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08/10/2018
cabinet de guerre de poutine

 

 

LE CABINET DE GUERRE DE POUTINE, L’ÉTAT PROFOND ET LA IIIe GUERRE MONDIALE

 

Norman Ball (Auteur invité)

Fort Russ – 27 septembre 2018

 

 

Le réseau trumanien, la lutte pour une restauration madisonienne et la 3e guerre mondiale.

 

Dans le sillage de la destruction en vol d’un avion de surveillance russe Iliouchine 20 en Syrie, beaucoup de spéculation s’est ensuivie sur les systèmes d’armement que la Russie allait déployer en guise de représailles : S-300 contre C-200, systèmes mobiles d’armement électronique Krasukha-4, etc.

Ce sont là des déterminants tactiques, certes, pas des changements de paradigmes radicaux en soi et pour soi.

Désormais, à peu près tout le monde sait que le Ministre de la Défense russe a carrément fait porter le blâme sur Israël, quand une réaction plus diplomatique aurait pu diluer la culpabilité en y incluant une incompétence syrienne et/ou une erreur de l’opérateur des S-200. Cette conclusion est clairement en contradiction, et pas seulement dans le ton, avec l’explication plutôt laconique et floue de Poutine : « un enchaînement tragique de circonstances accidentelles ».

Il y a des théories plus sinistres encore, telles que celle développée ici, sur ces pages, selon laquelle la frégate française Auvergne ou même un avion de la RAF de la base d’Akrotiri à Chypre seraient en réalité responsables de la frappe sur l’Il-20, mais que la Russie a choisi d’impliquer plutôt les Israéliens, une des raisons étant son souci d’éviter une réaction de l’OTAN du type Article 5.

De bien plus grande importance (que l’inventaires des armements récemment déployés par le ministre de la Défense) est la bifurcation mise en évidence par la réaction russe à l’événement. Il y a eu déplacement des analyses univoques et mesurées de Poutine, du ministre des Affaires étrangères Lavrov et du porte-parole Peskov vers un centre de pouvoir moins nuancé, plus binaire, composé du ministre de la Défense Choigou, du vice-ministre de la Défense Gerassimov et de ce qu’on appelle Stavka. Binaire comme dans « tirez/ne tirez pas ». Quelle marche vers la guerre pourrait être plus simple ?

En contraste marqué avec le rôle de conseiller joué par le Conseil de Sécurité de Russie par exemple, une Stavka, focalisée sur l’opérationnel, serait chargée, elle, de la distribution des ressources stratégiques, dans l’éventualité d’un conflit à grande échelle en rapide évolution.

Dans un article de l’Asia Times, le 4 mai, Pepe Escobar prédisait ce genre de déplacement, juste avant les nouvelles nominations ministérielles de Poutine.

 

« On s’attend à ce que le président russe Vladimir Poutine annonce la composition d’un nouveau gouvernement. Et une bombe est sur le point d’éclater. Le nouveau gouvernement devrait être une Stavka, c’est-à-dire un cabinet de guerre. »

 

En fait, les changements de personnes ont été minimes dans le nouveau gouvernement. Et cependant, le rôle accru, en tant que communicateur oral post-Il-20, de Choigou, conforte l’affirmation que la marge de manœuvre de Poutine, ce qui a été jusqu’à présent sa grande latitude de réaction, vient d’être réduite.

Sans qu’il soit nécessaire de passer jugement sur l’efficacité à long terme de son approche encaissement-contrefrappe (ni sur la question de savoir si la Russie vient simplement d’adopter le truc du gentil flic-méchant flic), la faction militaro-industrielle qui se tient derrière Poutine insistera, dans sa marche en avant, sur moins d’échecs et plus de marteau-pilon.

En bref, la « stratégie de l’homme d’État » a cédé du terrain, de gré ou de force, au cabinet de guerre. Nombreux sont ceux qui ont remarqué aussi l’émergence d’un cabinet de guerre dans l’administration Trump, particulièrement depuis l’arrivée du conseiller en sécurité nationale John Bolton, en avril.

Preuves d’une létalité convergente ?

