09/02/2017

ESPRIT DE L'ESCALIER - I - De quelques académiciens

1. bateau-livre papier.JPG

 

Esprit de l’escalier…

Où il est question de quelques académiciens et d’un livre

par Théroigne

 

Avec deux mois de retard sur notre calendrier, mais est-il jamais trop tard pour parler littérature ?

2. stack-of-books xxx.GIF

« Ils sont là quarante qui ont de l’esprit comme quatre »

Beaumarchais

 

       « Figurez-vous les Quarante assemblés.

       Au milieu d’eux paroissait la Science,

       Cent fois plus sotte encor que l’Ignorance ;

       Ses yeux étaient ceints d’un voile d’airain ;

       De le percer elle tâchait en vain !

       Elle tenait une lanterne obscure

       D’où s’élevait une fumée impure,

       Et toutefois son cortège hébêté,

       À sa lueur cherchait la vérité. »

Saint-Just, Organt, Chant viii

… qui étaient deux mauvaises langues.

 

2. stack-of-books xxx.GIF

 

En hommage à Manuel de Diéguez

 

Que nous soyons Français, Belges ou Suisses, voire Québécois ou anciens colonisés, la langue française est une partie essentielle de notre matrimoine qui nous vient de très loin dans le temps et de beaucoup d’endroits, tant il est vrai que « l’Occident », c’est de « l’Orient » qui a déménagé. Cette langue française a très fort bifurqué à un moment-clé de l’histoire d’Europe : la Renaissance. Principalement à cause de deux hommes :

- Rabelais l’insatiable, qui parla le grec et le latin comme on se mouche ; qui apprit aussi l’hébreu d’un rabbin et l’arabe d’un savant de sa connaissance (que vous retrouverez tous les deux si vous cherchez bien à l’un ou l’autre coin de ses œuvres déguisés en personnages), mais qui baragouina en outre plus ou moins bien l’allemand, l’italien, l’écossais, le flamand, le basque et même le wallon appris des mercenaires de toutes provenances qu’il soigna dans l’entourage de deux ou trois rois de France et de ses patrons de la famille du Bellay.

- Étienne Dolet, un des premiers et peut-être le plus grand éditeur français de tous les temps, polyglotte lui aussi, écrivain, penseur dangereux, traducteur de Platon et autres fariboles.

Au premier, nous devons un nombre impressionnant de mots fabriqués par lui de toutes pièces à partir du grec ou recueillis dans les nombreux dialectes de France.

Au second, nous devons surtout les accents qu’il imagina pour rendre la susdite langue plus nuancée, plus subtile et plus précise, ainsi que notre tout premier dictionnaire.

L’un annonça qu’il défendrait ses idées « jusqu’au bûcher exclusivement », le frôla, mais réussit quand même à nous laisser un tel torrent de paroles dégelées qu’il en noya les malveillances pyromanes.

L’autre défendit les siennes « jusqu’au bûcher inclusivement ». De surcroît, ses livres aussi furent brulés, mais son dictionnaire, ses accents et ses idées, tels le Phénix, ressuscitèrent de leurs cendres.

En 1635 (il y a tout juste 382 ans) le Grand Cardinal (Mgr de Richelieu), qui n’a pas fait que chercher des crosses aux mousquetaires du roi, cédant aux instances d’une vieille fille appelée Marie de Gournay, que Molière brocarderait plus tard avec d’autres sous le nom de « femmes savantes », créa l’Académie Française.

 

22. Académie 22 février 1635 - Richelieu fonde l'Académie.JPG

Le 22 février 1635, Richelieu fonde l’Académie

 

 La demoiselle aimait les vieux mots et tenait qu’ils devaient être préservés pour les générations futures. Cela fit bien rire alors les libertins, matérialistes et autres cartésiens gassendistes adeptes d’un futur lumineux qui ne voulaient voir qu’en avant, dont certains payèrent quand même de leur vie tant d’audace, mais le cardinal l’écouta.                              

 

23.  marie-gournay.jpg

 

Qui plus est, le premier dictionnaire dont accoucha l’illustre assemblée fut fait sur le modèle de celui d’Étienne Dolet. Quant à ses accents, ils allaient être de plus en plus d’usage courant tant ils étaient nécessaires.

