.

 

Lebedev a un penchant pour la politique. Il a essayé plusieurs factions, passant de l’ultra-nationaliste Rodina(Mère-Patrie) au socialiste SRet du SR au  parti actuellement au pouvoir Russie Unie, déchiré qu'il est entre ses ambitions politiques et l’envie se faire un dollar rapido-presto.  Parfois il fait les deux en même temps.

 

En 1996, pendant la période précédant les fatidiques élections présidentielles, Lebedev a soutenu Boris Yeltsin, président en exercice, mais surtout un alcoolique débauché qui a volé la richesse nationale russe pour engraisser les oligarques. Sous Yeltsin, la banque de Lebedev a été utilisée par le Trésor pour acheminer les fonds de l’État, en rouleaux de billets verts bien serrés, vers ceux qu’il fallait acheter. Ce sont des liquidités de Lebedev  qui ont été saisies par la Sécurité dans la tristement célèbre affaire de la Boîte Xerox, cette boîte à papier dans laquelle un militant a été pris en train d’emporter des millions de dollars pour la caisse à pots-de-vin de Yeltsin. Lebedev n’a pas nié les faits ; il en était assez fier, et a même payé le magazine à scandales Kompromat (« Affaires compromettantes ») pour qu’il sorte un numéro spécial contenant une version aseptisée de l’affaire, ainsi que d’autres exploits du même genre.

 

Les audacieux méfaits de Lebedev ont forcément attiré sur lui l’attention des autorités judiciaires, au point qu’en fin de compte, un acte d’accusation a été rédigé contre lui par le Procureur Général de l’Etat. Lebedev – c’est lui-même qui s’en vante - s’est débrouillé pour que le Procureur Général se retrouve avec deux filles faciles dans un sauna et que leurs ébats y soient filmés. Le film n’a plus eu alors qu’à être diffusé sur la chaîne de télévision privée d’un autre oligarque et le Procureur Général qu’à se démettre de ses fonctions.

 

Certains prétendent que Lebedev n’était pas le responsable de ce coup monté. Si c’est vrai, cela en dit long : M. Lebedev penserait-il qu’une mauvaise publicité vaut mieux que pas de publicité du tout ?  Les faits soutiennent la théorie. Lebedev a publié un livre sinistrement intitulé 666 ou La Bête est née, rempli d’attaques grossières contre presque toutes les personnalités publiques de Russie. Il s’y décrit modestement comme « le capitaliste idéal » et  il y revendique non seulement ces exploits criminels mais beaucoup d’autres.

 

Lebedev est toujours prompt à expliquer comment chacun de ses crimes était en fait une bonne action : c’était soit pour sauver la Russie des griffes des cocos – (il escamote ainsi commodément les titres de créance de son propre parti), soit pour sauver le monde du KGB. (là-encore, il se garde bien de rien dire de son propre passé au sein de cette organisation). Il n’a que mépris pour les origines prolétaires de Poutine et son accession au pouvoir. Cela l’irrite au plus haut point qu’ils aient eu tous deux le même grade au sein du KGB. Mais la vraie raison qui se cache derrière l’antagonisme de Lebedev, c’est que Poutine poursuit obstinément les oligarques. Ou devrait-on dire « les persécute » ?

 

Les oligarques souffrent en effet d’un complexe de persécution : à leurs yeux, toute interférence, si faible soit-elle, est profondément injuste. Ils se considèrent comme tout-puissants, alors qu’ils ne sont que puissants, et se hérissent à la moindre tentative de limitation de leur pouvoir.  Certes, leur argent leur a donné un pouvoir de vie et de mort, mais ce pouvoir compromet leur santé mentale. Ils se mettent à prendre au sérieux les flagorneries de leurs sycophantes. Ils rejettent les avis  de leurs conseillers les plus éprouvés. Ils finissent seuls et désacés, poursuivis par les lois. Trop de pouvoir corrompt, et les oligarques russes ont bien plus de pouvoir que n’en eut jamais aucun des satrapes du temps de Staline.