Tout comme une guerre est le geste économique final d’une tendance séculaire, après une série de cycles commerciaux progressivement sous-performants (chaque cycle successif étant de plus en plus figé par une dette montante incoercible), l’efficacité du sens de la politique se disperse de la même manière. La diplomatie devient un exercice en pincements de cordes rhétoriques.

Poutine vient-il d’accéder à un partage du pouvoir consensuel ou imposé ? Nous ne le saurons probablement jamais. Vient-il d’être relégué à un statut d’adjoint dans les affaires militaires ? Hautement improbable. Soyons déférents envers le président russe et appelons cela une réaction collective aux provocations futures. Il n’y en a pas moins un vague parfum d’échec. Le recours à la guerre signe l’échec de la sagesse d’État.

Si le lecteur veut bien me permettre un bref interlude philosophique, l’arrivée de la guerre est aussi surnaturel qu’inévitable. En dépit de nos nombreuses dissections rétrospectives, elle surpasse couramment nos efforts pour tout comprendre et, donc, pour, éviter. Au mieux, nous réussissons tout juste à la retarder.

C’est Lincoln qui l’a le mieux dit dans son second discours d’investiture de 1865, peu avant la conclusion de la guerre civile américaine :

 

« Lors de l’occasion correspondant à celle-ci, il y a quatre ans, toutes les pensées étaient anxieusement tournées vers la guerre qui menaçait. Tout le monde la redoutait, tout le monde essayait de l’éviter… Les deux camps désapprouvaient la guerre, mais l’un d’eux était prêt à faire la guerre plutôt que laisser la nation survivre, et l’autre était prêt à l’accepter plutôt que la laisser périr, et la guerre est venue. »

 

L’intervention humaine se flatte d’être une force motrice. Il n’en est pas ainsi. La guerre, de son propre chef énigmatique, gouverne sa propre arrivée.

Et la guerre est venue.

Sur le théâtre syrien aujourd’hui, la co-intervention humaine se trouve dans une impasse trop humaine. Hier, le Premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahu a affirmé que l’IDF continuerait ses opérations pour empêcher l’Iran de prendre pied en Syrie. C’était sa réponse à la déclaration du ministre de la Défense russe Choigou du jour précédent, annonçant que les systèmes de défense aérienne S-300 et les systèmes de gestion automatique de la défense aérienne étaient en route pour la Syrie. Où est la reculade concevable pour l’une ou pour l’autre partie ? La mèche est allumée aux deux bouts.

Nous sommes à un moment « objet indestructible c/force irrésistible » où les prétextes élaborés et les faux drapeaux diminuent d’importance. Comment une nauséeuse glissade vers la guerre pourra-t-elle être évitée maintenant ? On sent, dans cette impasse, la détermination acharnée de la guerre à venir.

Autre casus belli pressant :

Outre les deux Némésis primordiaux – pouvoir sur terre et pouvoir sur mer – il existe une construction hybride déstabilisante : le gazoduc ; appelez-le usurpateur terrien ou océanique, à votre guise.

Le projet de gazoduc Nordstream 2 est un indicateur économique qui pourrait bien altérer pour toujours la géopolitique sous ses « pieds ». Et il semble qu’en dépit des vaillants efforts du président Trump pour l’en empêcher, il soit destiné à être.

Le pivotement de Berlin vers Moscou, s’il devait être suivi de cette connectivité essentielle, magnifiera considérablement la consolidation eurasienne. Vous avez ici le récent article de Tom Luongo, avec ce qui équivaut à une interprétation Mackinder/Grand Jeu :

 

« La politiques étrangère des USA et de la Grande Bretagne tend jusqu’à l’obsession, depuis plus d’un siècle, à empêcher l’alliance naturelle entre la base industrielle allemande et les vastes étendues russes de ressources naturelles, ainsi qu’avec les propres prouesses scientifiques et en ingénierie de la Russie.