En 1988 d’ailleurs, quand M. Michel Rocard voulut faire supprimer ces accents qui ne servaient qu’à rétrécir les marges bénéficiaires de nos colonisateurs digitalo-zuniens, l’Académie s’y opposa. Et fit bien. Pas assez, mais passons. Comme elle fait bien de ne pas s’aligner sur le conformisme pseudo-féministe à la mode et de maintenir ses règles de grammaire. Oui, on le sait depuis au moins Alphonse Allais que « 300.000 femmes et un petit garçon s’accordent au masculin pluriel ». Et alors ? La mère des dieux n’était-elle pas bisexe, que ce fût sous le nom de Q’R, mère du Coran, de Kybélé, mère de la Kabbale ou de Carmenta, mère des carmen et de l’alphabet latin ? Que les Quarante continuent donc à nous préserver de l’horreur des « auteures » et des « écrivaines » et soient assurés de notre gratitude !

On en est là. Et les académiciens vont et viennent. Tous immortels.

 

« Quand on est quelqu’un, pourquoi vouloir être quelque chose ? »

Gustave Flaubert

 

24. Bannière Académie française.jpg

 

C’est que, peut-être, ils ne sont pas tous quelqu’un… Mais ceci ne nous regarde pas.

Corneille, Descartes, Molière, La Rochefoucauld, Rousseau, Diderot, Beaumarchais, Balzac, Dumas père, Gautier, Flaubert lui-même, Stendhal, Nerval, Maupassant, Zola, Daudet, Léautaud n’en furent jamais, ni Céline pour la même raison que Corneille, et Marcel Aymé parce qu’il refusa d’en être, mais ceci est une autre histoire.

Adonc, le 15 du mois dernier (non, de décembre !), M. Andreï Makine, immigré soviétique naturalisé français et romancier de son état, a été reçu à cette illustre Académie, pour y occuper le fauteuil de Mme Assia Djebar, Française d’origine algérienne, récemment décédée.

 

25. Assia Djebar 2.jpg

Assia Djebar

 

L’usage veut que l’impétrant, le jour de sa réception, prononce un discours à l’éloge de celui ou celle qu’il remplace et qu’un autre, au nom des trente-neuf survivants, lui réponde par un discours de bienvenue. Le discours de réception le plus étourdissant dont nous ayons le souvenir est celui de Jean Cocteau, ce qui ne nous rajeunit pas. Celui de M. Makine n’est pas mal non plus. Il a causé quelques remous y compris internationalement, parce qu’y ont été énoncées avec infiniment de mesure des opinions que partagent plusieurs millions de Français mais dont les « gens-z-au-pouvoir » et leurs haut-parleurs tarifés se sont effarouchés. Jusqu’à parler – les haut-parleurs – de « discours pro-russe » et même carrément de « discours poutinien ». Cette agitation causée dans la basse-cour justifierait à elle seule la diffusion urbi et orbi des propos de M. Makine.

M. Fernandez, qui était chargé de lui répondre, nous a quelquefois agacés par la propension qu’il a de faire tourner toutes les affaires du monde autour de l’homosexualité. Il n’a pas cédé cette fois à son péché mignon, et, si son discours de bienvenue a débuté sur quelques idées politiques reçues un peu courtes, il a vite passé outre pour devenir, ensuite, tout bonnement brillant.

Les deux discours méritant d’être connus, les voici l’un derrière l’autre par-dessus la trêve des confiseurs et tout un mois de janvier. Nous les faisons suivre de quelques considérations de notre cru sur une partie de l’œuvre de M. Makine, que vous pouvez sauter sans remords car elles n’engagent que nous.

 

2. stack-of-books xxx.GIF

 

Discours de M. Andreï Makine

 

26. Makine debout.jpg

 