 

M. Poutine n’approuve pas que les oligarques se mêlent de politique. Il ne les punit pas de façon arbitraire ; il ne réécrit pas non plus les lois pour les viser directement. La Russie de Poutine permet à ces magnats de passer sans dommage au travers de beaucoup de choses, mais elle tire un trait devant la criminalité - parfois. C’est le grand sacrilège de Poutine de considérer que les oligarques sont comptables de leurs actes devant la loi. Un tel niveau d’indépendance à leur égard leur a causé un grand choc. Ils ont beaucoup de mal à se remettre de ce coup du lapin et à se faire à la nouvelle réalité, si différente de leur vie de bichons gâtés des années Yeltsine.

 

Les oligarques se souviennent avec mélancolie du temps où ils jouissaient impunément du droit de vie et de mort sur tout ce qui respire, tels les vice-rois des Indes au temps de Clive.

 

4 - Clive.jpg

Hélas, les ambitions politiques de M. Lebedev sont restées insatisfaites. Il a ramené ses hautes visées à un niveau plus accessible, et a décidé de devenir le maire de Moscou. Et a subi un échec. Inquiet, il s’est rabattu sur la mairie de Sochi (la Miami russe). Nouvel échec. Les squales, reniflant l’odeur du sang, se sont mis à tourner autour de lui et ses brillants exploits ont fini, quoique tardivement, par attirer sur lui l’attention des autorités.  En particulier, les 300 millions de $ de fonds publics de sauvetage qui lui ont été attribués pour, censément, renflouer sa banque. Il a accepté l’argent, mais il est très vite devenu évident que les coffres de ladite banque étaient vides, ou plutôt truffés de billets à ordres fictifs. Ses affaires dans l’industrie aéronautique ont également fait l’objet d’enquêtes et il semble que l’Etat, actionnaire principal, s’y soit fait escroquer de  main de maître.


En réponse à ces poursuites, l’astucieux Lebedev a fait marcher sa « police d’assurance » à long terme. S’il avait été juif, il aurait clamé être victime d’antisémites russes autoritaires, mais M. Lebedev n’est pas juif russe. Alors, il a prétendu être persécuté par des voyous du KGB, comme M. Poutine. Cette assurance l'a certes couvert mais lui a coûté très cher : pendant des années, il a été  obligé de financer plus que généreusement le journal anti-Poutine Novaya Gazeta, très lu dans le centre de Moscou et inconnu ailleurs. Pour influencer aussi le gratin international, il a acheté deux journaux britanniques, au moyen desquels il s’est ingénié à promouvoir une nouvelle image de lui comme d’une sorte de Khodorkovsky, autre pauvre homme riche victime des voyous poutiniens du KGB. Il a dit avoir été empoisonné comme Litvinenko, mais il a miraculeusement survécu... Les Britanniques n’ont été que trop contents de coopérer aux campagnes de propagande de Lebedev ; leur establishment était (et est toujours) prêt à soutenir tout et n’importe quoi qui s’en prenne à Poutine, y compris le mouvement des séparatistes tchétchènes.

 

C’est au cours de sa campagne pour la mairie de Moscou que M. Lebedev s’est aperçu de l’existence de M. Polonsky, lequel était en bons termes avec le maire en place. A cette époque, Polonsky était occupé à ériger les deux plus hauts gratte-ciel d’Europe : les Tours Fédération, joyaux de la ville de Moscou. Polonsky est donc devenu le nouvel objet de la haine de Lebedev : encore un de ces self-made men d’origine prolétaire; non, certainement rien d’un pukka sahib ! Or, c’était le moment opportun pour une mise à mort rapide et facile, car l’étoile de Polonsky était en train de dégringoler à toute vitesse.