Ces deux pays ne peuvent pas, dans aucune version d’un monde unipolaire dominé par la clique de Davos, être autorisés à former une alliance économique, et une alliance politique moins encore, parce que ce  niveau de coordination et de prospérité économique va directement à l’encontre de leurs buts, qui sont d’abaisser le niveau des espérances de tous, en matière de ce que les humains peuvent accomplir. »

 

George Friedman (ex de Stratfor, plus récemment de Geopolitical Futures) suit depuis des années le même raisonnement pour expliquer les grandes guerres de l’ère moderne : 

 

« Donc, l’intérêt primordial des États-Unis, en vertu duquel, depuis un siècle, nous avons fait la guerre – la première mondiale, la deuxième mondiale et la guerre froide – a été la relation entre l’Allemagne et la Russie, parce que, unies, elles sont la seule force qui pourrait nous menacer, pour faire en sorte que cela n’arrive pas. »

 

Il y a une main gauche et une main droite en jeu dans le monde, qui appartiennent l’une et l’autre à la même anatomie, en dépit des grands efforts déployés pour occulter leur sombre connectivité. Les opinions varient quant au centre nerveux. Contentons-nous de dire que les deux mains sont présentement occupées à manipuler les ombres de leur théâtre, avec une simultanéité à faire frémir – la première mondialement, l’autre plus près de chez nous.

À propos de « plus près de chez nous » (en ce qui me concerne en tout cas) tournons-nous un instant vers la bataille actuellement en cours aux USA. Le climat intérieur américain a tout à voir avec ce qui transpire des fronts en formation de la IIIe guerre mondiale.

La fable de la collusion Trump-Russie est en train de s’effondrer à une vitesse calamiteuse, en apparaissant pour ce qu’elle est : une fiction pure et simple.

Le fait est que les théâtres de guerre syrien et de l’OTAN ont été amenés au point d’ébullition actuel juste au moment où le flanc US de l’État Profond (en réalité, le consortium transnational d’agences de surveillance Cinq Yeux, opérant comme Un seul, tout en maintenant le mirage qu’elles sont des entités nationales discrètes qui « coopèrent ») fait face à une attaque inouïe et est sur le point d’être démasqué.

MI6 et GCHQ [Government Communication Headquarters] sont omniprésents dans les coulisses du théâtre d’ombres. Trop d’acteurs principaux de la collusion possèdent des accréditifs de Cinq Yeux : Stefan Halper (CIA, MI6), Joe Mifsud (MI6), Christopher Steele (MI6), Alexander Downer (ASIS [American society for industry security], MI6), Robert Hannigan (GCHQ). Cet « ex »-espion du MI6, Chris Steele, couramment décrit comme un voyou retraité qui en voudrait au Président, est un élément particulièrement révélateur de mauvaise gestion institutionnelle.

 

[« Les » Cinq Yeux, généralement abrégés en FVEY est une alliance de services secrets qui réunit l’Australie, le Canada, la Nouvelle Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis. Ces pays sont partie prenante de l’accord multilatéral UKUSA, traité visant à mener à bien des opérations conjointes en matière de renseignements d’origine électronique. – « L’étendue des données collectées par l’alliance [Five Eyes] – collaboration en elle-même secret longtemps gardé, dont  les limites ne sont pas claires – a été révélée pour la première fois par l’ex-employé de la NSA Edward Snowden, dont la divulgation de documents de 2013 montrait une masse globale de surveillance [non par une agence, mais] par un réseau ». (source Wikipedia).]

 

 

[Institutions madisoniennes c/ Réseau trumanien

 

Alors que le terme « Deep State » a frappé l’imagination du public (je l’utilise ici pour cette raison) la formulation de Michael Glennon « Double Gouvernement » possède, à mon avis, un pouvoir explicatif supérieur. Glennon soutient que nos « institutions madisoniennes » ont été vidées de leur contenu par le « réseau trumanien », c’est-à-dire par l’État sécuritaire, dont les origines remontent au National Security Act de 1947.

Dans la formulation de Glennon, telle que je l’extrapole, Trump est un revivaliste madisonien déterminé à reprendre la souveraineté constitutionnelle à l’État sécuritaire usurpateur, ce dernier s’étant depuis longtemps métamorphosé en une entité supranationale sans précédent. Jusqu’à Trump, le statut de tous les présidents de l’après-guerre a été incroyablement « pro forma » (à la notable exception de JFK).

Voyez le livre de Glennon : Sécurité nationale et Double Gouvernement*.]