Mesdames et Messieurs de l’Académie,

 Il y a trois cents ans, oui, trois siècles à quelques mois près, au printemps de 1717, un autre Russe se rendit à l’Académie, une institution encore toute jeune, quatre-vingts ans à peine, et qui siégeait, à l’époque, au Louvre. La visite de ce voyageur russe, bien que parfaitement improvisée, était infiniment plus éclatante que mon humble présence parmi vous. Il s’agissait de Pierre le Grand ! Le tsar rencontra les membres de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, s’attarda – le temps de deux longues séances – à l’Académie royale des sciences, observa plusieurs nouveautés techniques et réussit même à aider les géographes français à corriger les cartes de la Russie. Il alla aussi à l’Académie française et là il ne trouva présents que deux académiciens. Non que les membres de votre illustre Compagnie fussent particulièrement dissipés mais le tsar, nous l’avons vu, improvisait ses visites sans s’enquérir des règlements ni de l’heure des séances. Néanmoins, les deux académiciens eurent l’élégance d’initier Pierre aux secrets de leurs multiples activités. L’un d’eux cita, bien à propos, Cicéron, son dialogue De finibus bonorum et malorum. Les langues anciennes n’étaient pas encore considérées en France comme un archaïsme élitiste et la citation latine sur les fins des biens et des maux, traduite en russe par un interprète, enchanta le tsar : « Un jour, Brutus, où j’avais écouté Antiochus comme j’en avais l’habitude avec Marcus Pison dans le gymnase dit de Ptolémée [...], nous décidâmes de nous promener l’après-midi à l’Académie, surtout parce que l’endroit est alors déserté par la foule. Est-ce la nature, dit Pison, ou une sorte d’illusion, [...] mais quand nous voyons des lieux où nous savons [...] que demeurèrent des hommes glorieux, nous sommes plus émus qu’en entendant le récit de leurs actions ou en lisant leurs ouvrages... »

 

27. Pierre le Grand visiteur pressé.JPG

 

 L’enthousiasme de Pierre le Grand fut si ardent que, visitant la Sorbonne, il s’inclina devant la statue de Richelieu, l’embrassa et prononça ces paroles mémorables que certains esprits sceptiques prétendent apocryphes : « Grand homme, je te donnerais la moitié de mon empire pour apprendre de toi à gouverner l’autre. »

Le tsar embrassa aussi le petit Louis XV, âgé de sept ans. Le géant russe tomba amoureux de l’enfant-roi, sans doute percevant en ce garçonnet un contraste douloureux avec son propre fils, Alekseï, indigne des espoirs paternels. Mais peut-être fut-il touché, comme nous le sommes tous, quand nous entendons un tout jeune enfant parler librement une langue, pour nous étrangère, et dont nous commençons à aimer les vocables. Oui, cette langue française qui allait devenir, bientôt, pour les Russes, la seconde langue nationale.

Lire la suite…

 

28.  Makine-épée Artco russe.jpg

Épée de M. Makine

 

 Source : http://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-de...

 

2. stack-of-books xxx.GIF

 

Réponse de M. Dominique Fernandez au discours de M. Makine

 

29. Fernandez 15 décembre 2016.jpeg

 

Monsieur,

Vous avez eu la chance de naître et de grandir au cœur de la Sibérie, près de Krasnoïarsk sur le fleuve Ienisseï – si large que son passage, à l’époque de Michel Strogoff, exigeait, écrit Jules Verne, « un laps de temps de trois heures » –, la chance de subir, dès votre plus jeune âge, les agressions du climat, la furie des tempêtes, les morsures du froid polaire, les rafales glacées qui brûlent les doigts et lacèrent le visage, « la mitraille des flocons ». La chance, dis-je, car vos premiers livres ont été nourris de cette expérience meurtrière qui aurait abattu un caractère faible, mais, de vous, au tempérament exceptionnellement fort, a fait d’emblée un écrivain. Le premier obstacle contre lequel vous vous êtes dressé a été la Nature. Heurt formidable de l’homme contre les éléments, qui me rappelle la hugolienne bataille, au fond de l’océan, du travailleur de la mer Gilliatt contre la pieuvre aux tentacules géants. J’espère que notre vieille coupole résistera au souffle ardent que votre œuvre y fait entrer : cette œuvre, je la compare à cette locomotive du Transsibérien dont vous décrivez, dans votre troisième roman, passé inaperçu comme les deux premiers, les énormes roues peintes en rouge, les bielles étincelantes, l’allure de monstre noir couvert de givre floconneux. « Et, sur son poitrail, une large étoile rouge. » Oui, Monsieur, avec vous nous accueillons et nous essaierons de contenir l’immensité de la taïga désolée, les champs de glace et de permafrost étendus à l’infini, la musique profonde des forêts sauvages, toute cette démesure, cette énergie cosmique, ce déchaînement tellurique qui contrastent si fort avec le train-train bonhomme de notre pays aux coteaux supposés modérés.