 

En effet, Polonsky avait fini, lui aussi, par se retrouver dans les ennuis, comme c’est le cas, tôt ou tard, de tous les oligarques. Il n’avait pas été assez consciencieux, ni assez prudent. Il avait rejeté ses fidèles conseillers pour s’entourer de bénis oui-oui. Il s’était fié à ses intuition au lieu de calculer objectivement ses chances, et s’était ainsi engagé dans des affaires impliquant des millions sur une simple tape dans le dos. Ses partenaires ont pris le large avec des morceaux entiers de son empire et ses rêves d’honneur samouraï ont été mis en pièces par le pragmatisme de la nouvelle Russie des affaires.

 

Il a fait confiance à ses collaborateurs, qui l’ont volé comme dans un bois. Plus il leur a donné de pouvoir, plus vite ils se sont esbignés avec son argent. Son capital (estimé à plus de 3 milliards de dollars au sommet de sa prospérité) a commencé à rétrécir à vue d’oeil; il a eu des problèmes de liquidités et des difficultés à mener à terme ses projets les plus ambitieux. Les petites gens qui y avaient investi leurs économies en ont ressenti une colère justifiée.

 

C’est à ce moment-là que l’ingénieux Lebedev a dévoilé le tour qu’il avait imaginé pour détruire Polonsky. Le nabab des médias s’est tout simplement mis à propager la rumeur maligne (et apparemment fausse) que les fondations des Tours Fédération étaient fissurées. Polonsky était déjà sur la défensive, il avait le dos au mur. Il a eu beau inviter des journalistes de Moscou à venir vérifier par eux-mêmes, les laisser déambuler librement à 36 mètres sous terre pour essayer de localiser les fameuses fissures : ils ont refusé d’admettre qu’il n’y en avait pas. Il a même offert un million de roubles à quiconque pourrait en trouver une et personne n’a rien trouvé, mais la rumeur a persisté, alimentée par M. Lebedev et ses journaux.

 

Désormais seul et vacillant, Polonsky s’est mis à dire qu’il avait lui-même inventé cette histoire de fissures pour attirer l’attention du public sur son projet. Personne n’a gobé cette histoire. Ses projets ont continué à péricliter, les prédateurs ont continué à s’emparer de ses lotissements, ses amis ont continué à le piller. Cette histoire de fissures a fini par fissurer son empire.

 

Voici donc l’histoire qui se cache derrière la scène des coups de poings à la télévision. La rencontre devait avoir pour sujet l’économie mondiale. Ils n’avaient encore échangé que quelques mots lorsque M. Polonsky n’a pu s’empêcher d’évoquer le douloureux sujet des fissures. Le monde entier attendait la réponse de Lebedev. Il a regardé sa victime dans les yeux. Que pouvait-il ressentir à ce moment précis ? De l'orgueil ? De la haine ? Quoi qu’il en soit, seul et désaxé, il a envoyé quelques directs bien ajustés sur la mâchoire de Polonsky.  L’ex-commando assis s’est retrouvé par terre, prouvant ainsi la supériorité des méthodes d’entraînement du KGB sur celles des Parachutistes. Le programme télévisé a eu beaucoup de succès. Et après avoir ravi les spectateurs qui s’étaient préparés à un morne exposé sur la crise mondiale, il a fait un buzz sur YouTube

 

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Face à des millions de téléspectateurs qui venaient de voir l’agression en direct, Lebedev a nié avoir frappé Polonsky. Debout à l’extérieur des studios, il a répété avec entêtement, aux journalistes qui l'interrogeaient : « Je ne l’ai pas touché. C’est lui qui m’a attaqué, parce que je suis opposé à Poutine ! » Oui, Lebedev est incroyable ; il est prêt à nier n’importe quoi. Il y a des années, il s’est démené pour faire interdire les jeux de hasard à Saint-Petersbourg. Noble but s’il en fut. Quand il est devenu de notoriété publique que sa banque avait massivement investi dans les jeux de loterie (le principal concurrent des machines à sous), Lebedev a nié mordicus toute implication personnelle. Même après que le dirigeant de sa banque ait prouvé, sans l’ombre d’un doute, que cette stratégie était l’idée de Lebedev en personne,  il a continué à nier être au courant, sans battre un cil. Je me demande si James Bond serait capable d’en faire autant.   