 

On peut voir dans ceci la raison d’être du revirement peu habituel de Trump, particulièrement sa rétractation, le 21 septembre, d’un ordre de déclassification du 17, exigeant des filons entiers de « dé-rédactions »  du FBI. Et pourquoi cela ? Parce que la réquisition a ferré de bien plus gros poissons que l’habituelle – et attendue – avalanche d’adversaires intérieurs, connus sous le nom de « Deep State » américain.

Pour en savoir davantage sur le Double Gouvernement, voir ici.

Entre autres choses, les « rédactions » dissimulent presque certainement la participation de grande envergure des Cinq Yeux. Trump exigera sa livre de chair partout où l’intrigue criminelle le conduira. Et il semble qu’elle le conduira sur la scène internationale, dans les rangs des alliés « inébranlables » de l’Amérique, rien de moins.

Voir l’interview de Trump du 20 septembre 2018 ici (à 2:50)

Et son tweet du jour suivant ici.

Et le juge Napolitano sur Fox News ici (à 0:16), il y a dix-huit mois, le 14 mars 2017 [« Obama Used British Intel BCHQ To Spy On Trump ! US Intel Bypassed To Avoid US Fingerprints ! »].

Les dirigeants de l’Australie et du Royaume Uni ont dû s’effondrer en deux pauvres petits tas, à la perspective des déclassifications réclamée par Trump. Subitement, Trump s’est vu présenter une cache transnationale d’influences qu’on ne soupçonnait pas. L’hameçon de la déclassification  venait de ramener une paire de baleines étrangères. C’est pour cela qu’il y a eu rétractation, dans l’attente d’une expédition de pêche plus ambitieuse.

Imaginez aussi (surtout après avoir entendu Napolitano ci-dessus) les répercussions du genre tremblement de terre qu’auraient les gros titres suivants :

 

« Les gouvernements du Royaume Uni et de l’Australie démasqués comme acteurs principaux de la tentative de coup d’État du Président »

 

OU

 

« En cherchant à éviter l’imprimatur de la NSA, le président Obama a sollicité l’intervention du GCHQ, pour essayer de renverser son successeur élu Trump »

 

Quelles sont ne seraient-ce que les implications de l’OTAN ?

Et quelles contre-mesures seront déversées en masse pour éviter/remplacer de telles manchettes ? Les participants Ministère de la Justice/FBI, dans cette tentative de coup, se trouvent tout à coup ravalés au rang d’acteurs de patronage, dans ce tsunami bourgeonnant d’une amplitude sans précédent. Confrontés à une mise à nu aussi abjecte (pour ne rien dire des cris à la trahison) il reste aux Cinq Yeux peu de choix, sinon de déclencher, pour faire diversion, une contremesure d’ampleur égale.

Qui serait la IIIe guerre mondiale.

Conclusion ? Le « déplacement » russe est à la mesure des besoins accrus, pour l’Occident, de provoquer une déflagration de diversion. Nés aux lendemains de la IIe guerre mondiale, les Cinq Yeux ont besoin des « effets rajeunissants » (le ciel nous aide) de la IIIe guerre mondiale. Et peu importe si, dans cette poursuite acharnée d’un verrouillage au grand air, nous risquons de mourir tous.

Appelez cela du nihilisme panoptique ou la cage de Kafka à la recherche d’un oiseau post-nucléaire.

 

Source : https://www.fort-russ.com/2018/09/putins-war-cabinet-the-deep-state-and-wwiii/?utm_medium=ppc&utm_source=wp&utm_campaign=push&utm_content=new-article

___________

*

Michael J. Glennon

National Security and Double Government

Oxford University Press

312 pages

_______

Michael J. Glennon est professeur de Droit International à la Fletcher School of Law and Diplomacy de la Tuft University. Avant d’entrer dans l’enseignement, il a été le conseiller juridique de la commission en Relations Étrangères du Sénat. Ses éditoriaux ont paru dans le New York Times, le Washington Post, le Los Angeles Times, l’International Herald Tribune, le Financial Times, la Frankfurt Allgemeine Zeitung. Il vit à Concord, Mass., avec femme et enfant.

Quelques-uns de ses autres livres : https://www.amazon.com/National-Security-Government-Michael-Glennon/dp/0190663995

 

Traduction : c.l. pour Les Grosses Orchades

 

 

 

Octobre 2018

 

 

 

 

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