La Nature a été pour vous ce que la Famille est en Occident : cette puissance hostile contre laquelle celui qui est appelé à devenir créateur doit s’opposer pour devenir lui-même. Vous, Monsieur, n’avez pas eu à porter votre Anchise sur le dos ; comme Sartre, vous êtes passé d’une rive à l’autre, sans ce fardeau de la famille à traîner toute la vie. À peine étiez-vous né que vous étiez orphelin. Et, à ceux qui s’apitoieraient de vous voir si jeune privé de l’appui fourni à tant d’autres enfants, vous répondriez qu’en Russie, à cette époque, entre les vingt-six millions de morts de la guerre et les innombrables victimes de la répression stalinienne et post-stalinienne, il y avait au moins cinquante millions d’orphelins. Être orphelin était la condition commune.

Lire la suite…

 Source : http://www.academie-francaise.fr/reponse-au-discours-de-r...

 

2. stack-of-books xxx.GIF

 

24. Bannière Académie française.jpg

 

Ne soyons pas pingres…

 

Discours de réception de Jean Cocteau au siège de Jérôme Tharaud – 20 octobre 1955

 

30. jean-cocteau académie francaise.jpg

Jean Cocteau est, à notre connaissance, le seul académicien qui ait voulu dessiner lui-même la poignée de son épée.

 

 

     Messieurs,

     Rémy de Gourmont disait que chez Edmond Rostand la chance est une des formes du génie. Rostand fut porté sur ce siège par des fées rapides et dans un tumulte d’ailes qu’il évoque autour de la naissance d’Henri de Bornier. Toutes les portes qui se ferment devant les guerriers noirs des Lettres dont Kleist reste l’exemple, s’ouvraient toutes seules devant ses armes blanches et son blanc panache.

     Lorsque Cyrano de Bergerac tournait toutes les têtes, j’imagine un jeune sorcier de Condorcet déclarant aux élèves de ma classe que j’occuperais un jour à l’Académie, le fauteuil de leur idole. Le vieux Collège se serait écroulé sous les rires. Or, déjà je songe aux morts qui ont rendu ce fauteuil libre et que ma mort seule y placera un vif et que ce vif existe et qu’il est probable que je le croise, que je le rencontre, que je lui parle, sans qu’il se sache ni que je le sache désigné par les astres afin de prendre un jour cette place où Jérôme Tharaud serait, je le présume, bien étonné de me voir. Et sans remonter à l’Abbé d’Olivet, à Condillac, à Sieyès, à Lally-Tollendal, le sorcier du collège aurait pu me dire que le dramaturge de Cyrano cèderait la place à Joseph Bédier, lequel, beaucoup plus que Wagner, me versa le philtre d’Iseult et m’apprit à connaître la forêt du Maurois, préfigurant le nom d’un homme si souvent penché sur les œuvres célèbres et qui me fait aujourd’hui l’honneur d’arrêter son regard sur les miennes.

     Oui, Messieurs, je ressemble pas mal à ces équilibristes en haut d’une pile de chaises. Rien ne manque à la ressemblance avec cet exercice périlleux et même pas le roulement de tambour traditionnel qui l’accompagne.

Lire la suite…

Source : http://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-de...

 

2. stack-of-books xxx.GIF

 

et quelques autres (choix subjectif)

 

Discours de réception de Mme Simone Veil, succédant à M. Pierre Messmer au fauteuil de Jean Racine – 18 mars 2010

 

31. Simone Veil Académie française.jpg

Simone Veil est, pour toute une génération de femmes, indissociable de l’événement politique par lequel elles sont enfin sorties de leur condition d’éternelles mineures. Elle représente aussi, y compris aux yeux de qui n’est pas du tout de son bord, le dernier spécimen connu du politique soucieux de remplir à peu près correctement son mandat, c’est-à-dire ses responsabilités envers tous.