 

Pendant la course à la mairie de Moscou, Lebedev a acheté un journal (le Moscow Correspondent). Il en a fait une machine de guerre. Laquelle a aussitôt fait courir une rumeur diffamatoire selon laquelle M. Poutine serait impliqué dans une affaire extra-conjugale. Lebedev ne s’attendait pas à la réaction de Poutine. D’ordinaire assez tolérant à l’égard des rumeurs, accusations et attaques diverses, le président russe a piqué une colère mémorable. Effrayé, Lebedev a fermé le journal, viré le rédacteur en chef et déclaré à l’antenne que cet article sans fondement était l’œuvre du maire de Moscou qui avait obtenu sa publication contre un pot-de-vin versé au rédacteur en chef. Ce mensonge éhonté a coûté au malheureux journaliste sa carrière : Lebedev ne s’est jamais rétracté.

 

Depuis l’agression télévisée, on a très souvent demandé à Lebedev pourquoi il s’était conduit de la sorte. Certaines de ses explications sont tellement délirantes qu’on a du mal à croire qu’il ait voulu les faire passer pour vraies. La palme revient certainement à : « Je pensais que j’allais devenir un héros populaire parce que j’avais mis à terre ce détestable oligarque. ».  N’est-ce pas merveilleux, venant de sa part ! Polonsky semble quant à lui sincèrement en peine d’explications. Non seulement Lebedev a refusé de s’excuser, mais il continue de nier ce qu’il a fait. Réclame-t-il l’irresponsabilité pénale pour troubles psychiques ? Il est plus probable qu’il réclame le droit primordial de son pouvoir oligarchique : l’impunité.

 

Polonsky n’a retiré aucun avantage de son humiliation publique. En réalité, cette affaire n’a fait que mettre encore plus à mal sa réputation d’homme d’affaires, déjà fragilisée, et un projet qu’il avait à Londres a capoté peu de temps après C’est pour cette raison qu’il a décidé de poursuivre Lebedev au civil devant un tribunal londonien, avant de se retirer dans son île cambodgienne, d’où il poste chaque jour sur Facebook ses prises de barracudas.

 

Presque une année s’est passée avant que les meules extrêmement lentes de la justice criminelle russe se mettent en branle à l 'encontre de M. Lebedev, mais en fin de compte, elle poursuit le baron des médias sous les inculpations de « hooliganisme » et de « voies de fait ». Les avocats de Lebedev prétendent que leur client s’est senti menacé et qu’il a dû se défendre. Lebedev (sans battre un cil) clame qu’il est persécuté par le foutu régime de Poutine à cause de son « amour pour la liberté ». Quelqu’un qui ment comme un arracheur de dents est toujours plus amusant qu’une ingénue, même de talent, et nous ne serons donc pas surpris si M. Lebedev s’en tire avec une petite tape sur les doigts. Tout ça pour dire que le régime de Poutine est bien clément avec les oligarques. Toutefois, cette affaire n’est pas terminée. Nous attendons l’élévation de M. Lebedev au rang de voix de laconscience russe. Avec l’aide de ses pisse-copies britanniques, cela ne devrait pas poser de problème.

 

L'auteur se trouve à Moscou. On peut lui écrire à l’adresse adam@israelshamir.net


 Traduction de Kahem

pour Les Grosses Orchades

Source :

http://www.israelshamir.net/English/Oligarch.htm

 

 

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Post Scriptum :  Polonsky en prison

 

Le protagoniste de cette histoire, Sergei Polonsky, est aujourd’hui dans une prison cambodgienne, dans la petite station balnéaire de Sihanoukville, où je suis allé lui rendre visite.

Le 30 décembre 2012, juste avant les fêtes de Nouvel An, sa vedette rapide a été arraisonnée après une course-poursuite et quelques salves de mitrailleuses en guise d’avertissement, par la Marine Royale Cambodgienne, et un remorquage jusqu’à une base navale, Polonsky a été arrêté et mis en garde à vue.