 

Mesdames, Messieurs,

Depuis que vous m’avez fait le très grand honneur de me convier à frapper à la porte de votre Compagnie, qui s’est ouverte aussitôt, la fierté que j’éprouve ne s’est pas départie de quelque perplexité. En effet, même si l’Académie française, dès sa naissance, a toujours diversifié son annuaire, jusqu’à, pensez donc, s’ouvrir à des femmes, elle demeure à mes yeux le temple de la langue française. Dans ce dernier bastion, elle épouse son temps, sans céder aux dérives de la mode et de la facilité, et, par exemple, n’est-ce pas Madame le Secrétaire perpétuel, sans donner dans le travers qui consiste à faire semblant de croire que la féminisation des mots est un accélérateur de parité. Or, n’ayant moi-même aucune prétention littéraire, tout en considérant que la langue française demeure le pilier majeur de notre identité, je demeure surprise et émerveillée que vous m’ayez conviée à partager votre combat.

À bien y réfléchir, cependant, depuis que vous m’avez invitée à vous rejoindre, moi que ne quitte pas la pensée de ma mère, jour après jour, deux tiers de siècle après sa disparition dans l’enfer de Bergen-Belsen, quelques jours avant la libération du camp, c’est bien celle de mon père, déporté lui aussi et qui a disparu dans les pays Baltes, qui m’accompagne. L’architecte de talent qu’il fut, Grand Prix de Rome, révérait la langue française, et je n’évoque pas sans émotion le souvenir de ces repas de famille où j’avais recours au dictionnaire pour départager nos divergences sur le sens et l’orthographe des mots. Bien entendu, c’est lui qui avait toujours raison. Plus encore que je ne le suis, il serait ébloui que sa fille vienne occuper ici le fauteuil de Racine. Cependant, vous m’avez comblée en me conviant à parcourir l’itinéraire de ce héros de notre temps que fut Pierre Messmer.

Lire la suite…

 Source : http://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-et...

 

32. Les 40 ans de la loijVeil x.gif

43, même, cette année

 

Mais, aujourd’hui, Madame Veil n’a quà bien se tenir :

 

« Quand la somptueuse sheikha Mozah du Qatar est reçue à l’Académie » (2009)…

…son époux l’aide à tenir son épée.

 

33. Emir et sa femme.jpg

 

Ah, zut, c’était celle dont Salvador Dali était membre, l’académie « des Beaux-Arts » … Dommage qu’ils ne se soient pas rencontrés.

 

34. Tricorne à plumes.gif

 

Discours de Dany Laferrière prononcé lors de sa réception au siège d’Hector Bianciotti – 28 mai 2015

 

35. Discours Dany Laferrière.JPG

Avec Dany Laferrière, c’est l’incroyable vitalité de l’île martyre elle-même qui est entrée sous la coupole, même si l’académicien a un passeport canadien.

 

Mesdames et Messieurs de l’Académie,

Permettez que je vous relate mon unique rencontre avec Hector Bianciotti, celui auquel je succède au fauteuil numéro 2 de l’Académie française. D’abord une longue digression – il y en aura d’autres durant ce discours en forme de récit, mais ne vous inquiétez pas trop de cette vieille ruse de conteur, on se retrouvera à chaque clairière. C’est Legba qui m’a permis de retracer Hector Bianciotti disparu sous nos yeux ahuris durant l’été 2012. Legba, ce dieu du panthéon vaudou dont on voit la silhouette dans la plupart de mes romans. Sur l’épée que je porte aujourd’hui il est présent par son Vèvè, un dessin qui lui est associé. Ce Legba permet à un mortel de passer du monde visible au monde invisible, puis de revenir au monde visible. C’est donc le dieu des écrivains.

Ce 12 décembre 2013 j’ai voulu être en Haïti, sur cette terre blessée, pour apprendre la nouvelle de mon élection à la plus prestigieuse institution littéraire du monde. J’ai voulu être dans ce pays où après une effroyable guerre coloniale on a mis la France esclavagiste d’alors à la porte tout en gardant sa langue. Ces guerriers n’avaient rien contre une langue qui parlait parfois de révolution, souvent de liberté. Ce jour-là un homme croisé à Port-au-Prince, peut-être Legba, m’a questionné au sujet de l’immortalité des académiciens. Il semblait déçu de m’entendre dire que c’est la langue qui traverse le temps et non l’individu qui la parle, mais que cette langue ne perdurera que si elle est parlée par un assez grand nombre de gens. Il est parti en murmurant : « Ah, toujours des mots… » C’est qu’en Haïti on croit savoir des choses à propos de la mort que d’autres peuples ignorent. La mort est là-bas plus mystique que mystérieuse.

Ici, on se souvient d’Hector Bianciotti comme d’un homme généreux, élégant et cultivé. Trois qualificatifs qui reviennent dès qu’on apprend quelque part que j’entre à l’Académie française. « Au fauteuil de qui ? » « Hector Bianciotti. » « Ah, me répond-on, vous êtes chanceux ! Ça va être facile d’en dire du bien. C’est un bon écrivain et un homme courtois. » J’entends ces commentaires louangeurs à Port-au-Prince, à Bruxelles, à Montréal et surtout à Paris. On vient généralement à une pareille cérémonie pour fêter le nouvel élu, mais beaucoup de gens sont ici ce soir pour entendre ce que j’ai à dire à propos d’Hector Bianciotti. Passerai-je l’examen ? Au lieu de comparaître devant vous, je vais plutôt voir l’écrivain français venu d’Argentine afin de comprendre cet étrange hasard qui nous a réunis sur ce fauteuil.

Lire la suite…

 

36. épée de dany laferrière.jpg

Épée de M. Laferrière

 

 Source : http://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-de...

 

2. stack-of-books xxx.GIF

 

« Ah ça, petit, tout ce que je sais c’est qu’à force d’entendre les mensonges que les males langues répètent aux quatre vents le peuple n’y comprend plus rien et au bout de quelques années il y croit, parce qu’il n’y a plus de témoins de la vérité. »

Monaldi et Sorti, Les doutes de Salaï

 

Revenons à M. Makine…

 

Un académicien sur les traces de « l’esprit français »…

 

… qu’il appelle « francité » ou encore « cette puissance formulatrice qui exprimait le monde pour pouvoir le transfigurer ».

Certes.

« Liberté. Égalité. Fraternité. » par exemple.

Que d’avatars avant d’en arriver là. Et depuis, que d’abandons.

Sait-il, M. Makine, pourquoi Corneille ne fut jamais de cette assemblée ? Pour quelles raisons politiques ?

Armand Duplessis, pour qui la politique était « l’art du possible », donc grand réaliste s’il en fut, avait interdit que l’on exaltât l’Espagne, alors furieusement à la mode, dans les écrits et les œuvres d’art. Il savait le rôle qu’elle avait joué dans les guerres de religion en France (peu ou prou celui des États-Unis au Moyen Orient d’aujourd’hui) et cela ne le faisait pas rire. Ce n’est pas sous son ministère que la France se fût pâmée devant Hollywood. Il avait aussi interdit la pratique du duel, autre mode qui faisait fureur dans l’aristocratie. Sans lui, il ne serait pratiquement plus resté de sang-bleu à guillotiner en 89, et là, il a peut-être eu tort.

Quoi qu’il en soit, on peut dire que Corneille mit fâcheusement les pieds dans le plat lorsqu’il écrivit une tragédie espagnole tournant autour d’un duel. Que le cher Rodrigue y estourbît un père de famille et s’en tirât les doigts dans le nez n’allait pas dans le sens de la politique de Monseigneur.

C’est cela aussi la francité…

Parlons un peu de Flaubert à présent, puisque aussi bien, nous l’avons cité.

Notre nouvel académicien ne semble pas avoir fait son livre de chevet du Dictionnaire des idées reçues. Dommage. Car c’est une des pierres angulaires du « caractère français », ce furet qu’il poursuit avec tant de persévérance qu’il mériterait de l’attraper.

 

37. Requiem pour l'Est.jpg

 

Un exemple de ce que nous voulons dire : dans Requiem pour l’Est, il y a cette phrase :

 

« L’homme et la femme qui recevaient chaque jour ce silence comme un don de Dieu ou du destin ne savaient pas qu’on n’avait plus besoin de lacs artificiels car celui à qui on les dédiait venait de mourir. »

 

Il s’agit évidemment de l’interruption momentanée, en 1953, de grands travaux de construction d’un barrage, tels que nous en connûmes alors à Tignes avec son village englouti (et qu’il est question aujourd’hui de privatiser après qu’il ait coûté si cher aux contribuables, mais passons), qui fut précisément inauguré le 4 juillet 1953. L’interruption dont il est question dans son livre semble avoir coïncidé avec la mort de Staline.

En voilà une phrase que les Flaubert, les Stendhal ou les Léautaud n’eussent jamais lues qu’avec un sourcil levé, en se posant in petto ce genre de questions si françaises :

–        pourquoi n’avait-on plus besoin de lacs artificiels ?