C’était la conclusion d’une assez terrible dizaine de jours de sa vie, qui venaient de couronner une année misérable. Après l’agression de Lebedev, Polonsky s’était mis à régresser. Cette correction publique n’avait pas déchiré que ses jeans mais quelque chose de plus important dans son âme. Il est reparti pour le Cambodge et sa demeure offshore, mais il n’a pas pu retrouver la paix de l’esprit, même sur son île minuscule – aussi minuscule que la planète du Petit Prince – en compagnie de deux gibbons et deux chats sauvages. Son entreprise, sans surveillance, a marché de travers ; les contrats qu’il avait signés n’ont pas été complètement respectés ; ses partenaires ne l’ont pas payé. Il a essayé de redémarrer à la manivelle son empire défaillant : il a loué au gouvernement un chapelet de petites îles et parlé avec éclat des plans qu’il avait d’y créer un super-refuge, pour la  fin des temps qui allait suivre l’effondrement de la civilisation. Dans les eaux du Golfe de Siam, grouillant de vie sous-marine, les réfugiés de Russie et de New-York trouveraient énergie et nourriture disait-il.

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Pendant ce temps, il vagabondait à travers l’archipel sur sa rapide et spacieuse vedette ex-de la Marine, séjournait et dormait sur les plages de ses îles inhabitées, jouant au marin abandonné. Vêtu seulement d’un sarong et un couteau sanglé à l’une de ses jambes, grand et pieds nus, bronzé et les cheveux décolorés par le soleil tropical, cet ex-commando ne manquait pas d’allure exotique, fin prêt pour tourner sans maquillage dans un film de pirates. Cette existence ne lui réussissait pas trop mal : il avait perdu du poids, retrouvé sa taille mince et ne faisait plus du tout ses quarante ans, l’air bien plus jeune, en fait, qu’un an auparavant. Mais il se conduisait bizarrement :

De personnage de Jack London, il était rapidement en train de devenir un personnage de Joseph Conrad, une espèce de Kurtz, d’Au cœur des ténèbres. Il ne pouvait plus se reposer, restait éveillé des jours et des nuits d’affilée, se précipitait sans cesse d’une île à l’autre ; ses manières – qui n’avaient jamais été très distinguées – devenaient grossières, même pour un Russe parvenu. Il en usait de façon carrément dictatoriale avec ses employés, leur donnant les ordres les plus délirants et exigeant d’eux une absolue docilité. Ainsi, il leur fit jeter ses chemises par-dessus bord, en offrande au dieu de la mer, et il leur fallut aussi tapisser le fond de cette mer de bouteilles du meilleur champagne.

Il est également devenu très soupçonneux ; s’alarmant du moindre bateau croisé, du moindre indigène, se mettant à dormir avec son couteau à la main, prêt à vendre chèrement sa vie. Un beau jour, il a décidé de déménager tout ce qu’il possédait sur une île solitaire et inhabitée : son personnel a reçu l’ordre de charger meubles, ordinateurs, vaisselle, argenterie, livres et peintures sur sa puissante vedette et de prendre la mer. Que comptait-il faire de tout cela sur une plage sauvage et déserte ? Il se conduisait exactement comme Mohammed ben Tughluq, le souverain indien du XIVe siècle qui avait ordonné à tous les habitants de Delhi d’aller à pied jusqu’à sa capitale Daulatabad, puis de refaire la même route en sens inverse.

Quoi qu’il en soit, ses gens n’ont jamais pu décharger sa cargaison : Polonsky n’arrivait pas à décider quelle île choisir. Ses ordres changeaient à chaque minute : tous devaient naviguer avec lui ; un peu plus tard, tous devaient s’en retourner. La nuit, il pensait qu’un bateau s’approchait d’eux – des pirates, sûrement ! – et il ordonnait à son équipage de lever l’ancre et de foncer en avant toutes.

L’équipage ne comprenait pas  ce qu’il voulait ni pourquoi il leur criait dessus. Les Khmers n’ont pas l’habitude qu’on leur crie dessus. Ils ne voyaient pas le vaisseau que leur patron redoutait, ou peut-être ne le pensaient-ils pas une source de danger. Le capitaine et le propriétaire n’avaient aucune langue en commun. Ils n’avaient pas d’interprète. Polonsky était dans un état de pure frénésie, convaincu que son bateau allait être capturé par des pirates. Enfin, il a ordonné à son équipage de sauter par-dessus bord et de nager jusqu’au rivage, distant de 20 à 50 mètres. Après quoi, il a mis les gaz avec deux de ses employés russes.

Le capitaine, pas content de cette éjection cavalière, a appelé la Marine. Après une chaude poursuite, Polonsky a été intercepté et arrêté. Il ne comprenait pas où était le problème : c’était son bateau ; son équipage refusait d’exécuter ses ordres ; il les avait virés sans mettre leur vie en danger et continué sa route. Il les avait soupçonnés de vouloir le braquer en haute mer. C’était un comportement anormal, certes, mais le milliardaire était loin d’être dans un état normal : la terrible tension des semaines précédentes l’avait rendu incontrôlable.

A première vue, il ne faisait que se conduire comme tant de riches Russes qui mettent à sac des restaurants parisiens ou cassent tout à bord de jets des Emirats. Mais ici, on a quelqu’un de plus grand que nature, un personnage sombre et tourmenté, qui transcende les normes de la civilisation. Je n’ai pas pu m’empêcher d’éprouver de la pitié pour un homme qui traversait une crise aussi terrible. Il est fait de la même étoffe que les souverains et les dictateurs, et on se sent rarement à l’aise en présence de cette sorte de gens.

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En prison, il s’est calmé. Pas tout de suite pourtant : il a d’abord refusé de s’excuser auprès de son équipage et a failli mettre la prison en pièces. Mais, en fin de compte, il a accepté de faire la paix. Il a pris les autres prisonniers sous son aile, dépensant sans compter ses ressources désormais limitées pour aider ceux qui sont dans le besoin. Il leur achète des médicaments et soudoie les gardiens pour alléger leur condition. Ses compagnons de détention le révèrent. En dépit des promesses, il est toujours sous les verrous plus de deux mois après les faits. Il s’est sans aucun doute mal conduit, mais n’a-t-il pas été assez puni ? C’est ce qu’on pense à Sihanoukville, où les gens espèrent qu’il sortira bientôt et qu’il viendra en aide aux habitants, après avoir reçu une leçon aussi dure.

Israël Adam Shamir

Traduction Catherine L.

 

 

 

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LIVRES


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Nikolaï GOGOL

La brouille des deux Ivan

Paris, Mille et une nuits, 1999

110 pages - Poche

 

 

 

 

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Nikolaï GOGOL

Comment Ivan Ivanovitch se brouilla avec Ivan Nikiforovitch

Préface de Dominique Fernandez

Paris, André Versailles, 2010

96 pages

 



LA BROUILLE DES DEUX IVAN, par Nicolas Vassilievitch Gogol Texte complet on-line.

http://www.livres-online.net/nouvelles-contes/865-la-brou...

 


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Photographies

 

Russie partout, même chez les photographes : Serguei P. Iron

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Twiggy revisited ? Allez, elles sont maigres mais elles ne manquent pas d’allure.

 

Source :

http://au-bout-de-la-route.blogspot.be/2013/02/voiles-de-...


 

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Astéroïdes

 

Les Japonais simulateurs de collision n’avaient pas tout faux finalement :

sur

 

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VIDÉO-PHOTOS.  Russie :  Une météorite crée la panique dans l’Oural (500 blessés, 6 villes atteintes)

 

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http://allainjules.com/2013/02/15/video-photos-russie-une...

Autres sources :

http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossie...

Voir aussi :

http://zebrastationpolaire.over-blog.com/article-russie-m...