–        qui, ça, « on » ?

–        en est-on sûrs ?

–        qui les dédiait à qui ?

–        pourquoi ?

–        que sait-on des uns et de l’autre ?

–        celui qui venait de mourir avait-il voulu ces lacs ?

          ... réussi à les imposer ?

          ... voulu qu’on les lui dédiât ?

–        comment diable avait-il fait ?

–        supposons-le seul contre tous :

         par quels moyens s’était-il fait obéir ?

–        comment sait-on tout cela ?

         Etc. etc. etc.

         Ce n’est pas pour rien que les fossoyeurs de l’Éducation nationale ont commencé par châtrer la langue française de son analyse logique. Ils savaient ce qu’ils faisaient.

Au moment de la mort évoquée de Staline (1953), Andreï Makine (né en 1957) avait encore au moins quatre ans à passer dans les choux. Il n’a donc pu connaître ces choses – en gros et en détail – que par ouï-dire…

 

Comment au pays de satin veismes Ouy-dire, tenant escole de tesmoignerie.

 

38. Ouy-dire.jpg

On le nommoit Ouy-dire : il avoit la gueule fendue jusques aux aureilles et dedans la gueule, sept langues et la langue fendue en sept parties ; quoy que ce fust de toutes sept ensemblement, parloit divers propos et langages divers ; avoit aussi parmy la teste et le reste du corps autant d’aureilles comme jadis eut Argus d’yeux ; au reste estoit aveugle et paralitique des jambes.

 

 … dont nous avons omis de citer le père en vous parlant des Flaubert, des Stendhal et des Léautaud. Un autre que nous n’aurions vraiment pas dû oublier de vous citer non plus, c’est Dolet et cette phrase qu’il a maintenue jusqu’au bûcher :

 

« J’ai autant le droit de manger du lard en Carême qu’il a celui de me l’interdire ».

 

« Il » : le pape. Première affirmation historique de cette égalité qui n’est peut-être pas une invention française, mais qui n’a pour la première fois connu un faible début de concrétisation qu’en France, pas longtemps, mais quand même. Et à laquelle ont droit jusqu’aux « vieux hommes à moustache » réputés tyrans et qui le furent peut-être.

À ce jour et s’agissant du petit Père des Peuples, il semble que la quintessence d’esprit français que rêve Makine se soit surtout réfugiée chez M. Andreï Fursov, qui est russe, et chez M. Grover Furr, citoyen US. Car l’esprit souffle où il veut.

 

39. cette-france-qu-on-oublie-d-aimer.jpg

 

Autre exemple d’idée reçue et acceptée, qui lui fait rater la vraie francité :

Dans l’avant-dernier chapitre d’un important petit livre qu’il faut lire (Cette France qu’on oublie d’aimer), chapitre intitulé « Si vous n’êtes pas Français, soyez digne de l’être », M. Makine écrit, s’adressant évidemment aux jeunes gens des banlieues :

 

     « C’est ainsi, en paraphrasant Corneille, qu’on devrait s’adresser à cette jeunesse pour l’arracher à l’emprise des idéologues, de l’assistanat, de la mafia des caïds, de l’embrigadement des intégrismes, de l’imagerie pieuse des petits “Beurs” et des gentils “Blacks” qui réussissent. Il faudrait un langage clair, sans complaisance, sans aucune censure, sans la police de la pensée et de l’arrière-pensée qu’exercent les « antiracistes » professionnels.

     Oui, des mots clairs pour dire qu’il ne peut y avoir qu’une seule communauté en France : la communauté nationale. Celle qui nous unit tous, sans distinction d’origine et de race. » (p.105)

 

À notre avis, un homme qui a grandi dans un pays où les mots de Karl Marx étaient paroles d’Évangile, devrait savoir au moins ce que signifie l’expression lumpen prolétariat et devrait donc avoir une notion, même approximative, de ce que peut être le degré de libre  arbitre laissé à ces classes dangereuses.

Il se fait par ailleurs (c’est dans le même livre) que M. Makine, impressionné par « la botte souveraine de la réalité » de Trotski, passe sans les voir à côté des « durs pépins de la réalité » de Prévert. Or, dans une botte, qu’y a-t-il ? Rien. À la rigueur un pied, mort ou vif. Alors que dans « pépin », il y a « graine », « germe »… de réalités futures.

Qu’entendons-nous par là ? Que M. Makine a dû comme nous, comme tout le monde, voir cette photo d’une petite fille israélienne écrivant au bâton de rouge à lèvres « Bons baisers de Tel Aviv » sur un engin de mort qui allait massacrer, non loin, des enfants de son âge aussi innocents qu’elle. C’est ainsi qu’on fabrique des générations dévoyées. En les formatant au berceau.

Ce n’est pas autrement qu’a été fabriquée, en France, la génération que M. Makine juge ingrate, voire indigne d’être française. Se focalisant sur les symptômes et dédaignant de remonter jusqu’aux racines du mal, il ne voit pas que ceux auxquels il reproche leur manque de gratitude n’ont aucune raison d’en avoir. Ignore-t-il qu’ils ont été vendus par la France avec le morceau de sol sur lequel ils se trouvent à des puissances étrangères foncièrement anti-françaises, tout comme la Louisiane le fut avec ses habitants français et autochtones par Napoléon Bonaparte ? Encore la Louisiane n’était-elle qu’un lointain pays conquis, une colonie, pas la Mère Patrie. Est-ce que cela se fait, vendre sa mère ? Entièrement (à l’OTAN) et en morceaux (aux Saoudis et aux Qataris) donc deux fois !

Le sait-il, M. Makine, que ni la police ni l’armée n’oseraient s’aventurer dans ce qu’il est pudiquement convenu d’appeler « les banlieues », non parce qu’elles en ont peur mais parce que cela leur est interdit par leur hiérarchie, présidence en tête ? [Encore qu’il soit de plus en plus question, chez les zélîtres,  de laisser investir ce repaire d’ingrats à la manière de Gaza par des instructeurs-exécuteurs israéliens (troisième vente !), c’est-à-dire de faire des susdites banlieues ce qu’elles sont en réalité : un ghetto, qu’on trépigne d’envie de mater comme celui de Varsovie.]

Le sait-il ou ne veut-il pas le voir que ceux auxquels il reproche de ne pas avoir l’ambition d’être Français n’ont connu, dès le berceau, que la domination féodale salafiste à laquelle on les a livrés (« Voyez votre imam, il a mon numéro de téléphone »), que son dressage, que son endoctrinement forcé, que ses drogues imposées, que la totale absence de ce qu’il appelle « état-providence » et que nous appelons, nous, organisation sociale solidaire quand elle existe, ne parlons pas de leur droit à la chimérique « égalité » !...

 

40. Vrai visage de l'État providence.gif

Le vrai visage de l’État-providence

 

Mais surtout, puisqu’on parle de « quintessence de la francité », pense-t-il que l’ignominie de MM. Sarkozy-Hollande et de dieusait combien de leurs prédécesseurs exonère de toute responsabilité le reste de la France ? Ne le sait-il pas qu’on a les gouvernements qu’on mérite et que si on ne fait rien pour les empêcher de nuire on en est complice ? N’a-t-il pas lu comme nous, sous la plume de… Madame Aleksandra Marinina, ex-lieutenant du KGB (La mort pour la mort), cette quintessence de francité dont nous avons presque perdu le souvenir : « Si mon pays est capable de telles choses, il n’a pas droit à ma loyauté » ?

Hélas, de pays où on mourait dans des révolutions au nom de l’égalité et de la fraternité, la France est devenue celui où on les interrompt pour partir en vacances. Partageons les regrets et la nostalgie du nouvel académicien, mais ne cherchons pas de boucs-émissaires chez ceux que nous avons laissé ligoter.

Loin de nous l’idée de jouer les donneurs de leçons, car les choses sont « aussi pires » ailleurs. Ce que nous avons voulu dire ici, c’est juste : « MM. les académiciens, encore un effort !  Ce n’est pas seulement la langue qu’il vous incombe de maintenir, mais la sacro-sainte essence française dont elle est l’expression. Si l’une disparaît, disparaîtra l’autre.»

 

2. stack-of-books xxx.GIF

 

Mis en ligne le 9 février 2017.

 

 

Voir la suite

 

41. freccia nera grande.GIF

 

 

19:50 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Web | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

Les commentaires sont fermés.