 

 

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En prime

Scandale à Londres : un hôpital responsable de la mort de 1.200 patients

http://www.legrandsoir.info/scandale-a-londres-un-hopital...

http://www.20minutes.fr/ledirect/1095599/scandale-hospita...

 

Mais qu’est-ce que font la City et M. Cameron de tous les milliards chouravés aux Russes ?

 

 

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CINEMA

En  cette période où les Oscars volent bas, il ne nous a pas semblé déplacé de dire tout le mal qu’on peut penser de deux films qui vont pourtant cartonner au box-office. Le premier a eu l’Oscar du meilleur film U.S., prix annoncé par dame Michelle Obama soi-même, depuis la Maison-Blanche ; le second ne l’a pas eu mais y a été cité cinq fois. La mission du premier est de fabriquer le consentement des foules yankees à une guerre d’invasion de l’Iran, comme d’habitude. Rosa Llorens, notre critique-fétiche, dit ce qu’il y a à en dire. Le second se veut, si nous avons bien compris, une dénonciation de l’esclavage. Il a provoqué l’enthousiasme de M. Georges Stanechy sur son blog ( http://stanechy.over-blog.com/article-mali-afrique-tarent... ) et de M. Claude Ribbe sur le sien ( http://www.claude-ribbe.com/index.php?option=com_content&... ), mais il est très loin de faire l’unanimité, y compris dans son pays d’origine où d’aucuns se sont même mis à le boycotter, à commencer par Spike Lee, qui trouve que l’esclavage de ses ancêtres fut une tragédie et non un sujet de western spaghetti. Par ailleurs, ledit western a fait faire à Madame Aline de Dieguez quelques réflexions pratiques, dont nous nous faisons ici l’écho.

 

 

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Argo ou Dark Tchador.

Rosa LLORENS

Argo vient une nouvelle fois illustrer la stratégie élaborée par Hollywood pour traiter l’histoire récente des Etats-Unis : certes, elle n’est pas occultée (les Etats-Unis ont plus souvent traité de la guerre du Viet-Nam que les Français de la guerre d’Algérie), mais ils la réécrivent à leur façon (selon Apocalypse now, les Américains n’ont perdu la guerre que parce qu’ils ont refusé de se montrer aussi cruels que les Viet-Namiens !).

Le but, ici, était de cicatriser les blessures laissées, sous le mandat du président Carter, par la crise des otages américains de Téhéran, faits prisonniers lors de l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis : comment faire oublier cette longue humiliation de plus d’un an (de novembre 1979 à janvier 1981) ? D’une part par le choix d’un épisode bien ciblé, d’autre part en profitant du prestige de Hollywood.

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Hollywood et la politique américaine

A propos de "Django Unchained" de Quentin Tarantino.

Aline de Dieguez

 

Je ne voudrais pas trop doucher l'enthousiasme des cinéphiles, mais il me semble important de rappeler quelques vérités. Comme disait Malraux, "le cinéma est (aussi) une industrie". J'ajouterai que le cinéma est non seulement une industrie et un commerce, mais qu'il est surtout une arme politique plus efficace que le missile le plus meurtrier.

Avant de tourner le premier plan de son film, M. Tarantino s'est donc assuré de son financement par la Weinstein Company (TWC), fondée par MM. Robert et Harvey Weinstein. Une rapide recherche sur le capital de cette société vous fait rencontrer Colony Capital, Tutor-Saliba Corporation , Morgan Stanley , Qatar Investment Authority et notre grand ami le Sheikh Hamad bin Jassim bin Jaber Al Thani. Du beau monde, n'est-ce pas, pour lequel la valeur d'un film se mesure à la recette qu'il produit. (Petite parenthèse hors sujet, mais amusante: la vente des gladiateurs footballistiques parisiens par Colony Capital à Qatar Investment Authority est donc une petite opération entre amis.)

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Mis en ligne le1er mars 2013 par Catherine

20:25 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Musique, Web | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |